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Mai 68 : A quoi ressemblait l’Europe ?

En 1968, les protestations étudiantes éclatent un peu partout en Europe. Mais il ne s’agit pas du seul évènement marquant. En Tchécoslovaquie, les rues de Prague sont envahies par les chars soviétiques, l’Irlande du Nord s’embrase, tandis que trois pays d’Europe occidentale sont encore gouvernés par des régimes autoritaires. A l’occasion du cinquantième anniversaire de Mai 68, Toute l’Europe dresse un tableau de l’Europe de 1968.

Manifestation d'apprentis à Hambourg, 1968
Manifestation d’apprentis à Hambourg, 1968 - Crédits : Hennercrusius / CC BY 3.0

En France, l’année 1968 est profondément marquée par l’un des mouvements sociaux les plus importants de son histoire. La protestation étudiante débute à Nanterre en mars, à la suite de l’arrestation de manifestants opposés à la guerre du Vietnam. Le mouvement s’étend peu à peu à d’autres universités, et élargit ses revendications : opposition à l’autorité, dénonciation du capitalisme, du consumérisme, révolte contre le pouvoir gaulliste.

Le 13 mai 1968, plus d’un million de personnes descend dans la rue en soutien aux étudiants. La grève générale commence alors et paralyse la France jusqu’à la signature d’un accord entre le gouvernement et les syndicats, le 27 mai 1968. L’Assemblée nationale est dissoute le 30 mai, et le “mai 38” français prend définitivement fin avec l’organisation de nouvelles élections législatives, les 23 et 30 juin 1968.

Les protestations étudiantes éclatent en Europe

Les revendications étudiantes de 1968 ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Hexagone. Dès 1967 et jusqu’en 1969, l’Italie connaîtra ce qu’on appelle le “mai rampant italien” . Au départ, il s’agit de protestations étudiantes contre un projet de loi instaurant des conditions plus restrictives d’accès à l’université. Par la suite, la contestation s’étend à l’ensemble du système italien d’enseignement supérieur. Même temporalité en Belgique où à l’université de Louvain (Flandres), les nationalistes flamands exigent que les francophones quittent l’établissement. La crise se propage dans d’autre universités flamandes, et entraîne la chute du gouvernement Vanden Boeynants le 7 février 1968.

En Espagne, c’est sous l’ombre de la dictature franquiste que depuis 1967, grèves et fermetures rythment la vie des universités espagnoles. Franco ira jusqu’à décréter l’état d’urgence le 24 janvier 1969 pour accroître encore plus la répression. De l’autre côté du rideau de fer, les étudiants polonais se révoltent à Varsovie, après la censure d’une pièce de théâtre jugée antisoviétique. En mars 1968 et pendant 3 semaines, des milliers d’étudiants manifestent ainsi contre le régime, suscitant une vague de répressions.

Dans chaque pays, les revendications nationales se mêlent à des contestations plus générales sur l’autorité en place. L’Allemagne, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni connaissent ainsi également leurs propres manifestations étudiantes.

Le mur de Berlin est le symbole d’une Europe coupée en deux

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde est scindé entre influence occidentale et soviétique. L’Allemagne elle-même est coupée en deux : à l’Ouest, on trouve la République fédérale d’Allemagne (RFA) ; à l’Est, la République démocratique d’Allemagne (RDA), sous contrôle soviétique. Et au cœur de cette zone communiste, la ville de Berlin devient le symbole de la fracture du monde. En mai 1968, cela fait sept ans qu’un mur de béton construit par les Soviétiques entoure Berlin-Ouest sur près de 155 kilomètres.

Construit pour empêcher l’exode des mécontents du régime soviétique vers l’Ouest, le mur sépare familles, amis et compatriotes. Si les Allemands de l’Ouest peuvent se rendre en RDA, l’inverse est beaucoup plus ardu. Alors que Berlin-Ouest devient la “vitrine du monde libre” et de l’idéologie capitaliste, la partie Est accuse quant à elle un lourd retard économique.

Restes du rideau de fer, frontière entre l’Est et l’Ouest de l’Europe pendant la Guerre Froide. Allemagne, 2005 - Crédits : Vincent de Groot / CC BY-SA 4.0

A Prague, un éphémère printemps

Un peu plus au Sud, un vent de réformes libérales souffle sur la Tchécoslovaquie. Alors que le pays est sous domination communiste, Alexandre Dubček prend la tête du Parti communiste tchécoslovaque le 5 janvier 1968. Il met alors en place un “socialisme à visage humain” en supprimant la censure, en libérant des prisonniers politiques, en réinstaurant la liberté de la presse et en engageant des réformes économiques.

S’il est soutenu par la population, les autres leaders du bloc de l’Est et particulièrement le dirigeant de l’URSS, Leonid Brejnev, voient d’un mauvais œil cette libéralisation. Par une nuit d’été, le 20 août 1968, Moscou envoie 200 000 soldats soviétiques, est-allemand, hongrois, bulgares et polonais, membres de l’Alliance militaire du Pacte de Varsovie, en Tchécoslovaquie. Equipés de chars et de camions blindés, ils pénètrent rapidement dans la ville de Prague. Sous la pression, Alexandre Dubček accepte de signer un accord avec Moscou et rejette le “socialisme à visage humain” , avant d’être évincé du pouvoir l’année suivante. D’après le Livre noir de l’occupation soviétique écrit par les historiens tchèques Ivo Pejcoch et Prokop Tomek, 402 civils auraient été tués lors de l’occupation de la Tchécoslovaquie. Celle-ci ne s’achèvera qu’en 1991, à la chute de l’URSS.

L’Irlande du Nord à l’aube de la période des “Troubles”

En 1968, l’Irlande du Nord est à l’aube d’un conflit qui s’étendra ensuite sur près de 30 ans. Depuis 1921, l’Irlande du Sud est indépendante, tandis que l’Irlande du Nord est une nation constitutive du Royaume-Uni. Or cette Irlande du Nord est divisée en deux camps : d’une part une minorité catholique, qui souhaite une réunification de l’Irlande, et de l’autre une majorité protestante, unioniste, attachée au maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni.

La minorité catholique accuse les unionistes d’organiser une véritable ségrégation : découpage et système électoral favorisant la majorité protestante, chômage touchant plus durement la minorité catholique, écoles publiques majoritairement protestantes… Inspirée du mouvement mené par Martin Luther King aux États-Unis, une première marche pour les droits civiques des catholiques a lieu en août 1968. Le 5 octobre, des civils marchent pacifiquement pour les droits civiques à Derry, malgré une interdiction de la ville. La répression par la police à coups de matraques et de canons à eau fait 30 blessés, entraînant deux jours d’émeutes dans le pays. La date marque ainsi le début d’un conflit armé entre catholiques et protestants, désignée en anglais comme la période des “Troubles” , qui se radicalisera et ne se terminera qu’en 1998.

La péninsule ibérique sous le joug des dictatures

Le Portugal et l’Espagne sont quant à eux dominés par les deux plus vieilles dictatures d’Europe occidentale. A Lisbonne, le Président du Conseil António de Oliveira Salazar dirige le pays d’une main de fer depuis 1932, date à laquelle il s’est octroyé les pleins pouvoirs et a instauré un régime catholique, autoritaire et anticommuniste. Arrestations arbitraires, censure, disparitions, torture s’installent alors dans le pays. Toutefois en 1968, le régime entre en crise : Salazar est victime d’un traumatisme crânien, entraînant sa destitution par le président de la République. Il faudra toutefois attendre la révolution des œillets de 1974 pour voir le régime tomber définitivement.

Francisco Franco, chef de l’État espagnol de 1939 à 1975, et son épouse Carmen Polo - Crédits : Archives nationales néerlandaises / CC BY 4.0

De l’autre côté de la frontière, en Espagne, la dictature de Franco est quant à elle bien en place. Depuis son auto-proclamation en 1939 comme chef d’État à vie, Francisco Franco a mis en place un régime autoritaire et traditionaliste. En 1968, l’État a promulgué l’année précédente une loi organique qui vient apporter quelques libertés apparentes : le Parlement est réformé a minima avec l’introduction de députés locaux, et bien que les associations de citoyens soient à nouveau autorisées, seules sont approuvés les groupes contrôlés par le pouvoir politique. Le pays connait également une période de “miracle économique” , avec l’accélération de l’industrialisation et la naissance du tourisme de masse dans le pays. Le régime n’entamera son crépuscule qu’à partir de l’année 1969, pendant laquelle un scandale financier bousculera l’autorité en place. La dictature espagnole tombera définitivement en 1975, à la mort de Franco.

La démocratie grecque malmenée par les colonels

De l’autre côté de la Méditerranée, une autre dictature vient tout juste de voir le jour. En Grèce, une junte de colonels menée par Georges Papadópoulos a effectué un coup d’État en 1967. La Constitution est abolie, les opposants sont jugés en cour martiale, le roi a quitté la Grèce. En 1968, le régime se renforce encore par le biais d’une nouvelle constitution.

Mais cette junte est mal vue par la population. En août 1968, le dissident Aléxandros Panagoúlis tente d’assassiner le colonel Papadópoulos en plaçant une bombe près de sa voiture. L’attentat échoue et Aléxandros Panagoúlis est arrêté. Une vague de protestations à l’international lui permet d’échapper à la peine de mort. Quelques mois plus tard, le 1er novembre, le décès en résidence surveillée du très populaire ancien Premier ministre grec Georges Papandreou, entraîne de larges manifestations contre l’appareil en place. Si les protestations bousculent la dictature, celle-ci ne chutera qu’en 1974, après l’invasion du nord de Chypre par la Turquie. A la suite de cette invasion, un gouvernement d’union nationale sera mis en place en Grèce pour apaiser les tensions avec la Turquie. Le nouveau Premier ministre, Konstantínos Karamanlís en profitera pour enclencher un processus de transition démocratique. Celui-ci aboutira à l’adhésion de la Grèce à la CEE en 1981.

La décolonisation inachevée

Dans le reste du monde, les empires coloniaux ne sont pas encore intégralement démantelés. Certes une grande vague d’indépendances avait suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais le Royaume-Uni dispose encore de protectorats dans la péninsule arabique (qui deviendront en 1971 les Emirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn), contrôle Hong Kong, ainsi que certaines îles du Pacifique (Tonga, Salomon) et des Caraïbes (Saint-Christophe-et-Niévès). Londres refuse surtout de reconnaître la déclaration d’indépendance de la Rhodésie du Sud (ex-Zimbabwe), proclamée unilatéralement en 1965. Les Français dominent quant à eux les Comores et Djibouti et l’Espagne, le Sahara espagnol (désigné par la suite Sahara occidental). Les Pays-Bas sont également présents au Suriname (Amérique du Sud).

Mais à cette époque, c’est surtout le Portugal qui va à contre-courant de ses voisins occidentaux. Alors que la plupart des empires connaissent la décolonisation, Salazar envoie une vague de migrants portugais pour peupler ses colonies. L’Empire colonial est en effet au centre de son discours patriotique. Ainsi, en 1968, Lisbonne a encore sous sa coupe la Guinée-Bissau, le Mozambique, le Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe et l’Angola, secouées par des revendications indépendantistes.

Vidéo de la chanson Revolution des Beatles, sortie en 1968

“L’Angleterre des Beatles”

Depuis le début des années 1960, l’Angleterre vibre au rythme de la pop music. Après le retentissement planétaire de la musique des Beatles, une vague de groupes connait un succès fulgurant : les Rolling Stones, The Who, The Kinks, ou encore Pink Floyd, qui se produit pour la première fois sur scène lors de cette année 1968.

Le phénomène glisse même entre les barbelés du rideau de fer pour atteindre l’Europe de l’Est. Les 45 tours se vendent au marché noir, des garçons se laissent pousser les cheveux, et les Rolling Stones deviennent le premier groupe à jouer dans un pays du bloc de l’Est, lors d’un concert donné à Varsovie en 1967.

L’Union européenne n’existe pas

En 1968 enfin, la construction européenne n’en est encore qu’à ses débuts. La Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’Union européenne créée en 1992, est alors composée de ses “seuls” six membres fondateurs : Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas. L’architecture de la CEE est similaire à celle actuellement en vigueur, avec la Commission européenne, le Conseil des ministres des Etats membres et le Parlement européen. Mais les pouvoirs appartiennent alors très largement aux gouvernements, tandis que les parlementaires ne sont pas encore élus au suffrage universel direct.

Par ailleurs, l’Europe est à cette époque essentiellement économique et se concentre sur son marché commun. La politique agricole commune est mise en place en 1962 et les droits de douane sont progressivement abolis de 1957, année de signature du traité de Rome, à 1968. Un tarif douanier est également instauré entre les Six et le reste du monde. Il faudra attendre encore un certain nombre d’années pour que les Etats membres décident de l’approfondissement de la construction européenne. D’abord avec une plus grande coopération monétaire, puis avec la libre circulation des personnes et enfin avec l’instauration de l’Union européenne et de l’euro.

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