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Levée de rideau pour Nigel Farage

Quelle que soit l’issue des élections générales britanniques, il est fort probable que Nigel Farage termine sa soirée au pub. Avec une pinte de brune à la main et un sourire radieux s’il a réussi à conquérir le siège de South Thanet qu’il convoite. Ou avec quelque chose de plus corsé s’il échoue pour la sixième fois consécutive à entrer à Westminster. A l’instar de David Cameron et Ed Miliband, le picaresque trublion de la politique britannique joue sa tête. Celui qui a mis un terme, au moins temporairement, au bipartisme, droitisé le pays et mis la question européenne sur l’agenda politique, quittera la tête de son parti, le UKIP, en cas de défaite.

Nigel Farage

Portes closes à Westminster, Nigel Farage doit se contenter de Bruxelles

Pour Nigel Farage, l’ennemi a toujours été Bruxelles. Le combat d’une vie. Politisé dès le plus jeune âge, l’Europe a déterminé ses amours et ses haines. Militant conservateur, il fait une première infidélité à son parti en votant “Green” en 1989, jugeant leurs convictions plus eurosceptiques. Prémonitoire. Trois ans plus tard, il quitte définitivement la droite britannique pour cofonder sa propre formation : le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Une défection en lien direct avec la signature du traité de Maastricht par le Premier ministre conservateur John Major.

Ensuite, il s’agit d’une histoire, assez classique, d’ascension politique. Rapidement aux premiers plans en interne, la consécration dans les urnes prendra du temps. C’est le lot des “marginaux” de la politique, des francs-tireurs. Comme dans la plupart des Etats membres de l’UE, la lumière - belle ironie - viendra de l’Europe et de son système proportionnel qui garantit des sièges aux petits partis. Celui qui abhorre la construction européenne sera élu quatre fois eurodéputé, sans interruption de 1999 à 2014, série en cours.

Mais comme la vie est mal faite, c’est à Westminster que Nigel Farage veut être élu, pas à Bruxelles. En parallèle de sa carrière européenne, le dirigeant du UKIP multiplie les tentatives sur la scène nationale. Il réalise des scores souvent honorables, mais le compte n’y est pas pour glaner un siège. Pour faire valoir ses idées et surtout accroître sa notoriété, M. Farage devra donc manger son pain noir et accumuler les coups d’éclat médiatiques dont le Parlement européen - hormis avec les tirades de Daniel Cohn-Bendit - n’est pas très coutumier.

Va-t-en-guerre contre les institutions européennes, fossoyeuses de la démocratie

Comme en 2005 lorsqu’il demande aux commissaires européens de rendre publique leur destination de vacances. Une demande tout sauf innocente car José Manuel Barroso, alors nouveau président de la Commission, vient de passer une semaine en Grèce, aux côtés du milliardaire et armateur Spiro Latsis. Un mois après la visite de M. Barroso, l’entreprise de M. Latsis recevra 10 millions d’euros d’aides publiques approuvées par la Commission européenne. A cette occasion, Nigel Farage parviendra à réunir les 75 signatures d’eurodéputés pour déposer une motion de censure contre la Commission.

En 2010, le trublion britannique fait encore plus fort et se forge un nom en Europe. En apostrophant brutalement Herman Van Rompuy à la suite de son investiture au poste de président du Conseil européen. Nigel Farage n’hésite alors pas à railler l’ancien Premier ministre belge - un “non-pays” - pour son allure de “guichetier de banque” ou son charisme du niveau d’une “serpillière mouillée” , et le présentant comme “le discret assassin de la démocratie européenne et des Etats-nations” .

M. Van Rompuy, les Belges et Jerzy Buzek, alors président du Parlement européen, n’ont logiquement pas trop apprécié l’accueil du leader europhobe. Refusant de s’excuser, Nigel Farage fut privé de ses émoluments pendant 10 jours. Une sanction évidemment fort peu dissuasive et qui n’aura aucun impact sur son image au Royaume-Uni. A l’inverse, il s’agit peu ou prou du début du vrai décollage pour le UKIP.

Premier avocat d’un ‘Brexit’

Arrivé en deuxième position lors des élections européennes de 2009 derrière les conservateurs mais devant les travaillistes, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni ne va cesser de progresser et de s’installer dans le paysage politique britannique. Balayé par le scrutin majoritaire à un tour - ‘first past the post’ - aux élections législatives de 2010, le UKIP revient en force en 2013 lors des élections locales. Au niveau national, le parti recueille 23% des suffrages, soit seulement deux points de moins que les Tories.

L’année suivante, le triomphe est même total : Nigel Farage orchestre ce qui sera la première victoire d’une autre formation que celle des conservateurs et du Labour dans une élection organisée à l’échelle nationale. Enregistrant un score historique, le UKIP arrive en tête aux Européennes de 2014.

Comme ailleurs en Europe, et notamment en France, où les droites populistes ont largement progressé, Nigel Farage a su tirer profit de la crise économique et du désamour général vis-à-vis de l’Union européenne, jugée trop libérale et déconnectée des citoyens. Car en tant que ‘single-issue party’ - un parti créé en fonction d’un seul enjeu - tout l’argumentaire du UKIP découle de la critique de l’Europe. Entre le chômage et l’immigration, tous les maux viennent de Bruxelles et toutes les solutions se trouvent dans un ‘Brexit’. Des thèmes depuis largement repris par une frange significative des conservateurs : ce qui a conduit David Cameron à promettre un référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’UE en cas de réélection.

Défiance générale vis-à-vis des partis traditionnels

Le 7 mai prochain, date des élections générales britanniques, scrutin majoritaire oblige, il est toutefois peu probable que le UKIP obtienne un poids conséquent à la Chambre des Communes. La victoire de Nigel Farage dans la circonscription de South Thanet dans le Kent n’est elle-même pas assurée : ses opposants se prennent à rêver d’une victoire longtemps improbable et l’humoriste Al Murray s’est aussi engagé dans la bataille dans le seul but de le ridiculiser. Et en cas de défaite, Farage a annoncé que ce serait “rideau” , un abandon de sa position de chef de parti.

Au contraire de sa meilleure ennemie Marine Le Pen, avec qui il a refusé toute alliance au Parlement européen, Nigel Farage n’en n’est donc pas encore à la dédiabolisation de son parti. Il multiplie les promesses populistes aux pêcheurs du Nord, vilipende les immigrants, responsables selon lui du chômage et de l’insécurité mais aussi… des bouchons londoniens, reproche au gouvernement sortant d’avoir défiguré le pays en installant trop d’éoliennes, ou encore déclare sa flamme à Vladimir Poutine.

En attendant le verdict des urnes, Nigel Farage sillonne le pays de la même manière qu’il a toujours fait campagne. Avec une veste Barbour de chasseur sur le dos, un costume rayé et une cravate voyante autour du cou et, surtout, un large sourire qu’il n’a pas à forcer tant il semble être le premier public de ses “bons mots” contre Bruxelles ou l’establishment britannique. Une pinte de Guinness ou de John Smith vissée à la main, une cigarette aux lèvres, M. Farage incarne une certaine idée, largement désuète, de l’anglicité. Ses paroles rassurent les campagnes et les anciens centres industriels inquiets de la mondialisation, délaissés par les partis de gouvernement et lessivées par la crise et l’austérité de cheval instaurée par les conservateurs.

Ainsi comme l’explique le journaliste du quotidien The Independent Donald MacIntyre, quel que soit le résultat personnel du leader du UKIP, “cela prendra beaucoup de temps pour réparer la défiance entre la majorité de l’électorat et la classe politique que M. Farage a exploité avec tant de détermination” .

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