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10 ans après le 11 Septembre, le point sur la lutte antiterroriste en Europe - avec le spécialiste Jean-François Daguzan

Il y a près de 10 ans, deux avions détournés percutaient les tours jumelles du World Trade Center et un troisième le Pentagone aux Etats-Unis, provoquant la mort de près de 3000 personnes. Depuis cette date, la lutte contre le terrorisme a connu un grand bond en avant, y compris en Europe. Jean-François Daguzan, Maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, revient sur les enjeux européens de la politique antiterroriste.

Touteleurope.eu : Quelles sont les grandes menaces terroristes auxquelles sont aujourd’hui confrontés les pays européens ?

Jean-François Daguzan est Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des questions de prolifération et de terrorisme.

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Jean-François Daguzan : La menace la plus inquiétante, parce que la plus dangereuse en termes d’impact possible, reste le terrorisme radical islamique. Cependant, depuis les attentats de Madrid et de Londres l’action des services secrets en a limité l’essentiel : elle reste active, mais n’a pas pu se réaliser.

On sait très bien que, en dépit de la mort de Ben Laden et de l’affaiblissement de son noyau central, Al Qaida continue de cibler l’Europe et la France en particulier (l’Al-Qaida au Maghreb islamique [AQMI] ayant fait de la France une cible privilégiée). Sans succès jusqu’à maintenant, mais les tentatives continuent de se développer. Le directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini considère par exemple que l’on parvient à contrer 2 attentats majeurs par an, c’est un chiffre important.

D’un point de vue statistique, les chiffres tels ceux d’Europol (TESAT) montrent que le terrorisme le plus actif est régionaliste : les Corses en France, les Basques en Espagne, les Irlandais… cela se compte en centaines d’actes, souvent de faible amplitude. La destruction de maisons à l’explosif en Corse restant le grand classique.

Enfin, n’oublions pas les faits “anormaux” tels que le récent massacre en Norvège. Nous avons ici l’exemple d’un acte massif commis par un déséquilibré, qui reste très inquiétant pour les autorités car pratiquement indétectable.

Touteleurope.eu : Quels sont les moyens européens déployés pour lutter contre le terrorisme ?

J-F. D. : Tout d’abord, les Etats agissent individuellement, en fonction de la qualité de leurs services de renseignement et de police. Les pays très avancés dans ce domaine sont, la plupart du temps, ceux qui ont déjà été confronté au terrorisme.

D’autres n’en ont pas les moyens, ou se sentent peu concernés. Parmi ces derniers, les pays baltes et, jusqu’à une date récente, les pays scandinaves : ceux-ci se sont réveillés depuis l’attentat en Suède, il y a un an, et depuis l’affaire norvégienne. Pendant très longtemps, le fait qu’ils soient extrêmement accueillants pour les minorités musulmanes et qu’ils n’aient aucun contentieux avec le monde arabe semblaient leur garantir d’être à l’abri du risque d’attentat. Mais pour Al Qaïda, un Occidental reste une cible en soi, quelle que soit sa nationalité. Il a donc fallu attendre pour que ces pays entrent récemment dans le jeu de la coopération, et améliorent leurs capacités d’investigation en assouplissant leurs règles juridiques. En France au contraire, ces règles sont très extensives.

Lundi 12 et mardi 13 septembre, le Parlement européen doit examiner en plénière les coûts et avantages de dix années de politique antiterroriste, prônant des mesures appropriées en conformité avec le niveau de menace (vote mardi).

Ensuite, la coopération à caractère institutionnel concerne l’Union européenne essentiellement. Sur ce point, le 11 Septembre est une révolution. Il n’y avait auparavant aucune coopération en matière de lutte contre le terrorisme, parce que les Etats ne le voulaient pas. Un “groupe de contact” existait depuis 1975, mais avec des compétences très limitées en termes d’échanges d’informations.

En 2001, nous sommes entrés dans une véritable organisation de la coopération antiterroriste, à travers : des quasi-définitions européennes d’actes de terrorisme (Conseil de Séville, 2002) ; la mise en place du mandat d’arrêt européen, élément opérationnel le plus important, qui permet de poursuivre un individu sur l’ensemble du territoire de l’UE ; l’obligation de surqualifier pénalement les actes de terrorisme pour chaque Etat, même s’ils ne l’intègrent pas dans leur droit national ; une réflexion conjointe au niveau de la Commission (DG Affaires intérieures) ; la création d’un poste de coordinateur de la lutte antiterroriste au niveau du secrétariat du Conseil (à l’heure actuelle Gilles de Kerchove) ; des réflexions beaucoup plus larges sur la protection des infrastructures critiques au niveau européen, avec des mesures génériques à prendre ; des mesures de lutte contre le terrorisme chimique et biologique développées dans le cadre de la DG Santé à la Commission ; de nouvelles compétences conférées à Europol, qui développe désormais une action de formation pour les pays européens les plus faibles en matière policière mais aussi à l’extérieur de l’Union ; la création de bases de données sur les individus ; enfin une action au niveau des relations internationales sous l’égide du Service européen des affaires extérieures (SEAE) : contact avec les pays, accords de coopération, soutien et formation aux douaniers et aux policiers…

Tout cela s’est fait en 8 ans, et fonctionne relativement bien. Il faut bien comprendre que l’UE n’a pas de compétence exécutive dans ce domaine, mais elle donne un cadre général commun à l’ensemble des pays membres. L’aspect opérationnel de la recherche antiterroriste reste une prérogative des Etats, il n’y a pas de “FBI” européen.

Touteleurope.eu : Comment les pays européens coopèrent-ils avec les Etats-Unis ?

J-F. D. : Vis-à-vis des Etats-Unis, chaque Etat entretient ses propres relations au niveau opérationnel, qui concerne par exemple des échanges de données sur un suspect.

En revanche, le rôle de l’UE vis-à-vis des Etats-Unis est de négocier tout ce qui concerne le “contrôle” . Sur le trafic aérien notamment, les Etats-Unis ont demandé des informations exorbitantes sur les passagers se déplaçant d’Europe aux Etats-Unis. Une négociation assez ardue a alors eu lieu après 2002 pour savoir quels éléments pourraient être donnés sans risques d’intrusion dans la vie privée. Un dialogue permanent s’est aussi instauré avec les Etats-Unis à propos des éléments juridiques de la lutte contre le terrorisme.

Touteleurope.eu : Quels sont les grands défis de la lutte européenne contre le terrorisme ?


J.-F. D. : Les maximalistes proposent d’aller beaucoup plus loin dans la coordination du renseignement, en établissant de véritables échanges de renseignements au niveau de l’Union. Or, la plupart des pays les plus avancés en matière de lutte contre le terrorisme (France, Grande-Bretagne, Espagne, Italie) ne veulent pas de ce système. Ils considèrent qu’en matière opérationnelle on doit rester maître chez soi, et que discuter avec des gens qui n’ont rien à donner en échange n’est pas très pertinent… Aller plus loin dans la coordination du renseignement est donc difficile.

En revanche, on peut améliorer tout ce qui concerne l’environnement juridique de la lutte contre le terrorisme et son financement, pris en charge notamment par le GAFI (Groupe d’Action financière des ministères des Finances des différents pays) mais pour lequel une structure européenne aurait du sens. Il faudrait essayer de rapprocher les bases juridiques, les législations (très différentes d’un pays à l’autre), appuyer la formation, le soutien vis-à-vis des pays tiers, et améliorer le renseignement sur les liens entre terrorisme et prolifération nucléaire, qui reste le maillon faible à l’échelle européenne.

Touteleurope.eu : Un Réseau européen de sensibilisation à la radicalisation a été mis en place vendredi 9 septembre : quels sont ses objectifs ?

J.-F. D. : La radicalisation est l’un des éléments sur lesquels la Commission européenne a beaucoup travaillé ces dernières années. Dès 2003 a été mis en place un groupe d’experts ad hoc d’une dizaine de personnes pour réfléchir à cette question. Des budgets ont aussi été dégagé pour travailler sur les zones les plus radicales en Europe, et essayer de comprendre pourquoi certaines populations ou groupes pouvaient se radicaliser.


La Commission souhaite aller plus loin en créant un véritable réseau d’alerte permettant d’anticiper les phénomènes de radicalisation pour essayer de les bloquer, non au sens judiciaire mais au contraire en visant à détourner les populations à risque de la lutte armée, à travers une meilleure intégration et une sensibilisation aux valeurs démocratiques.

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