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A la loupe

[Fact-checking] La défense européenne n'est-elle rien sans l'Otan ?

Si les Etats-Unis ne respectaient plus leurs engagements vis-à-vis de l’Alliance atlantique, les Européens seraient incapables d’assurer eux-mêmes leur sécurité. Cette représentation est tenace mais est-elle justifiée ?

Parmi les 29 pays européens membres de l'Otan, 22 appartiennent également à l'Union européenne
Parmi les 29 pays européens membres de l’Otan, 22 appartiennent également à l’Union européenne - Crédits : Roman Babakin /iStock

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE

  • Les Européens restent dépendants des Etats-Unis et de l’Otan en matière de défense.
  • Les armées nationales européennes sont toutefois loin d’être dérisoires et se renforcent depuis plusieurs années. 
  • L’Europe de la défense se construit petit à petit, mais a plutôt vocation à compléter l’Alliance atlantique, et non à la remplacer. 

Si l’Europe est attaquée, nous ne viendrons pas vous aider”. Des propos que Donald Trump, alors président des Etats-Unis, aurait prononcés en 2020 lors du forum de Davos en Suisse, en s’adressant à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Lorsque le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton l’a rapportée en janvier dernier, la menace non voilée d’un désengagement militaire des Américains sur le Vieux Continent a fait ressurgir des craintes côté européen, en lien avec un éventuel retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis en 2025. D’autant que le candidat à la primaire républicaine ne semble pas dévier de sa position. Dans l’hypothèse d’une attaque de la Russie, “je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à vous faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos dettes”, a asséné Donald Trump, lors d’un meeting en Caroline du Sud samedi 10 février, à l’attention des Etats membres de l’Otan dont les dépenses militaires sont trop faibles. Une nouvelle remise en cause de l’organisation largement commentée par les Européens, qui s’interrogent encore une fois sur l’avenir de l’Alliance atlantique. 

De quoi illustrer la dépendance de l’Europe vis-à-vis de Washington et son incapacité à se défendre elle-même ? Bien sûr, les Etats-Unis jouent un rôle déterminant dans la protection des Européens à travers l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), où ils occupent une position centrale. Car l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, signé par les 31 membres de l’organisation, prévoit une assistance mutuelle si l’un d’entre eux était agressé. Mais affirmer que la défense européenne n’est rien sans l’Alliance atlantique apparaît cependant comme une simplification des réalités militaires en Europe, qu’elles soient nationales ou communes.

La superpuissance militaire américaine et l’Otan

Souvent considérée comme la plus puissante au monde, l’armée américaine compte plus d’1,3 million de militaires d’active, avec près de 800 000 réservistes. Elle est par ailleurs dotée d’une puissance de frappe atomique très importante. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), 5 244 ogives nucléaires seraient en possession des Etats-Unis. Sans compter du matériel et des équipements militaires très développés et à la pointe de la technologie.

Depuis la création de l’Otan en 1949, ce gigantisme de l’armée des Etats-Unis a su convaincre les Européens, de l’Ouest d’abord, puis de l’Est après la Guerre froide, du bien-fondé du parapluie militaire américain pour garantir leur sécurité. Rien d’étonnant donc à ce que 29 pays européens, dont 22 Etats membres de l’Union européenne, en fassent aujourd’hui partie.

Dernier venu, la Finlande en 2023. En réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, et à la menace que fait peser Moscou à ses frontières, le pays a ainsi rompu avec sa neutralité historique. Tout comme la Suède, qui devrait elle aussi rejoindre l’Alliance atlantique. Deux adhésions qui témoignent de l’importance accordée par les Européens à cette organisation pour assurer leur défense.

Des armées européennes à la puissance non négligeable

Si leur taille est modeste en comparaison de l’armée américaine, les forces nationales de défense en Europe sont loin d’être dérisoires. Parmi les Etats membres de l’Union européenne, trois comptent plus de 150 000 militaires d’active : la France (205 000), l’Allemagne (184 000) et l’Italie (170 000).

Surtout, la France fait partie des rares puissances nucléaires dans le monde. Elle disposerait de 290 ogives nucléaires. Une quantité bien inférieure à celle des Etats-Unis et de la Russie, avec ses 5 889 ogives. Mais la France se classe tout de même au quatrième rang mondial, derrière la Chine (410 ogives). Ce qui permet aux Vingt-Sept, liés depuis le traité de Lisbonne en 2009 (article 42.7) par une clause de défense mutuelle analogue à l’article 5 du traité de l’Otan, d’être associés à une force de dissuasion nucléaire, la seule de l’Union européenne. 

La France est également la seule parmi les Vingt-Sept à être membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, instance au cœur des questions de sécurité internationale, aux côtés des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie et du Royaume-uni. Celui-ci a quitté l’UE en 2020, mais reste un proche partenaire des Vingt-Sept. Et il tient une place particulière en Europe en matière de défense : membre de l’Otan et pourvu de l’arme atomique, le Royaume-Uni possède l’une des armées les plus puissantes au monde et entretient historiquement une relation très forte avec les Etats-Unis. 

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, les Etats membres de l’UE ont par ailleurs fortement augmenté leur budget militaire et ainsi musclé leur sécurité collective. Selon l’Agence européenne de défense (AED), les dépenses militaires ont été en augmentation moyenne de 6 % dans l’UE en 2023, avec six Etats membres pour lesquels cette hausse dépasse les 10 %. En Suède, elle est même supérieure à 30 %.

Des avancées pour l’Europe de la défense

Les capacités et les efforts militaires des Etats membres ne sont pas exclusivement réservés à l’Otan. De plus en plus, et notamment face aux craintes d’un désengagement américain, des initiatives communes des Européens dans le domaine de la défense apparaissent et gagnent en intensité.

En 2021, les Vingt-Sept ont par exemple initié le Fonds européen de défense, destiné à soutenir des projets transnationaux dans ce secteur, en stimulant la coopération entre industriels. Une plus grande autonomie stratégique de l’Union européenne est clairement recherchée à travers ce fonds, doté de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027.

En mars 2022, un mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les Etats membres adoptent leur “boussole stratégique”, livre blanc visant à définir les grandes orientations de la sécurité et de la défense européennes jusqu’en 2030. Là encore, ils indiquent leur volonté d’être plus proactifs sur les questions de défense.

Le contexte de la guerre en Ukraine les a aussi conduits à prendre d’autres initiatives. Comme le financement commun de livraisons d’armes à Kiev, avec 5,6 milliards d’euros pris collectivement en charge à ce jour. Ou encore un plan lancé en 2023 pour produire et fournir, de nouveau à Vingt-Sept, un million de munitions au pays. 

Dès 2003, l’UE a par ailleurs mené des missions militaires de gestion des crises, les Etats membres dépêchant hors des frontières européennes des soldats agissant au nom de l’Union. Plus de 30 opérations de ce type ont ainsi été lancées depuis plus de 20 ans, que ce soit en Bosnie-Herzégovine, au large des côtes somaliennes ou encore en mer de Libye.

Bien que la défense européenne se construise petit à petit, elle est toutefois loin de remplacer l’Otan et agit pour l’instant plutôt en complémentarité. Comme le résumait l’historienne spécialiste des questions de défense Nicole Gnesotto en 2022, “l’Otan reste le forum prioritaire pour la défense de l’Europe, alors que la politique de défense européenne consiste à gérer les crises extérieures à l’Europe”. Et la spécialiste d’affirmer : “La vraie condition pour que l’Europe soit un acteur militaire efficace, c’est que les pays de l’UE en soient d’accord. Ce qui manque, c’est très souvent la volonté politique et non les capacités”.

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