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"De la ferme à la table" : la stratégie de l'Union européenne pour verdir l'agriculture

Adoptée en octobre 2021, et parfois appelée “De la ferme à la fourchette”, la stratégie proposée par la Commission européenne vise un “système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement”. Depuis, peu de propositions ont abouti et les ambitions de cette déclinaison du Pacte vert sont dans le viseur des agriculteurs européens.

La stratégie envisageait de réduire de 50 % l’usage des pesticides et de consacrer 25 % des terres agricoles au bio d’ici 2030 - Crédits : Pete_Flyer, LukaTDB / iStock

16 millions d’années de vie en bonne santé perdues et près de 950 000 décès en 2017, dans l’Union européenne. Ce lourd bilan serait, selon la Commission européenne, imputable à des régimes alimentaires peu sains. Si les conséquences de l’alimentation sur la santé sont avérées, celles sur l’environnement ne sont également pas à minorer. L’agriculture était ainsi responsable de 10,7 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union en 2021 et contribuerait de façon importante à l’appauvrissement de la biodiversité.

Consciente de ces enjeux, la Commission européenne a présenté le 20 mai 2020 deux stratégies conjointes, qui sont autant de déclinaisons du Pacte vert, le fil rouge de l’ambition environnementale de l’exécutif européen. La première vise justement à enrayer cette chute de la biodiversité à l’horizon 2030. La seconde, baptisée De la ferme à la table, doit quant à elle promouvoir “un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement”.

Parfois également appelée “De la ferme à la fourchette”, en référence à son titre anglais (“Farm to Fork” ou “F2F”), cette feuille de route adoptée en octobre 2021 est déclinée en 27 textes législatifs. Cependant, au 1er janvier 2024, seuls neuf ont été adoptés, dont huit communications. Douze autres n’ont même pas encore fait l’objet d’une proposition de la part de la Commission. A quelques mois des élections européennes (6 au 9 juin 2024), leur issue paraît compromise. D’autant que les ambitions de la stratégie sont dans le viseur des agriculteurs européens. 

Des objectifs ambitieux

Une stratégie n’a aucun caractère contraignant. Elle donne une orientation générale et annonce les mesures que la Commission s’apprête à proposer. “De la ferme à la table” n’échappe pas à la règle mais pose toutefois des objectifs chiffrés. Parmi eux, la réduction de 50 % du recours aux pesticides d’ici à 2030. Une coupe conjuguée à l’objectif de 20 % pour les engrais chimiques. Si la proposition a bien été formulée, elle ne sera pas concrétisée prochainement. Le 6 février 2024, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le retrait de cette proposition, rejetée par les eurodéputés en novembre dernier. L’Allemande envisage toutefois “une nouvelle proposition beaucoup plus mûre, avec la participation des parties prenantes”.

L’exécutif européen souhaitait également donner un sérieux coup de pouce à l’agriculture biologique dans les années à venir. Si les surfaces consacrées au bio ne représentaient que 9,1 % des terres exploitées dans l’UE en 2020, la Commission ambitionne que ce chiffre grimpe à 25 % à l’horizon 2030. L’Union européenne a cette fois réussi à se doter d’un plan d’action en faveur de l’agriculture biologique, adopté en 2021.

Peu de textes adoptés

A quatre mois des prochaines élections européennes, le temps est compté pour faire aboutir les 27 textes de la stratégie “De la ferme à la table”. Or, au 1er janvier 2024, seuls neuf textes ont réussi à être adoptés. Huit d’entre eux ne sont d’ailleurs que des recommandations et n’ont pas de valeur contraignante. Le dernier concerne une modification du règlement sur les produits phytopharmaceutiques, dont la portée reste relativement mineure. 

A cette même date, six autres propositions étaient encore en discussion, au Parlement européen, au Conseil ou dans les instances de conciliation entre les deux colégislateurs. Parmi elles, figurait ledit règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR), dont la Commission a annoncé le retrait. D’autres projets en débat ont vu leur portée considérablement réduite. Par exemple, l’exécutif européen avait initialement annoncé une révision de l’ensemble de la législation européenne en matière de bien-être animal. Le 7 décembre, il a uniquement présenté des propositions concernant le transport des animaux vivants, ainsi que sur le bien-être des chats et des chiens pendant l’élevage et la mise en vente. 

Enfin, douze autre textes sont encore en attente d’une proposition de la part de l’exécutif européen. Compte tenu du calendrier électoral, il apparaît désormais peu probable que certains soient présentés d’ici les prochaines élections européennes prévues en juin prochain. 

Ainsi, peu de chance de voir prochainement un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire et harmonisé au niveau européen. En France, il est utilisé depuis plusieurs années sous le nom de “nutri-score”, un dispositif repris par plusieurs pays à l’ouest de l’Europe. La généralisation d’un tel affichage permet selon ses défenseurs de réduire la surconsommation d’aliments très transformés contenant beaucoup de sel, de sucre et de matière grasse. L’idée, avant même de se concrétiser par une proposition législative, a fait l’objet d’une levée de boucliers en Italie. “Le nutri-score est une folie et [mon parti] Fratelli d’Italia s’efforcera de bloquer ce système d’étiquetage discriminatoire”, expliquait Giorgia Meloni en mars 2021, un an et demi avant d’accéder à la présidence du Conseil italien. 

Une large remise en cause

Avant même son adoption, les discussions autour du texte ont fait l’objet de vives tensions entre eurodéputés. “Les lobbies de l’agro-industrie et de l’agrochimie, qui voulaient que rien ne change, ont échoué”, s’était félicité le socialiste Eric Andrieu peu après le vote du Parlement européen en octobre 2021 dans un communiqué. L’ancien eurodéputé français visait particulièrement les protestations du Copa-Cogeca, principal syndicat agricole européen.

En amont du vote, l’organisation avait critiqué les mesures proposées ainsi que le calendrier, qui rendraient d’après elle, “l’UE dépendante des importations pour nourrir sa population”. Un argumentaire repris à l’époque par certains eurodéputés comme l’Alsacienne Anne Sander (PPE, conservateurs). Avec sa stratégie “De la ferme à la table”, la Commission “risque de sacrifier notre autonomie alimentaire et l’avenir de nos agriculteurs”, déclarait-elle à l’issue du vote. 

La stratégie européenne est toujours pointée du doigt par les représentants agricoles. “L’esprit du texte a été vu comme fondamentalement décroissant par le monde agricole. Ils ont été encouragés en cela par un certain nombre d’études qui ont conclu que cela amènerait à une baisse de la production, une hausse de prix, et l’Europe à perdre des parts de marché, des agriculteurs et des industriels”, explique pour Libération Pierre-Marie Aubert, directeur du programme “politiques agricoles et alimentaires” à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Ce dernier nuance : “ces évaluations sont faites à partir d’un modèle qui s’appuie sur le système alimentaire tel qu’il est aujourd’hui. Or, ce que cherche précisément à faire [“De la ferme à la table”], c’est transformer le système alimentaire dans son ensemble. Et ça, le monde agricole dans sa vaste majorité n’a pas voulu le voir”.

Etude contre étude

Lors des débats au Parlement européen, certains députés ont dénoncé un manque de transparence de la part de la Commission européenne quant à l’étude publiée par son Centre commun de recherche (JRC) en juillet 2021. Ils l’accusaient de ne prendre en compte que certains des objectifs de la stratégie et mettaient en avant une autre publiée par l’université de Wageningen aux Pays-Bas. Commandée par l’organisation représentant l’industrie des pesticides, CropLife Europe, celle-ci prévoyait une chute des rendements agricoles. “Des prédictions apocalyptiques”, fustigeait alors le groupe des Verts au Parlement européen dans une tribune sur son site.

Une situation aggravée par la guerre en Ukraine

Depuis l’adoption de la stratégie, un autre événement d’ampleur est venu bouleverser l’agriculture européenne et mondiale : l’invasion russe en Ukraine. Le soutien économique de l’Union européenne s’est notamment traduit par la suppression des droits de douane sur les produits ukrainiens importés. Une situation qui a conduit à une hausse des importations de certains aliments comme les œufs, le sucre ou les poulets, déstabilisant les marchés européens.

Le conflit a également contribué de façon indirecte à accélérer l’inflation. Un phénomène qui a touché les agriculteurs de plein fouet, ces derniers ayant été affectés par l’explosion des coûts de l’énergie, mais également de ceux des intrants, de la main-d’œuvre et de l’alimentation des animaux. Dans ce contexte, de nombreux représentants du monde agricole estiment que les objectifs de la stratégie “De la ferme à la table” ne sont pas atteignables. 

D’autres reproches de la part des agriculteurs

En France, mais aussi un peu partout en Europe, les agriculteurs expriment leur colère. L’application de la stratégie “De la ferme à la table” ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine font notamment partie de leurs griefs. 

Mais le monde paysan voit également d’un mauvais œil les accords de libre-échange signés par l’Union européenne, à l’image de celui avec le Mercosur. Ils dénoncent en effet une concurrence déloyale, estimant que les normes environnementales et sociales européennes sont de loin plus exigeantes que celles qui touchent les agriculteurs sud-américains. 

Enfin, ils dénoncent la complexité de la politique agricole commune (PAC). Si les agriculteurs ne remettent pas directement en cause cette politique, essentielle à leur revenus, ils dénoncent les lourdeurs administratives qu’elle implique.

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