Le groupe de recherche Notre Europe publie une étude portant sur les effets des politiques européennes sur le monde viticole du Languedoc-Roussillon. Cette étude est révélatrice de tendances très marquées sur les perceptions des mutations identitaires liées à l’Europe.
Le vin est l’un des éléments constitutifs d’une civilisation spécifiquement européenne qui s’étend de l’Espagne à la Roumanie et remonte jusqu’en Angleterre. “Produit sensible” , le vin témoigne du lien à la terre : “les imaginaires de l’enracinement associés à cette boisson sont des affections très largement partagées en Europe” . “Symbole de civilisation” par excellence, il est un “fait social total” , selon le concept du sociologue Marcel Mauss. Il structure l’espace, les comportements et les rapports sociaux.
L’étude met à jour “les enjeux identitaires sous-jacents à la construction européenne et à l’intensification des échanges au niveau mondial” . Ces évolutions rapides ont entraîné de profondes mutations qui apparaissent avant tout comme une “désagrégation sociale” . La libre circulation des personnes est telle que la population viticole du Languedoc-Roussillon est devenue beaucoup plus cosmopolite : on parle de “petite Europe” . Les lieux de négociation se sont déplacés, le rôle des élus et de l’Etat a muté. Ces phénomènes ont une grande incidence sur la formulation des identités.
Les viticulteurs languedociens sont particulièrement virulents à l’égard de l’Union européenne. Ils accusent l’Europe d’être “détachée de son territoire” . L’Union européenne est devenue “le barbare” , l’étranger qui s’immisce sur le territoire, et le vin, “produit totem” selon l’expression de Roland Barthes “est propre à cristalliser toutes les angoisses de la déperdition culturelle.”
Pour autant, la “déstructuration en cours des rapports sociaux n’est pas synonyme d’anomie ou d’atomisation irrévocable du corps social” . La mutation se traduit aussi par de nouvelles formes de solidarité, un renouvellement du rapport à la tradition, la naissance de formes inédites d’organisation et de production.
Finalement, affirment les auteurs, “le marché ne peut à lui seul produire de la société” . C’est pourquoi ils attendent des responsables européens la “capacité (…) à défendre les savoir-faire et les savoir-vivre des Européens” .
Boris Petric et Aziliz Gouez, “Le vin et l’Europe : métamorphose d’une terre d’élection” , avril 2007