Hasard du calendrier, la Première ministre roumaine Viorica Dancila et le président Klaus Iohannis sont intervenus à quelques jours d’intervalle en octobre devant le Parlement européen. Entre les deux dirigeants, un gouffre politique que la teneur de leurs interventions a une nouvelle fois illustré. En effet, lorsque Mme Dancila, cheffe d’un gouvernement de coalition de centre-gauche a martelé, le 3 octobre, qu’elle n’était pas là pour “rendre des comptes à qui que ce soit” , M. Iohannis, chef de l’Etat conservateur a le 23 octobre joué la carte de la sobriété, assurant les Européens de sa détermination à défendre l’Etat de droit que l’exécutif est accusé de bafouer.
Après la Pologne et la Hongrie, l’UE est donc confrontée à un nouvel Etat membre dont la politique ne respecte par les valeurs fondatrices européennes. “Il est encore temps d’inverser la situation” , a déclaré Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, en première ligne sur les questions d’Etat de droit. Solennel et ferme, le dirigeant néerlandais, qui appartient à la même famille sociale-démocrate que Viorica Dancila, ajoute que le gouvernement roumain n’a, à ce jour, pas répondu aux “inquiétudes” de la Commission européenne.
Limiter la lutte anticorruption
Comme l’explique Cristian Preda, eurodéputé roumain indépendant et affilié au Parti populaire européen (droite), “le principal objectif du gouvernement, c’est de limiter la lutte anticorruption” . La direction générale anticorruption, créée en 2005 alors que la Roumanie s’apprêtait à entrer dans l’UE, est à cet égard particulièrement visée par le pouvoir. Probablement car son action a été extrêmement efficace, aboutissant à la condamnation d’un Premier ministre, Victor Ponta (gauche), et de très nombreux autres responsables politiques de premier plan.
Liviu Dragnea, dirigeant du Parti social-démocrate roumain (PSD), a lui-même été condamné par la justice, pour abus de pouvoir et fraude électorale, l’empêchant de devenir Premier ministre. Certains y verront un acte de représailles : Laura Codruta Kövesi, procureure en chef de la direction générale anticorruption, qualifiée d’ “héroïne” par Cristian Preda, a été poussée à la démission en mai.
Revenir au temps du communisme
Mais au-delà des intérêts propres du parti au pouvoir et de ses dirigeants, “il y a quelque chose de plus profond” , explique l’eurodéputé roumain. L’exécutif veut “revenir au temps du communisme et des premières années post-communistes” , lorsque “le politique contrôlait la justice” . Avec l’entrée dans l’UE, “on avait l’espoir que ce problème serait résolu” , soupire Cristian Preda.
Une résolution sur la situation en Roumanie doit être soumise au vote des eurodéputés en novembre. Cristian Preda dit espérer qu’elle sera adoptée, car la réponse de Bruxelles et Strasbourg “doit aller vite” . Il ne faut pas “attendre que la situation empire vraiment de manière irréversible pour intervenir” , insiste-t-il. Car en Roumanie, comme en Pologne et en Hongrie, vis-à-vis desquelles il soutient aussi les procédures de sanction, il convient de garder à l’esprit que nous sommes “hors de la philosophie politique européenne” . Les personnalités au pouvoir estiment avoir “l’appui populaire” et par conséquent être autorisées à “faire ce qu’elles veulent” . Mais disposer d’un soutien populaire n’autorise pas toutes les dérives : “on ne peut pas faire jouer la règle majoritaire contre l’Etat de droit” , résume Cristian Preda.