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Wei Shen : “La Chine est désormais plus réaliste à propos de l’Union européenne”

Alors que l’on parle beaucoup de l’éventuelle participation de la Chine au Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) pour aider la zone euro à surmonter la crise, Dr. Wei SHEN, professeur de relations internationales à l’ESSCA (Ecole de Management), et directeur des programmes du campus de l’ESSCA à Shanghai, dresse un rapide état des lieux des relations sino-européennes.


Touteleurope : Pourriez-vous nous retracer les dates clés des relations entretenues par la Chine et l’Union européenne ?

Wei Shen : Les relations entre la Chine et l’Union européenne ont officiellement été rétablies en mai 1975, et ont été suivies par la signature en 1985 d’un accord de coopération économique et commerciale.
Un tournant important a eu lieu en 2003 : cette période dite de “lune de miel” débute avec un partenariat stratégique entre la Chine et l’Union européenne, caractérisé par un développement rapide de la coopération dans divers domaines.
C’est aussi en 2003 que la Chine a réalisé son tout premier document (livre blanc) portant sur la politique étrangère d’un pays ou d’une région. Celui-ci était consacré à l’Union européenne.
L’année 2008, avec l’annulation par Pékin du sommet UE-Chine qui devait se dérouler à Lyon, pour protester contre une rencontre entre le dalaï lama et Nicolas Sarkozy est aussi une date clé dans les relations sino-européennes.

Touteleurope : Quelle sera la forme de l’aide apportée par la Chine à l’Union européenne ?

Wei Shen : La Chine, qui possède la plus grande réserve de change au monde, va très certainement acheter des obligations (ou ‘bonds’) du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), mais avec beaucoup de prudence et gardera un œil sur les actions d’autres pays sur cette question. A mon avis, la Chine supportera le projet de plan de sauvetage européen pour les trois raisons suivantes.
Premièrement la Chine veut réaliser un geste politique important, et se placer en tant que partenaire de l’Union européenne.
Deuxièmement, la Chine ne souhaite pas voir l’euro s’effondrer car déjà un tiers de sa réserve de changes est en euros. La crise donne une chance à la Chine d’approfondir ses investissements et son influence économique en Europe, donc, le support de la Chine envers la zone euro procurera un environnement politique et économique favorable. De plus, bien que la Chine ne soit pas considérée comme le pays sauveur de l’Europe par l’opinion publique, l’aide qu’elle apportera lui conférera une bonne image.
Enfin la troisième raison est que la Chine souhaite orienter sa production des secteurs à faible valeur ajoutée vers des secteurs à forte valeur ajoutée. Ainsi, en contrepartie de l’achat de ces ‘bonds’ et grâce à ses investissements, la Chine espère bénéficier du transfert de hautes technologies de la part de l’Union européenne.

Touteleurope : Quelles sont les contreparties attendues par Pékin ? La Chine a-t-elle besoin du marché européen ?

Wei Shen : Bien entendu, l’investissement de la Chine ne pourra se faire sans l’assurance de retours. Comme je l’ai dit, la Chine veut augmenter son influence économique en Europe. Jusque-là, l’export de la Chine n’a pas été affecté par la crise de manière significative. Cependant, le gouvernement chinois est préoccupé par le protectionnisme croissant en Europe et aux Etats-Unis. La Chine est la première source des imports de l’Europe, elle va donc s’assurer que l’accès au marché européen ne soit pas impacté.

Touteleurope : Quels seront les effets de la réévaluation du taux de change du yuan sur l’économie européenne ?

Wei Shen : Pour certains pays, tels que l’Allemagne, le yuan n’est pas un problème dans les relations bilatérales, les exports de l’Allemagne vers la Chine, même depuis la crise n’ont pas connu de ralentissement. Au contraire, la Chine (incluant Hong-Kong) a dépassé les Etats-Unis en tant que destination principale de l’export allemand fin 2010. Les exportations de l’Union européenne à destination de la Chine concernent principalement le secteur des équipements de transports et des machines. Dans ce cas, l’innovation technologique est un facteur plus important que le coût ou la devise.

Touteleurope : Dans ses relations avec la Chine, l’Union européenne est-elle perçue comme étant en perte d’influence ?

Wei Shen : La Chine attendait beaucoup de l’Union européenne, particulièrement en 2003, espérant qu’elle deviendrait une puissance mondiale en contrebalançant les Etats-Unis dans un monde multipolaire. Mais maintenant la Chine est plus réaliste à propos de l’Union européenne. L’Union européenne est censée parler d’une seule et même voix, mais la Chine a constaté que cela était impossible.
Elle préfère concentrer ses relations bilatérales avec Paris, Berlin ou Londres car elle estime que cela est plus productif.
Mais d’un autre côté, la Chine espère qu’en raison de la crise que traverse l’Union européenne, cette dernière, avant de s’entretenir avec la Chine, essayera d’aboutir à une position commune au sein de ses Etats membres, à propos de ses relations avec la Chine. En l’absence d’un consensus au sein de l’UE, la Chine sera tentée de ne pas investir, par crainte que l’argent soit perdu si l’Union européenne ne trouve pas de solution en soi.

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