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Luc Guyau : “L’Europe a un rôle essentiel à jouer pour l’équilibre alimentaire mondial”

Organisé par la présidence française, un G20 dédié à l’agriculture se déroule à Paris mercredi 22 et jeudi 23 juin. Bien que les négociations s’annoncent difficiles, a prévenu le ministre français Bruno Le Maire, les représentants des plus grandes économies mondiales tenteront de s’accorder sur la régulation des marchés, la transparence, la constitution de stocks et la situation des pays les plus vulnérables. Pour Luc Guyau, président du conseil de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le modèle agricole européen doit constituer une référence.

Touteleurope.eu : Etes-vous satisfait des priorités mises en avant par le G20 : transparence, régulation des marchés pour limiter la spéculation, constitution de stocks d’urgence, augmentation de l’offre pour répondre à l’augmentation de la demande mondiale… ?

Luc Guyau : Ce qui est important, c’est que le G20 s’engage d’une façon large : à la différence du G8, il compte des pays développés, des pays émergents, appuyés par des organisations internationales telles que la FAO, pour définir les grands axes.

Il faut être pragmatique, et ne pas croire que le G20 va tout révolutionner. Mais tout ce qui concourt à améliorer la situation de l’alimentation dans le monde, et surtout sa régulation en évitant les fluctuations trop importantes, les stocks, une meilleure connaissance, de véritables politiques agricoles engagées dans chaque pays… va dans le bon sens.

Pour ma part, je considère que les éléments qui sont sur la table du G20 sont de bons éléments. Maintenant, c’est une question d’arbitrage entre les différents pays. Tous n’ont pas la même démarche, mais je crois que nous allons dans le bon sens, à condition bien sûr que l’accord du G20 s’inscrive dans la durée.

Touteleurope.eu : Le ministre français de l’agriculture a précisé vendredi que les négociations étaient très difficiles… quelles sont les lignes de fracture ? L’UE elle-même est-elle unie ?

L.G. : L’Union européenne a un rôle essentiel à jouer pour l’équilibre alimentaire mondial, pour la bonne raison que c’est un espace politique et d’influence très important, et que nous sommes dans une région du monde stable en matière climatique (malgré quelques sécheresses) et politique. Malheureusement, on ne peut pas dire que l’unité soit toujours au rendez-vous, même si je pense que cela s’améliore.

Il est clair que les débats sont difficiles : au vu des différences entre pays qui veulent commercer dans le monde, il peut y avoir quelques blocages concernant la régulation à mettre en place. Mais comme nous avons besoin de toutes les agricultures et de toutes les énergies pour résoudre ce problème de la faim dans le monde, il y a de la place pour tous.

Si les pays présents au G20, qui représentent 80% de l’économie mondiale, se mettent d’accord sur des éléments de base concernant une meilleure régulation des marchés et une meilleure politique agricole, on peut espérer que dans les années qui viennent, nous réduisions à néant ou presque le problème de la faim.

Touteleurope.eu : Quels résultats attendre de cette rencontre ? Si seul un accord a minima est conclu, quelles seront les prochaines étapes ?

L.G. : Rappelons que ce G20 agricole précède un sommet global qui aura lieu en Novembre à Cannes. Tout ce qui pourra bien sûr être arrangé dès cette semaine est bienvenu, mais il ne faut pas non plus désespérer : nous sommes dans des mouvements de négociations internationaux, qui sont par nature lents. L’essentiel c’est de ne pas s’arrêter, de continuer les négociations, je suis partisan d’un processus étape après étape, où chacune doit être engagée avant de passer à la suivante.

Je pense que nous pourrons voir des avancées au niveau d’une meilleure connaissance des marchés et des productions, ainsi que des stocks et de quelques mécanismes de régulation des marchés.

Cependant, un élément de fond qui mérite d’être rappelé, est qu’il n’y aura pas d’agriculture et d’alimentation stables et durables sans politique agricole dans chacun des pays.

Touteleurope.eu : Le modèle agricole européen peut-il s’étendre aux autres continents ?

L.G. : Bien sûr, les expériences qui ont été développées dans les pays occidentaux peuvent servir dans les politiques de développement, mais elles ne peuvent être calquées d’un seul coup d’un pays à l’autre. Nous sommes dans des situations complètement différentes. L’Occident doit désormais comprendre que le rapport qui a prévalu pendant 20 ou 30 ans entre les pays de l’OCDE et les pays en développement n’a plus de réalité. Il faut désormais compter également avec les pays émergents, qui ont mis en place de nouvelles politiques.

Mais une chose reste identique dans tous les pays du monde : les agriculteurs ont besoin d’un minimum de sécurité pour investir. Si les Etats n’accompagnent pas les politiques agricoles, il ne devront pas être surpris de ne pas pouvoir nourrir leurs populations demain.

Les façons de le faire sont différentes : on n’investit pas de la même façon en Afrique, en Inde ou en Europe. Il faut avoir des modèles qui servent de référence, mais surtout s’adapter, que ce soit sur les semences, la recherche, l’irrigation, les méthodes d’organisation… en évitant aux pays émergents les erreurs que nous avons pu faire en Europe.

Touteleurope.eu : Quels sont les enjeux de ce G20 pour la réforme de la PAC ? La régulation prônée par le premier légitime-t-elle une PAC forte ?

L.G. : Une période s’achève, dans laquelle le tout libéral et le tout marché devaient régler les problèmes alimentaires mondiaux. Il est vrai que certains pays très commerçants y pensent encore, mais pour le développer il nous faut des politiques régulées, des organisations qui protègent les producteurs…

Et de ce côté-là, il est bien dommage que nous ayons progressivement détricoté la Politique agricole commune. En 1953, lorsque nous avions encore des tickets de rationnement dans notre pays, on demandait aux agriculteurs de produire pour l’espace français et européen. On a mis en place des politiques permettant aux agriculteurs d’investir en sécurité et de se protéger aux frontières. Si l’on doit développer des politiques agricoles dans les pays en développement, il faut accepter qu’au moins temporairement, ils puissent se protéger aux frontières, sinon leurs efforts seront détruits.

A défaut d’être un modèle, la PAC doit être une référence pour organiser dans d’autres pays les marchés et la production agricole. A condition bien sûr qu’on cesse de mettre à mal cette politique en Europe, y compris l’aide alimentaire intérieure. Alors que nous parlons de faim dans le monde, il y a au sein de l’espace européen un nombre important de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, et l’aide alimentaire est remise en cause… On ne peut pas donner des conseils aux autres si nous ne montrons pas l’exemple.

Touteleurope.eu : L’Europe peut-elle contribuer à répondre à la demande mondiale en alimentation ?

L.G. : L’augmentation de la population et de la consommation demandera de multiplier par deux la production mondiale, et l’Europe doit y contribuer. Pour l’Europe, c’est un bel enjeu de contribuer à l’équilibre alimentaire mondial. Vendre des produits alimentaires pour sécuriser le monde est aussi honorable que de vendre des Airbus !

Il y a de la demande dans le monde, et pas seulement en termes d’aide alimentaire : sur les 2,5 milliards de Chinois et d’Indiens, environ 20% a le même niveau de vie que les Européens et achète des produits alimentaires de moyenne et haute gamme : l’Europe peut être aussi présente dans ce marché.

Touteleurope.eu : Le président français a évoqué le rôle de la FAO dans une régulation des marchés agricoles. Quel serait-il ?

L.G. : La FAO devrait jouer le rôle pour lequel elle a été créée, et qui a été un peu abandonné depuis 15-20 ans, où l’on ne parle que de libéralisme et de marché. Nous avons des structures pour une meilleure connaissance des différents marchés et stocks, voire de la régulation. Mais si le G20 nous donne des missions supplémentaires, la réforme de la gouvernance engagée depuis 2 ans à la FAO permet de les réaliser, en lien avec le comité de sécurité alimentaire d’une part mais aussi le Plan alimentaire mondial (PAM). Et nous sommes prêts à adapter nos structures si nécessaires pour jouer notre rôle.

En savoir plus

G20 : L’agriculture en première ligne - Ministère de l’agriculture

Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

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