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Elections irlandaises : entre la colère et le désir de changement

En Irlande, après quatorze années de gouvernement par le Fianna Fail, cinq grands partis s’affrontent aujourd’hui vendredi 25 février à l’occasion d’élections législatives. Celles-ci sont d’autant plus attendues que la campagne aura été intense. Les sujets nationaux ainsi qu’européens ont été au cœur de la campagne : renégociation du plan d’aide européen, sauvegarde du taux d’imposition sur les sociétés, réforme du système de santé et de la structure politique. Retour sur le profil des différents partis et leurs programmes au moment où les Irlandais se rendent aux urnes.

“Soldats du destin” versus “Tribu des Gaels” : qui sont les partis en lice ?

L’échiquier politique irlandais correspond peu aux schémas classiques gauche-droite qu’on trouve ailleurs en Europe. Les deux grandes formations politiques sont nées de la guerre civile en 1922-23 où le pays s’est déchiré autour d’un traité d’indépendance par rapport au Royaume-Uni. Les partisans du traité, dont Michael Collins, considéraient qu’il permettait au peuple Irlandais de faire un grand pas en avant vers sa liberté. Ce parti deviendra plus tard le Fine Gael. Dans le camp adverse, le parti qui deviendra le Fianna Fail souhaitait obtenir une indépendance totale pour l’Irlande et le non un statut de “dominion” , comme celui que possédait le Canada. Les séquelles de cette guerre ont plané sur le débat politique pour plusieurs décennies.

Le Fianna Fail (“les Soldats du destin”) a été historiquement le plus grand parti politique et a passé la majorité des 80 années de son existence au gouvernement. C’est un parti nationaliste qui a soutenu pendant de nombreuses années la réunification de l’Ile, jusqu’aux accords de paix en 1998. Son fondateur Eamon De Valera a fortement inspiré la Constitution actuelle de l’Etat. Ce parti du centre-droit forme des coalitions aussi bien avec des partis de droite de tendance ultra-libérale (notamment les “Progressive” démocrates) que de gauche (le Labour). Fianna Fail a rejoint le groupe ADLE au Parlement européen en 2009.

La guerre civile irlandaise 1922-23

L’Irlande a connu deux guerres au début des années 20. La première guerre d’indépendance contre les Anglais a eu lieu de 1919 à 1921. Cette guérilla contre l’ancienne puissance coloniale s’est terminée par une trève en 1921. Lors des négociations en 1921, l’Irlande et le Royaume-Uni ont trouvé un compromis aboutissant à un traité d’indépendance qui accordait un statut de dominion à l’Irlande, c’est-à-dire d’Etat libre au sein de l’Empire britannique sous l’autorité de la Reine d’Angleterre. Selon les mots des défenseurs du traité, “il accordait à l’Irlande la liberté d’atteindre sa liberté” . Le Parlement irlandais s’est divisé au sujet de ce traité : la majorité des députés a voté en faveur du traité et une minorité menée par Eamon De Valera a voté contre.
Ces deux factions se sont affrontées ensuite lors de la guerre civile. Les partisans du traité ont gagné la guerre civile et sont devenus par la suite le Fine Gael. Les héritiers des opposants au traité sont devenus le Fianna Fail.
L’Etat libre a existé entre 1922 et 1937 jusqu’à ce que l’Irlande réussisse à remplacer l’Etat libre par une nouvelle Constitution, préfigurant la création en 1949 de la République d’Irlande.



Le plus grand parti d’opposition est le Fine Gael (“Tribu des Gaels”). Il est le deuxième parti du pays depuis toujours mais connaît un renouveau considérable depuis la crise en 2008. Fine Gael tient sa réputation de parti de l’ordre et de la justice de son soutien au traité d’indépendance et sa participation à la création des institutions de l’Etat après la guerre civile. Fine Gael fait partie du groupe PPE au Parlement européen.

Plus ancien que le Fianna Fail ou le Fine Gael, le Labour a été fondé en 1912 et est le seul parti politique qui a existé avant la création de l’Etat. Dans le contexte politique agité des élections de 1918 et 1921, le parti travailliste s’est abstenu des élections afin de laisser le peuple trancher la question nationale. Cette décision a eu des conséquences néfastes pour la popularité du parti par la suite car les électeurs, qui pour la plupart votaient pour la première fois, ont créé des liens forts avec les autres partis qui allaient durer pendant plusieurs générations. Le parti travailliste irlandais milite pour une société plus équitable et représentait traditionnellement les classes ouvrières et populaires. Au niveau européen, ils siègent avec le groupe des Socialistes et des démocrates.

Créés en 1981, les Verts sont un parti politique jeune. Ils viennent de terminer leur premier mandat gouvernemental en coalition avec Fianna Fail ce qui ne devrait pas aider leur chances lors de cette élection. Ils prônent la justice sociale et la protection de l’environnement comme leurs partis frères en Europe.

Le dernier parti, qui pourrait bien faire une percée inattendue lors de ces élections, est le Sinn Féin, l’aile politique du mouvement républicain pour la réunification de l’île. Le parti est très nationaliste et s’est toujours opposé à l’appartenance de l’Irlande à l’Union européenne. Sur le plan économique, le parti se situe à l’extrême gauche du spectre politique.

L’Europe s’invite dans la campagne

Dans une Irlande toujours frappée par la crise, la campagne a été dominée par des sujets sur l’avenir économique du pays. Le plan d’aide européen est sévèrement critiqué par tous les partis sauf le Fianna Fail qui défend son bilan à la tête du gouvernement sortant. Sa renégociation est un élément clé des débats. Fine Gael et Labour, pressentis pour former le prochain gouvernement, ont tous les deux inclus dans leurs programmes la révision des termes de l’accord avec l’Union européenne et le FMI, et surtout les taux d’intérêt avoisinant 6% que beaucoup estiment très punitifs.

Fine Gael propose des coupes budgétaires radicales afin d’atteindre la date butoir de 2014 fixée par les autorités européennes pour le retour du déficit à 3%. Le Labour demande une participation des détenteurs des obligations des banques irlandaises. Le rôle que l’Union européenne aurait joué dans la crise est remis en cause. Certains politiques pointent la pression que l’Irlande aurait subi pour accepter l’aide européenne afin de sauver la zone euro toute entière. Paradoxalement, l’aide est de plus en plus vécue par la population comme une contrainte et un cadeau empoisonné.

Traditionnellement le plus europhile des partis politiques irlandais, le Fine Gael propose un programme qui contient le plus de points d’action concrets sur l’Europe, avec 30 propositions. Le Labour sort deuxième de ce classement européen des programmes politiques réalisé par le Mouvement européen en Irlande. Les deux partis citent la PAC, la politique de la pêche, la politique étrangère et de défense et l’environnement comme domaines prioritaires pour l’Irlande au niveau européen. En revanche, le Fianna Fail, les Verts et le Sinn Féin citent très peu l’Union européenne dans leurs programmes.

Cependant, si ce penchant européen des programmes peut sembler louable, l’angle choisi est très souvent défensif : maintien du taux bas d’imposition sur les sociétés, défense de la PAC ou des quotas de pêche. Un engagement plus proactif et constructif sera nécessaire si l’Irlande espère regagner un jour sa place d’élève modèle de la construction européenne.

Enfin, les sujets purement nationaux ne manquent pas dans cette campagne. La réforme du système de santé jugé très inéquitable et inefficace en est un enjeu majeur ainsi que la création d’emplois et de grands projets pour relancer l’économie.

Prévisions : gouvernement majoritaire ou coalition droite-gauche ?

Depuis le début de la crise le soutien pour le Fianna Fail est en chute libre, sévèrement sanctionné pour leur gestion économique du pays. De première formation politique, ils devraient glisser à la troisième place tellement les sondages les concernant sont en berne. De plus de 47% avant la crise, ils recueillent seulement 12% des intentions de vote aujourd’hui. Le grand gagnant serait le Fine Gael qui remporterait peut être une majorité absolue des sièges avec 38% d’opinions favorables, chose assez rare dans la politique irlandaise où un système de proportionnel distribue très largement les votes entre les candidats et non entre les partis.

Dans les dernières semaines de la campagne, le Parti travailliste a reculé dans les sondages se situant aujourd’hui à 23%. Les Irlandais se méfiant d’un gouvernement composé d’un parti unique, le résultat final pourraient refléter cette tendance de fond avec un soutien plus appuyé pour le Labour en tant que partenaire de coalition. A titre de comparaison, le dernier gouvernement majoritaire composé un parti unique remonte aux années 70.

Alors que 3 millions d’Irlandais se rendront aux urnes aujourd’hui, le taux de participation devrait être élevé. Selon les scores des circonscriptions des îles périphériques, 76% des électeurs ont bravé le mauvais temps pour voter : un signe que malgré la crise les Irlandais croient encore au changement et à leur avenir.


En savoir plus :

Les actualités sur l’Irlande - Toute l’Europe

Comparaison des programmes des partis politiques irlandais - Mouvement européen Irlande

Le site du Irish Times, grand quotidien irlandais

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