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Les 5 enseignements des élections allemandes

Dimanche 24 septembre, Angela Merkel a remporté un nouveau succès électoral en arrivant en tête des élections fédérales. Reconduite pour un quatrième mandat, la chancelière voit toutefois son score fondre par rapport à 2013 (-8,5 points) et l’extrême droite progresser. Un succès donc en demi-teinte pour la cheffe de la droite allemande, qui pourrait de plus connaître des difficultés pour former son prochain gouvernement de coalition. Toute l’Europe fait le point sur les enseignements du scrutin.

Angela Merkel en 2017
Angela Merkel, lors d’une réception annuelle de la CDU le 13 juin 2017 à Erfurt - Crédits : Olaf Kosinsky / CC BY-SA 3.0

1. Angela Merkel gagne, mais ne sourit pas

Les élections fédérales allemandes 2017 étaient une chronique d’une victoire annoncée pour Angela Merkel. La chancelière sortante pouvait en effet compter sur une cote de popularité extrêmement enviable après douze années passées au pouvoir. Le 24 septembre, les électeurs n’ont pas fait mentir les instituts de sondage. Ils ont été 33% à choisir son parti, la CDU-CSU (centre-droit), soit 12,5 points de plus que pour le SPD (centre-gauche) arrivé deuxième.

Résultats électoraux :

- CDU-CSU : 33% des voix et 246 sièges
- SPD : 20,5% des voix et 153 sièges
- AfD : 12,6% des voix et 94 sièges
- FDP : 10,7% des voix et 80 sièges
- Die Linke : 9,2% des voix et 69 sièges
- Les Verts : 8,9% des voix et 67 sièges

Pourtant, hier soir, au moment de célébrer la victoire avec ses militants, Mme Merkel ne pouvait afficher qu’un discret sourire crispé. “Nous espérions un meilleur résultat” , a-t-elle ainsi déclaré. Son parti obtient en effet son score le plus bas depuis 1949. Par rapport à 2013, la chancelière voit même son nombre de voix fondre de 8,5 points. Une déconvenue d’autant plus importante que, dans le même temps, le parti d’extrême droite - Alternative für Deutschland (AfD) - progresse de manière quasi-symétrique : 7,9 points (voir plus bas).

A cet égard, Horst Seehofer, patron de la CSU, parti frère de la CDU en Bavière, n’a pas été long à faire le rapprochement. “Nous avons délaissé notre flanc droit et il nous appartient à présent de combler le vide avec des positions tranchées” , a-t-il fait valoir peu après l’annonce des résultats. Une manière policée de reprocher à la chancelière un positionnement frileux et centriste au cours d’une campagne sans risque apparent.

Le mode de gouvernance d’Angela Merkel, basé sur le pragmatisme et une prise de décision lente, a également pu susciter une certaine lassitude au sein de l’opinion qui, après avoir longtemps apprécié sa stabilité, réclamerait aujourd’hui davantage de vision de long terme.

2. La grande coalition essorée

Un virage à droite est par conséquent à prévoir en Allemagne, afin de reconquérir l’électorat de l’extrême droite et alors que le SPD ressort également affaibli du scrutin. A l’instar de la CDU-CSU, ce dernier essuie son plus mauvais résultat électoral depuis la Seconde Guerre mondiale, avec 20,5% des voix. Martin Schulz, ancien président du Parlement européen et tête de liste du parti, a pris acte de la déroute et annoncé que sa formation ne participerait pas au prochain gouvernement de coalition. De fait, le centre-gauche semble ressortir lessivé de la “grande coalition” à laquelle il a participé depuis 2013. Ses électeurs reprochent au parti de se confondre désormais avec celui d’Angela Merkel.

Un cas d’ailleurs tout sauf isolé en Europe. En Autriche, centre-gauche et centre-droit ont ainsi été balayés lors de l’élection présidentielle de 2016 et risquent de l’être de nouveau le 15 octobre prochain à l’occasion des législatives. Aux Pays-Bas également, le Parti travailliste a payé le prix fort pour sa participation au gouvernement du libéral Mark Rutte en mars dernier, perdant 31 de ses 39 sièges au Parlement lors des élections législatives.

Avec ou sans Martin Schulz à sa tête - la question de sa reconduction se pose logiquement - le SPD va donc retourner dans l’opposition pour espérer reconquérir la chancellerie en 2021, au moins 16 ans après l’avoir quittée en 2005.

3. Poussée de l’extrême droite : l’Allemagne est redevenue normale

Ce recul du centre-droit et du centre-gauche fait le bonheur de l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite. Mouvement créé début 2013, il obtient la 3e place et 12,6% des voix. Un succès attendu, mais qui a tout de même provoqué un “tremblement de terre” en Allemagne, pour reprendre la Une du quotidien populaire Bild.

Comme nombre de ses voisins européens, l’Allemagne est en effet à son tour confrontée à une droite populiste et nationaliste aux relents xénophobes. Un phénomène inédit dans ce pays depuis le nazisme et qui a entraîné plusieurs manifestations citoyennes hier soir, notamment à Berlin. Le traumatisme d’une partie des Allemands est apparu d’autant plus important que l’AfD n’a cessé de durcir son discours tout au long de la campagne, s’en prenant directement à Angela Merkel, qualifiée de “traître à la patrie” , invitant le pays à sortir de la “repentance” vis-à-vis de la Shoah et à se montrer “fier des performances” de ses soldats durant la Seconde Guerre mondiale.

Une radicalisation payante sur le plan électoral, mais qui suscite paradoxalement la division au sein du parti. Frauke Petry, l’une des principales figures de l’AfD, a en effet annoncé qu’elle ne comptait pas siéger avec le reste de l’extrême droite en raison justement de son opposition à cette ligne dure. Cette défection illustre d’ailleurs la courte histoire du mouvement. Initialement un parti anti-euro, l’Alternative für Deutschland s’est rapidement emparé de thèmes plus identitaires, au premier rang desquels l’immigration, pour assoir son développement. Cela a facilité son rapprochement avec d’autres formations européennes d’extrême droite, dont le Front national français.

Enrayer la forte poussée de l’AfD sera naturellement l’une des principales priorités d’Angela Merkel et des autres partis au cours des quatre prochaines années. L’électorat du mouvement se situe principalement à l’est du pays, dans des régions pourtant peu concernées par l’arrivée de demandeurs d’asile, mais qui souffrent particulièrement de la montée de la précarité et des inégalités en Allemagne. Dans la Saxe, Land frontalier de la République tchèque, l’extrême droite a même recueilli 27% des voix et obtenu la première place devant la CDU d’Angela Merkel.

Alexander Gauland, dirigeant de l’AfD - Crédits : James Rea

4. Vers une délicate et fragile coalition jamaïcaine

Sur les 709 sièges que comptera le prochain Bundestag, le centre-droit allemand en occupera 246. 109 manquent donc à Mme Merkel pour former un gouvernement de coalition, comme cela est la règle outre-Rhin. Et le SPD (153 sièges) s’étant d’ores et déjà placé à l’écart, il ne reste plus qu’une option pour la chancelière, sachant qu’une alliance avec Die Linke (gauche radicale) et l’AfD étant par nature exclue.

Le prochain gouvernement devrait ainsi être composé de la CDU-CSU, des Verts et des libéraux (FDP). Soit une coalition noire-verte-jaune dite “jamaïcaine” étant donné que ces couleurs, traditionnellement associées à ces formations politiques, sont également celles du drapeau de ce pays des Caraïbes. Cet alliage singulier, qui n’a jusqu’à présent jamais été expérimenté au niveau fédéral, contraindrait Mme Merkel à une grande habileté politique dans la mesure où ses deux potentiels partenaires sont à l’heure actuelle frontalement opposés sur plusieurs dossiers clés comme l’Europe, le nucléaire, ou encore l’immigration.

Ecarté du pouvoir et même du Bundestag en 2013, le FDP est aujourd’hui dirigé par Christian Lindner, 38 ans. Pour se relancer, le Parti libéral s’est éloigné de son positionnement historique et durci considérablement son argumentaire, combattant toute possibilité d’accroissement de la solidarité en Europe et plaidant pour une limite à l’immigration. Par conséquent, sa capacité à s’entendre avec Angela Merkel sur ces sujets apparaît tout sauf évident.

Plusieurs semaines devraient donc être nécessaires avant d’aboutir à un contrat de coalition entre les trois partis et d’importantes concessions devront être faites. La tradition parlementaire allemande et la culture de la coalition ont de bonnes chances d’éviter un blocage politique, contrairement à ce qui se déroule aux Pays-Bas. Mais il y a de fortes chances que le prochain gouvernement Merkel IV se révèle fragile, au point que certains observateurs estiment qu’il pourrait ne pas durer les quatre années de mandature.

Christian Lindner, leader du FDP le 17 septembre 2017 - Crédits : Caitlin Hardee

5. Le projet européen de la France en suspens

La coalition “jamaïcaine” risque enfin de complexifier la tache de la France et d’Emmanuel Macron, désireux de relancer l’intégration économique au sein de la zone euro. Lui-même élu sur un programme résolument proeuropéen, le nouveau président français entend en effet accroître le budget de la zone euro et doter l’ensemble d’un ministre de l’Economie et des Finances, voire même d’un Parlement. Autant de mesures qui doivent permettre de renforcer la solidité de la zone euro ainsi que la solidarité entre ses membres, mais qui ne pourront aboutir sans le soutien actif de l’Allemagne.

Plutôt bien accueillie par Angela Merkel, la stratégie française pourrait donc se heurter à une fin de non-recevoir du FDP, qui rejette toute réforme européenne qui augmenterait la participation financière de Berlin. De plus, pour le Parti libéral, cette zone euro repensée serait de nature à diluer la responsabilité des gouvernements. Une perspective impensable pour ce parti qui a milité pour la sortie de la Grèce de la zone euro en 2015. A cet égard, le FDP a d’ores et déjà fait savoir qu’il souhaiterait obtenir le portefeuille des Finances au sein du prochain gouvernement, le poste actuellement occupé par le déjà rigide Wolfgang Schäuble.

Par ailleurs, la progression de l’AfD et du FDP devrait aussi inciter la chancelière à durcir ses positions en matière d’immigration, d’autant plus que la CSU y serait très favorable alors que des élections locales doivent avoir lieu en Bavière l’an prochain. La révision des règles européennes d’accueil et de répartition des réfugiés s’annonce à cet égard cruciale au cours des semaines à venir.

Toutefois, le FDP continue de se définir comme proeuropéen et appartient, à Bruxelles et Strasbourg, au groupe de l’Alliance des libéraux et démocrates, où figurent des partisans du fédéralisme comme le Belge Guy Verhofstadt. De plus, les bons résultats de l’AfD, parti résolument antieuropéen, pourraient inciter Berlin à accentuer son engagement européen en reproduisant la stratégie payante opérée par Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle française.

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