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Isabelle Jégouzo : “quand l’Europe parle d’une seule voix, elle se fait entendre”

L’UE fonctionne sur la confiance entre les Etats membres”. C’est en rappelant ce principe qu’Isabelle Jégouzo, cheffe de la représentation de la Commission européenne en France, veut croire à l’obtention d’accords d’ici la fin de l’année sur des dossiers aussi importants que la taxe GAFA ou le budget et à une Europe qui saura s’imposer sur la scène internationale.

Drapeaux européens devant le Parlement européen

Dans son discours sur l’état de l’Union, Jean-Claude Juncker a très solennellement annoncé : “l’heure de la souveraineté européenne a définitivement sonné” . Est-ce maintenant ou jamais ?

L’Europe est une zone de stabilité. C’est le moment de la positionner dans les grands blocs mondiaux alors que l’environnement politique et économique international est très incertain. Quand l’Europe parle d’une seule voix, elle se fait entendre. Voilà le grand message !

Quand l’Europe a-t-elle parlé d’une seule voix récemment ?

Quand Jean-Claude Juncker s’est rendu à Washington en juillet pour rencontrer Donald Trump. Le président américain a compris qu’il n’avait qu’un seul interlocuteur sur les questions commerciales, un interlocuteur qui représente 22% du PIB mondial : l’Union européenne ! L’Europe unie a répondu fermement, mais légalement, aux décisions américaines d’imposer des taxes aux frontières. Preuve que si l’Europe veut affirmer sa souveraineté, elle en a les moyens.

Donald Trump a même déclaré avec malice “Jean-Claude Juncker est un dur à cuire” …

Je pense que Donald Trump a été très surpris par la fermeté de la réponse européenne. Evidemment, le président américain manie l’ironie, mais sa réflexion illustre aussi le rapport de force dans ce domaine. Il a compris que l’UE unie est forte.

Isabelle Jégouzo

Isabelle Jégouzo est cheffe de la représentation de la Commission européenne en France depuis 2016.


Dans le domaine commercial, pour lequel l’Union est compétente, il est sans doute plus facile d’affirmer sa souveraineté. Mais sur le terrain diplomatique ?

Dans le système international, l’Europe n’existe pas lorsqu’elle est désunie ! Si un seul Etat membre n’est pas d’accord, l’Europe ne peut pas s’exprimer. C’est la raison pour laquelle Jean-Claude Juncker propose d’utiliser la “clause passerelle” pour passer à la majorité qualifiée dans le domaine international.

Il faut donc en finir avec la règle de l’unanimité en politique étrangère, mais aussi sans doute pour la fiscalité ?

Oui, si l’Europe veut être efficace elle ne peut pas être bloquée par un seul Etat. En fait, la règle de la majorité qualifiée a un grand mérite, elle permet de générer une négociation entre les Etats. On est donc dans une attitude constructive.

En matière fiscale nous avons fait des progrès, également grâce à la politique de concurrence menée par Margrethe Vestager. Sur injonction de la Commission européenne, l’Irlande vient par exemple de recouvrer les avantages fiscaux supposés d’Apple, plus les intérêts, soit 14,3 milliards d’euros.

Vous parlez d’Apple. La taxe sur les GAFA verra-t-elle le jour ?

Je pense qu’on peut avoir une décision d’ici la fin de l’année. L’idée générale derrière toutes les mesures fiscales est très simple : l’entreprise paie ses impôts là où elle réalise ses profits, GAFA ou pas ! Nous devrions aussi avancer sur l’ACCIS (assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés). C’est une condition d’affirmation de la souveraineté européenne : il ne doit pas y avoir de distorsions fiscales entre les entreprises.

Le 21 septembre, nous avons fêté le premier anniversaire du CETA, qui est partiellement appliqué dans l’attente de la validation définitive des Etats membres. Peut-on tirer un premier bilan ?

Nous notons de bons résultats, notamment une hausse de 7% des exportations de l’UE vers le Canada, alors que les importations de viande, sur lesquelles il y avait des inquiétudes de la filière bovine, sont en baisse, en raison des exigences phytosanitaires de l’UE.

Ce premier bilan est donc bon, même s’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives, car nous n’avons pas le recul suffisant. Le CETA doit encore être ratifié par les Etats membres et nous avons des inquiétudes en la matière, même si nous avons fortement renforcé la protection des 143 indications géographiques protégées.

Toujours dans le domaine économique, parlons d’extraterritorialité. Comment l’Europe peut-elle mieux protéger ses entreprises, notamment vis-à-vis des Etats-Unis ?

C’est évidemment très compliqué, sachant que dans de nombreux domaines le dollar est la monnaie d’échange, comme par exemple en aéronautique. Ainsi, les transactions entre Airbus et des compagnies aériennes européennes se font en dollar, ce qui est quand même curieux !

L’Europe peut apporter une réponse en imposant l’euro, deuxième monnaie d’échange au niveau mondial, comme une devise totalement alternative au dollar. Cela veut dire renforcer l’Union économique et monétaire (UEM). Là encore les Européens doivent s’en donner les moyens : il faut une pleine stabilité de l’euro et que chacun respecte les règles du jeu de la monnaie commune avec une plus grande convergence des économies.

Le Parlement européen s’est prononcé en faveur de sanctions envers la Hongrie, qui ne respecterait pas l’Etat de droit. Comment aller au bout du processus considérant que les sanctions ne peuvent être déclenchées qu’à l’unanimité ?

Le Parlement européen a voté en faveur du déclenchement de l’article 7 et Jean-Claude Juncker y est favorable. Je crois qu’il faut distinguer l’aspect vote et l’aspect pression : ce n’est jamais positif pour un Etat membre d’être montré du doigt pour le non-respect de ses engagements européens. Cela compte. La Commission a aussi soumis la proposition, dans le cadre du prochain budget (2021-2027) de suspendre les fonds européens pour les Etats qui ne respecteraient pas les droits de l’homme. L’Etat de droit est non négociable au sein de l’UE, cela fait partie de notre ADN.

La question migratoire divise aussi les pays de l’Union. Une meilleure gestion des migrations apporterait déjà un élément de stabilité…

En 2015, au moment où a surgi la crise migratoire, l’Europe n’avait pas les moyens de répondre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et l’Europe a repris le contrôle de ses frontières en réponse à la crainte légitime de la population européenne. Le court terme est maîtrisé. En revanche, nous devons répondre aux phénomènes de long terme liés aux déséquilibres démographiques entre l’Europe et l’Afrique. Il faut agir sur 3 axes :

  1. En amont vis-à-vis de l’Afrique, en intensifiant l’aide au développement.
  2. Par une action renforcée aux frontières en accordant plus de moyens à Frontex.
  3. Par une convergence des politiques européennes en matière d’asile grâce à l’EASO (Bureau européen d’appui en matière d’asile) qui doit aller plus loin dans l’aide aux Etats membres.

Ne craignez-vous pas que le débat lors des élections européennes en mai 2019 ne soit totalement occulté par les discours sur les migrations ?

Le maître mot, c’est maîtrise ! La montée des populismes en Europe est liée au sentiment que l’Europe n’a plus la maîtrise de ses frontières. J’estime que l’on a repris cette maîtrise : il faut que cela se voie ! Qu’on cesse d’agiter les peurs lorsqu’arrive sur nos côtes un bateau avec des migrants. Aujourd’hui nous avons les moyens de répondre, d’identifier les gens qui ont besoin d’asile, de les accueillir. L’UE fonctionne sur la confiance entre les Etats membres, mais évidemment si on ne veut pas trouver de solutions, ni négocier, on n’en trouvera pas.

Concernant le Brexit, craignez-vous un “no-deal” avec le Royaume-Uni ?

D’abord il est bon de préciser que nous avons un accord avec le Royaume Uni sur 80% des sujets. Unie derrière son négociateur Michel Barnier, l’UE a fixé des lignes rouges qu’elle ne franchira pas, comme le non-retour à une frontière entre les deux Irlande, ou comme le fait que le marché unique est indivisible. On ne peut pas avoir hors de l’Union une meilleure position que dans l’Union ! Et n’oublions pas que ce futur accord doit être ratifié par tous les parlements nationaux. Or si cet accord est déséquilibré, il ne sera pas ratifié.

Nous sommes à 8 mois des élections. Pensez-vous que le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027) sera adopté avant les élections ?

La Commission le demande. Si le budget n’est pas adopté dans cette mandature, les discussions ne reprendront pas avant le mois de novembre 2019. Et nous n’aurons plus le temps de faire toutes les programmations nécessaires à sa mise en place en janvier 2021. Il y a le risque d’une rupture dans certains programmes.

Au-delà de cette dimension technique, un budget revêt aussi un sens politique. Nous avons fait des propositions pour que le budget soit plus flexible, laisse des possibilités d’agir et de changer des orientations. Les politiques auront donc les marges de manœuvre nécessaires pour réagir. Nous avons tiré la leçon du dernier cadre financier. Voter le budget ce serait donc accorder sa confiance à l’UE. Et dans la période actuelle, je pense que ce serait un signe très fort.

Pour ces élections, c’est aux Européens de se prononcer : “voulons-nous être unis et souverains” ? Si la réponse est non, nous serons à la merci d’autres grandes puissances, c’est tout l’enjeu du débat.

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