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Elections européennes : histoire d’un scrutin pas comme les autres

Le Parlement européen est la seule institution européenne dont les membres sont élus au suffrage universel direct, pour un mandat de 5 ans. L’élargissement progressif de ses compétences lui permet aujourd’hui de détenir le pouvoir législatif aux côtés du Conseil des ministres. Par ailleurs, il dispose d’un pouvoir de contrôle sur la Commission. Retour sur les 8 dernières élections européennes.

Session de votes au Parlement européen de Strasbourg
Session de votes au Parlement européen de Strasbourg - Crédits : Parlement européen

1979 : premières élections au suffrage universel direct

Les élections européennes de juin 1979 marquent un tournant important dans l’histoire de l’UE : pour la première fois, elles ont lieu au suffrage universel direct. Ainsi, du 9 au 12 juin 1979, les électeurs des neuf pays membres de la Communauté économique européenne se rendent aux urnes dans leurs pays respectifs pour élire les 410 députés qui siègeront au Parlement européen durant les cinq années à venir. A cette date, le Parlement européen reste toutefois une institution essentiellement consultative et non participative dans l’élaboration des actes communautaires.

Dès ce scrutin de 1979, deux groupes politiques européens accueillant des partis nationaux tirent leur épingle du jeu. Il s’agit du Parti socialiste européen (PSE), auquel adhère par exemple le Parti socialiste français, et du Parti populaire européen (PPE), au sein duquel siègera une partie des eurodéputés de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing. Une prédominance bipartisane qui se renouvellera continuellement lors des élections suivantes. A eux deux, le PSE et le PPE cumulent 220 sièges et s’accordent pour se partager, tous les 2 ans et demi, la présidence du Parlement.

Première personnalité à occuper ce poste après l’instauration du suffrage universel direct : la Française Simone Veil, figure européenne incontournable qui, à travers ses positions fédéralistes et supranationales, a largement contribué à augmenter la visibilité du Parlement auprès de l’opinion publique.

Notons enfin que ces élections européennes de 1979 ont été un succès, avec une participation moyenne de 62% (60% en France). Un taux de participation record jamais atteint depuis.

1984 : les européennes, des élections de second ordre ?

Cinq ans plus tard, puisque la Communauté économique européenne compte un membre de plus, la Grèce, le nombre de sièges à pourvoir au Parlement européen passe à 434.

De ces élections, le politologue français Jean-Luc Parodi retient cinq phénomènes importants. Premièrement, l’absence de thèmes européens dans les débats politiques. En effet, s’ancre l’idée selon laquelle les élections européennes ne sont qu’une consultation de politique intérieure, des “élections nationales de second ordre” . De fait, selon un sondage BVA-Paris Match du 24 février 1984, seuls 29% des Français déclarent se décider en fonction des problèmes européens. Alfred Grosser, politologue et historien franco-allemand, renforce cette idée en affirmant que “les dosages, les rétributions pour services rendus, les querelles de grands ou de petits chefs ont présidé au choix et à l’ordre de succession des noms beaucoup plus que la seule préoccupation qui aurait dû compter : quelle compétence pour siéger, quelle influence possible à Strasbourg, quelle capacité de travailler dans un groupe parlementaire transnational et dans une institution chargée de tâches non nationales ?” .

Deuxièmement, les électeurs s’interrogent sur l’utilité du scrutin européen dans la mesure où il est sans impact sur l’exécutif. Troisièmement, le taux d’abstention ne cesse d’augmenter, atteignant 43,27% en France. Quatrièmement, scrutin proportionnel oblige, on observe une multiplication des listes électorales : quatorze en France, soit trois de plus qu’en 1979. Enfin, et en conséquence du précédent phénomène, l’extrême droite opère une première percée significative, le Front national de Jean-Marie Le Pen obtenant plus de 10% des voix.

1989 : percée des écologistes

En juin 1989, lors de la troisième édition des élections européennes, les électeurs des désormais 12 Etats membres élisent 518 députés européens. Grâce à l’Acte unique européen de 1986, qui introduit une procédure de coopération, le Parlement détient alors un pouvoir consultatif plus important, même si le Conseil conserve le dernier mot.

La législature 1989-1994 sera marquée par l’enracinement du duopole PSE-PPE. Ces deux groupes cumulent en effet les deux tiers des élus, ce qui leur permet d’exercer un contrôle sur tous les dossiers relatifs au Parlement et de s’accaparer les présidences des commissions parlementaires les plus importantes.

Ces élections viennent également confirmer l’importance du vote d’extrême droite, motivé par un refus de toute supranationalité et illustré par des propos anti-européens sans cesse croissants. Parallèlement, émerge un nouveau vote écologiste : les Verts remportent 6% des votes, ce qui leur permet de créer leur propre groupe. “Les Verts ont constitué la principale surprise des élections européennes” , explique en effet le politologue Philippe Habert. “C’est la première fois depuis leur irruption sur la scène politique en 1974, que les écologistes réalisent, à l’occasion d’un scrutin national, une telle percée électorale” . On assiste par ailleurs au déclin communiste, “dont l’électorat rejette l’Europe communautaire et conçoit une réelle appréhension à l’égard du marché unique” .

La participation, quant à elle, continue de s’éroder, passant de 56,72% en 1984 à 48,8% en 1989 pour la France.

1994 : glissement vers la droite

Les élections européennes de 1994 représentent un point de rupture institutionnel avec les trois scrutins précédents. En effet, elles suivent l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en novembre 1993, donnant naissance à l’Union européenne et, selon les politologues Pascal Perrineau et Colette Ysmal, “porteur d’un message plus politique, social et éventuellement culturel” .

De plus, avec la Réunification allemande, le nombre d’électeurs passe à 240 millions, chargés d’élire 597 eurodéputés. Pour ce qui est de la participation, son taux global est en baisse mais il augmente en France, repassant au-dessus des 50%. Bien qu’il reste le parti majoritaire avec 198 sièges, le PSE perd en puissance, notamment au profit du PPE (157 sièges) et d’autres formations de centre-droit. Selon Henri Labaye, professeur de droit, et Jean-Daniel Chaussier, politologue, “ces résultats ne sont pas une surprise : la continuité européenne d’un relatif glissement à droite a pour équivalent un désintérêt relatif pour les consultations électorales” . Un glissement à droite accompagné d’une montée du vote protestataire et eurosceptique.

1999 : renversement des forces politiques, la droite en tête

En juin 1999, les élections européennes mettent en jeu 626 sièges d’eurodéputés représentant les citoyens des 15 pays membres de l’Union. A la suite de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le Parlement européen a vu ses compétences s’élargir avec désormais un pouvoir d’élaboration des législations et de contrôle sur la Commission européenne. Mais malgré l’extension des prérogatives de l’institution et la tentative de repolitiser le scrutin, l’intérêt des citoyens s’érode et la participation électorale en 1999 est marquée par une baisse très importante avec un taux global qui passe sous la barre des 50%. Pour Caroline Sägesser, professeure à l’université libre de Bruxelles, “cette faible participation et le désintérêt pour la chose européenne qu’elle sous-tend apparaissent comme contradictoires par rapport à l’importance accrue des prérogatives du Parlement et aux appels fréquents à une démocratisation du fonctionnement des institutions européennes” .

Pour la première fois depuis 1979 et dans la continuité du renforcement des formations de droite engagé lors des élections précédentes, le PPE devient le parti majoritaire avec 53 sièges de plus que le PSE (233 contre 180). La composition du PPE s’est élargie en englobant des formations plus conservatrices, ainsi qu’en ralliant le RPR français, qui figurait jusqu’ici au sein de la droite souverainiste. Derrière ces deux groupes majoritaires, les libéraux et les écologistes sont aussi en progression. S’agissant des eurosceptiques et antieuropéens, ils figurent au sein de deux groupes distincts, sachant que certains eurodéputés de droite radicale, comme ceux du FN, restent non-inscrits.

2004 : le grand élargissement de l’UE n’enraye pas l’abstention

Les élections européennes de 2004 sont un véritable événement historique puisqu’elles font immédiatement suite au grand élargissement de 2004. Elles consacrent ainsi, selon les mots du politiste Michel Hastings, le “retour à l’Europe de cette part d’Occident kidnappée le temps d’une Guerre froide” . Ce sont désormais 732 députés européens qui seront élus par les 352 millions d’électeurs de 25 États membres.

Pourtant, l’abstention continue d’augmenter, y compris et particulièrement au sein des 10 nouveaux Etats membres, entrés dans l’UE quelques semaines plus tôt. Une désaffection électorale due au manque de clarté des enjeux européens, à la technicité des dossiers, ou encore aux contraintes institutionnelles qui ne permettent pas au Parlement (dont les pouvoirs augmentent pourtant) d’accroitre sa visibilité et sa popularité. Pour Michel Hastings, cette abstention est globalement porteuse de sens : par le vote (vote sanction) ou l’absence de vote, les électeurs marquent leur désapprobation aux partis nationaux.

Sur le plan partisan, le PPE-DE (alliance entre le PPE et quatre autres formations dont le Parti conservateur britannique), avec 268 députés (soit 37% de l’hémicycle) demeure la principale formation du Parlement européen. Il est le seul groupe dont les membres sont issus des 25 États membres. L’influence politique des députés europhobes est, quant à elle, limitée par leurs divisions et leur dispersion.

2009 : le Parlement à l’épreuve de la crise

En juin 2009, à la suite d’une campagne peu mobilisatrice et dans un contexte global de crise financière internationale, les citoyens des 27 Etats membres de l’Union sont appelés à voter pour élire leurs 736 représentants à Strasbourg. La participation suit sa tendance à la baisse apparemment inexorable : elle est de 43% globalement et décroche fortement en Italie et en Grèce, qui perdent respectivement 6,7 et 10,6 points de participation.

Le résultat du suffrage donne une large victoire à la droite : le PPE gagne 265 sièges, alors que le PSE chute à son niveau le plus bas depuis 1979 avec 184 sièges soit 25,2% du Parlement. Même en ajoutant au score du PSE celui de toutes les listes de gauche, ces groupes ne représentent que 32,1% du Parlement, un résultat historiquement bas. A l’inverse, l’ensemble des groupes de droite, certes aux positions très différentes, atteint la majorité absolue. Le vote contestataire, après les premiers mois de crise, s’est donc essentiellement porté sur l’extrême droite, qui totalise 6,6% des suffrages. En effet, comme le remarquent les politologues Corinne Deloy, Dominique Reynié et Pascal Perrineau, la vague écologiste que certains attendaient a été très limitée et circonscrite à trois des pays fondateurs, tandis que les mouvements d’extrême gauche n’ont pas réussi à tirer avantage du contexte de crise économique.

2014 : résultats records pour les antieuropéens

Les élections européennes de 2014 se déroulent dans un contexte particulier à la fois de crise économique persistante et de défiance grandissante contre la politique européenne. Toutefois, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, qui a l’ambition de renouveler le rôle et l’intérêt des citoyens dans les institutions européennes, le scrutin a une influence directe sur la nomination du président de la Commission. Ce dernier est élu par le Parlement parmi les candidats têtes de liste des groupes politiques européens lors de la campagne. L’abstention continue malgré tout d’être le premier parti d’Europe, avec seulement 43% de taux de participation globale.

Bien qu’en léger recul, le PPE reste majoritaire avec plus de 220 sièges (sur 751) et c’est son candidat, Jean-Claude Juncker qui prend la tête de la Commission avec le soutien des socialistes. A droite, un groupe conservateur concurrent au PPE et plus eurosceptique se forme, composé notamment des conservateurs britanniques et de la droite radicale polonaise. A gauche, les socialistes et démocrates, dont le PSE est la principale composante, reste la première formation, mais se trouve concurrencée par la gauche radicale et les verts. Les élections sont également caractérisées par une montée sans précédent des antieuropéens : l’extrême droite arrive en tête en France, au Royaume Uni et au Danemark.

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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