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Uber, Heetch, Deliveroo... Que prévoit la directive européenne sur les travailleurs des plateformes ?

La législation en préparation vise une meilleure protection sociale des travailleurs des plateformes numériques en Europe, dont plusieurs millions pourraient être requalifiés en salariés. Mais les Vingt-Sept et les eurodéputés doivent encore surmonter d’importantes divergences sur le texte.

A l'heure actuelle, 28 millions de personnes travaillent pour plus de 500 plateformes numériques dans l'UE - Crédits : Adrian Hancu / Commission européenne
A l’heure actuelle, 28 millions de personnes travaillent pour plus de 500 plateformes numériques dans l’Union européenne - Crédits : Adrian Hancu / iStock

Les Européens sont désormais très nombreux à avoir recours aux services des plateformes numériques. Que ce soit pour se faire livrer des repas ou des courses à domicile, se déplacer en VTC ou encore réaliser des travaux de bricolage chez eux, ces entreprises ont su conquérir une large clientèle. Mais leur modèle social pose question. 

Aujourd’hui, la grande majorité des travailleurs des plateformes ont un statut d’indépendant, bien que les sociétés en question exercent sur un eux un pouvoir de décision parfois très important. Faudrait-il alors qu’ils soient considérés comme salariés ? C’est l’enjeu principal d’une directive européenne en préparation.

Pourquoi une directive européenne sur les travailleurs des plateformes ?

A l’heure actuelle, 28 millions de personnes travaillent pour plus de 500 plateformes numériques dans l’UE, selon la Commission européenne. Et elles pourraient être 43 millions dès 2025. Plus de 90 % des plateformes concernées ne les considèrent pas comme des travailleurs salariés mais indépendants.

Ces entreprises exercent pourtant bien souvent un contrôle important sur eux. Celui-ci se matérialise notamment par la détermination du niveau de rémunération, l’imposition d’horaires de travail, l’impossibilité de refuser des missions ou encore l’obligation de porter un uniforme. Soit un lien de subordination entre employeur et travailleur qui s’apparente à celui du travail salarié. 

Une situation problématique en matière de protection sociale. Le plus souvent considérés en tant qu’indépendants, nombre de travailleurs des plateformes qualifiés à tort de non-salariés – 5,5 millions d’après la Commission – se voient privés des avantages du salariat (salaire minimum, congés payés, limitation du nombre d’heures travaillées hebdomadairement…). Le problème se pose aussi en termes de concurrence. Car contrairement aux entreprises qui officient dans les mêmes secteurs et qui emploient des salariés, les plateformes numériques faisant appel à des travailleurs indépendants ne versent pas de cotisations sociales au titre de leurs rémunérations.

La Commission européenne estime qu’entre 1,7 millions et 4,1 millions de travailleurs pourraient être requalifiés en salariés si la directive aboutissait. Soit moins que les 5,5 millions évoqués plus haut. Notamment parce que des plateformes pourraient adapter leur modèle économique afin de respecter la future législation sans avoir à recruter des salariés pour autant.

Quel est le contenu de la proposition initiale de la Commission européenne ?

Présentée le 2 décembre 2021, la proposition de directive de la Commission européenne a notamment pour objectif de permettre aux travailleurs des plateformes de bénéficier d’un statut en adéquation avec leur situation professionnelle. Elle implique que les autorités nationales appliquent une présomption de salariat pour les travailleurs d’une plateforme numérique dès lors que deux critères sur cinq préalablement définis sont remplis. Si une plateforme réfute le statut de salarié d’un travailleur, il lui incombera de prouver qu’elle n’a pas de relation de salariat avec celui-ci. 

Les critères proposés par la Commission sont les suivants :

  • la rémunération ou des plafonds de rémunération sont déterminés par les plateformes ;
  • le travail est supervisé par voie électronique ;
  • les horaires de travail sont peu flexibles ou la possibilité de refuser des tâches est limitée, tout comme avoir recours à des sous-traitants ou des remplaçants ;
  • des règles en matière d’apparence, de conduite avec les clients ou encore d’exécution des tâches sont imposées ;
  • les possibilités pour le travailleur de constituer une clientèle ou de réaliser des missions pour un tiers sont limitées.

La proposition de la Commission vise également à accroître la transparence concernant la gestion du travail par des algorithmes, omniprésents dans l’économie des plateformes. Les travailleurs des plateformes devront être informés de la manière dont fonctionne la supervision, la surveillance et l’évaluation de leurs tâches, que ce soit par les plateformes ou les clients. Une surveillance humaine des actions effectuées par les algorithmes devra aussi être assurée. Lorsque des décisions importantes seront prises par ces derniers, c’est-à-dire quand elles ont une incidence sur les conditions de travail, elles devront pouvoir être contestées par les travailleurs.

Quelle est la position du Parlement européen ?

Les eurodéputés, qui ont déterminé leur position le 2 février, vont plus loin que la proposition initiale de la Commission européenne. Ils se sont prononcés en faveur d’une présomption générale de salariat pour les travailleurs des plateformes, sans critères obligatoires à remplir pour que ces derniers soient considérés comme salariés par les autorités nationales. En revanche, ils estiment comme la Commission qu’en cas de litige, il reviendra aux plateformes et non aux travailleurs de prouver que leurs relations ne relèvent pas du salariat.

Concernant la gestion algorithmique du travail, les parlementaires reprennent les propositions de l’exécutif européen, tout en les renforçant également. Ils considèrent qu’aucune décision importante ne peut être prise par des systèmes automatisés et appellent ainsi à la mise en place d’un contrôle humain sur toute action des algorithmes affectant les conditions de travail.

Et celle des Etats membres ?

En raison de divergences plus marquées parmi les Vingt-Sept que chez les eurodéputés, aboutir à un compromis a pris plus de temps au Conseil. L’institution a arrêté sa position le 12 juin dernier. Plus proche de celle de la Commission européenne, elle l’assouplit même quelque peu.

Si les Etats membres reprennent le principe d’une présomption de salariat, celle-ci ne sera appliquée par les autorités nationales que lorsque trois critères préalablement définis sur sept seront remplis, contre deux sur cinq côté Commission. Les critères retenus par le Conseil sont semblables à ceux de l’exécutif européen. Mais celui qui est relatif aux horaires de travail, au choix des tâches et au recours aux sous-traitants et remplaçants est divisé en trois critères distincts.

Au sujet des algorithmes, les Vingt-Sept reprennent les obligations de transparence et de surveillance humaine. Dans le détail cependant, les règles prévues sont moins strictes, notamment pour la surveillance des décisions importantes. Seules certaines, à l’instar de la suspension du compte d’un travailleur sur une plateforme, seront concernées.

Quand la directive pourrait-elle être adoptée ?

Maintenant qu’eurodéputés et Etats membres de l’UE ont déterminé leurs positions respectives, ils doivent trouver un terrain d’entente pour que le texte final de la directive puisse être adopté. Ce ne sera pas chose aisée étant donné leurs importantes divergences. 

S’ils ne parviennent pas à un compromis sous présidence espagnole du Conseil (1er juillet – 31 décembre 2023), le dossier pourrait être reporté bien plus tard. Car les premiers mois de l’année 2024 seront marqués par la préparation des élections européennes de juin, avec notamment des eurodéputés qui entreront en campagne électorale. Puis viendra le temps du renouvellement des présidences des institutions de l’UE après le scrutin, ce qui retarderait d’autant l’adoption d’une directive.

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