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  • Synthèse

Le Danemark, le populisme et la crise

Pour des raisons historiques, liées notamment à l’occupation nazie, les partis populistes en particulier d’extrême droite ont eu peu d’emprise sur la vie politique danoise jusqu’aux années 70. C’est seulement lors des élections législatives de 1972 qu’une formation populiste de droite, le Parti du progrès (Fremkridtspartiet, FrP), a fait une entrée remarquée sur la scène politique en recueillant 15,6% des voix par sa dénonciation des prélèvements obligatoires, dont il prônait le plafonnement. Pour la première fois, comme le rappelle Cyril Coulet, chercheur spécialiste des pays nordiques, l’hégémonie des formations politiques traditionnelles a été remise en question.

Bien que progressant de façon aléatoire, la droite populiste a continuellement renforcé son ancrage dans le paysage politique danois. C’est au tournant des années 2000 et sensiblement après les attentats du 11 septembre que leur influence sur la vie politique danoise s’est véritablement faite ressentir, via le Parti populaire danois (Dansk Folkeparti, DF), devenu un élément essentiel du maintien au pouvoir de la coalition de centre droit de par son poids au Folketing (Parlement danois), avec 22 sièges en 2001, 24 en 2005 et 25 en 2007. Son score de 12% aux élections législatives de 2001 peut être attribué à un discours anti-immigration et islamophobe, répondant à la crainte populaire de voir la générosité de l’État providence danois remise en question par la hausse du nombre de bénéficiaires.

Les pressions économiques croissantes depuis le début de la crise en 2007 ont tout d’abord représenté un terrain propice à l’affermissement de l’influence du DF sur les décisions gouvernementales, symbolisé par la suspension des accords de Schengen et le rétablissement des contrôles aux frontières avec l’Allemagne et la Suède au printemps 2011. Néanmoins, le résultat des élections législatives de septembre 2011, à l’issue desquelles le DF a perdu des voix pour la première fois depuis sa création (passant de 13,9 à 12,3% des votes) peut être interprété comme une rupture symbolique, d’autant plus que le nouveau gouvernement dirigé par Helle Thorning-Schmidt entend bien s’en distancier.

Retour sur la montée en puissance des populistes danois

Le Parti du progrès fondé en 1972 a été supplanté par le Parti du peuple danois créé en 1995 par Pia Kjærsgaard, ancienne représentante de cette formation au Parlement. Souhaitant donner un plus grand échos au sein de la société et du Parlement aux problématiques abordés par le Parti du progrès, et certainement plus ambitieuse que ses leaders, cette “dame de fer” à la danoise a donc décidé de fonder le Parti populaire.

Pia Kjærsgaard était insatisfaite du peu de progrès réalisé lors des élections par son parti, d’où sa décision de fonder le parti populaire. Celui est devenu au cours du temps la machine politique la plus efficace du Danemark” , selon le commentateur politique Peter Mogensen, du quotidien Politiken. Il s’est véritablement institutionnalisé, devenant la troisième force politique du pays, tout comme le Parti du Progrès en son temps, mais s’en distinguant par une réelle capacité d’influence sur l’agenda politique en particulier à la suite de la percée électorale des élections de 2001, qui confèrent au DF 22 sièges là où il n’en n’avait précédemment que 13.

Celles-ci ont marqué un tournant en ce sens que le gouvernement, pendant les dix prochaines années, va choisir de s’appuyer sur les députés du DF pour gouverner, en échange de marchandages politiques essentiellement dans le domaine de la politique migratoire. Ce n’est pas une coïncidence si celle-ci est devenue au cours de cette période l’une des plus stricte en Europe (interdiction du mariage avec un partenaire étranger de moins de 24 ans, obtention du permis de séjour sur la base d’un système à points, difficultés pour les Danois dont le conjoint est étranger à résider au Danemark - 6 000 familles vivent actuellement en Suède pour cette raison).

Soulignons l’image particulière du DF dans la vie politique danoise : il n’est pas l’émanation de mouvements d’extrême droite et se différencie du Front danois (Dansk front), du Front national danois (Danmarks nationale front) ou encore de l’Alliance danoise (Den Danske Forening), beaucoup plus durs et défendant une idéologie ouvertement raciste. À l’inverse, la direction du parti est sévère envers les propos néonazis ou racistes, notamment depuis que Pia Kjærsgaard elle-même a perdu un procès en diffamation en 2003 contre un opposant politique qualifiant ses positions politiques de racistes, et qu’un député du DF, Jesper Langballe, a été condamné pour diffamation en 2010 après avoir proféré des propo jugés islamophobes.

Notons que si le DF est classé à l’extrême droite au Folketing, il est pourtant considéré comme idéologiquement au centre de l’équiquier politique danois et la plupart des idées qu’il défend font aujourd’hui consensus (ce qui n’était pas le cas il y a dix ans). Tout l’art du DF réside donc dans sa capacité à entrer dans le jeu politique sans contester ses règles ou, comme le dit Cyril Coulet, sans remettre en cause la démocratie comme principe de gouvernement et mode d’accès à ses responsabilités politiques. Ainsi, il ne va pas à l’encontre de l’exemplarité démocratique traditionnelle des pays nordiques et est considéré par Peter Mogensen comme “le parti dirigé de la façon la plus traditionnelle, avec les meilleurs conseillers en communication.”

Les raisons du succès

Pourquoi un tel succès ? Plusieurs facteurs entrent en compte, dont le profil politique du leader du parti. Pia Kjærsgaard, ancienne assistante de direction, s’est en effet présentée comme porte-parole des préoccupations du Danois ordinaire, qui ne manque pas d’établir un lien d’identification avec cette femme qui a travaillé comme lui et donc est en mesure de le comprendre. Surtout, elle a abordé ouvertement des thématiques, l’immigration en premier lieu, qui étaient traitées de façon plus consensuelle par les formations politiques traditionnelles, en ligne avec la culture nordique de préservation de la paix sociale. Or, ces questions étaient justement au coeur des préoccupations politiques des citoyens.

Il faut savoir en effet que la société danoise s’est ouverte rapidement à la fin des années 80 et au début des années 90 via des politiques d’asile souples, notamment en matière de rapprochement familial. Ainsi, alors que seulement 800 réfugiés politiques avaient été accueillis en 1983, leur nombre a atteint les 14 000 au moment de la guerre en ex-Yougoslavie. Au total, la part des migrants était de 9,77% de la population totale en janvier 2011. Face un phénomène d’une grande ampleur, bien qu’inférieure à la Norvège et à la Suède, le discours des populistes de droite fait sens. Il s’accompagne d’une volonté de recentrer l’État-Providence sur les ressortissants nationaux. Traditionnellement homogène, en effet, la société danoise se singularise dans le paysage européen par un système de protection sociale fort.

Comme le rappellent les économistes américains Alesina et Glaeser dans l’ouvrage Combattre les inégalités et la pauvreté, les États-Unis face à l’Europe (2004), c’est justement le fait que les aides bénéficient à une communauté uniforme ethniquement et culturellement qui explique leur générosité. Dès lors que cette homogénéité est remise en cause par une immigration intra et extra-européenne, qu’advient-il de la logique et de la solidité de ce système, de plus mis à mal par une économie européenne atone voire en récession depuis l’été 2007 ? De ces craintes, qu’elles soient ou non légitimes, découle une rhétorique communautariste prônant la fermeture de la société danoise, don t la remise en cause des accords de Schengen sur la libre-circulation des personnes n’est qu’une émanation parmi d’autres.

Quoiqu’il en soit, ce phénomène inquiète non pas par sa nature, commune à nombre d’États membres de l’Union, ni par le discours qui l’accompagne, moins virulent qu’en France ou en Hongrie, mais par sa localisation : il prend place dans une société basée sur la cohésion sociale, le dialogue et le refus de la haine de l’autre, et dans laquelle l’identité nationale est conçue de façon inclusive et non exclusive, comme en France par exemple.

Les sociétés nordiques seraient centrées “moins autour de valeurs que de la force du lien social” rappelle André Grejbine, Directeur de recherches au CERI de Sciences Po. Il explique cette montée du populisme justement par cette recherche fondamentale du consensus qui conduit à marginaliser les opinions dissidentes. Le seul moyen pour elles de s’exprimer est alors de se diriger vers des partis osant aborder les questions liées à l’immigration comme de vraies problématiques, ce que les partis traditionnels évitent de faire. Vient s’ajouter à cela la valorisation du relativisme culturel, qui conduit certaines franges de l’électorat à penser que voter pour le Parti populaire danois, en effet, est une pratique acceptable en démocratie.

Crise et influence grandissante des extrêmes politiques : une menace pour l’esprit européen ?

Panneau Danemark

Pourtant, ce relativisme culturel typique des sociétés nordiques (Grejbine) trouve ses limites dans la rhétorique communautariste et islamophobe qui a gagné du terrain au cours de la décennie passée. L’un des concepts forts du Parti du peuple danois est en effet l’identité nationale. Les célébrations des fêtes de fin d’année ont été l’occasion pour le DF et certains partis conservateurs de s’exprimer sur l’importance de l’héritage chrétien et des valeurs danoises dans l’identité nationale et leur nécessaire acceptation par la communauté musulmane.

Nombre de quotidiens conservateurs se sont ainsi offusqués face à la décision de plusieurs écoles de supprimer certaines strophes de chants de Noël jugés “trop évangélisateurs” ou encore face à la décision de l’association de riverains de Kokkedal, sur l’île de Seeland au nord de Copenhague, de ne pas installer de sapin de Noël dans le quartier cette année. En cause serait la dominance musulmane de l’association et son incapacité à accepter la symbolique chrétienne. Pour le quotidien Kristeligt Dagblad, le rapprochement entre cette polémique et l’attaque quelques jours plus tôt d’un camion de télévision par un groupe de jeunes encagoulés était naturel. Autant d’amalgames révélant un malaise croissant de la société danoise par rapport à l’immigration qui remonte au moins aux attentats du 11 septembre.

La décision de rétablir les contrôles aux frontières au printemps 2011 peut être vue comme l’apogée de ce phénomène. Résultat d’un marchandage politique entre le DF et le gouvernement de Lars Løkke Rasmussen, qui voulait faire passer un plan de réforme des retraites, la mesure a été présentée comme un moyen de lutter contre la criminalité et l’immigration clandestine.

Elle a déclenché la colère de la Commission et du Parlement européen, et a jeté des doutes sur la force de l’esprit européen danois, puisque le Gouvernement était prêt à remettre en question l’une des quatre libertés fondamentales pour des raisons d’opportunisme politique. Une conséquence sous-estimée par le gouvernement Rasmussen, et probablement vue par le Parti du peuple danois comme un moyen de s’assurer une victoire aux élections de septembre 2011 en faisant d’une pierre deux coups, puisque cette décision témoigne à la fois de la xénophobie et de l’europhobie.

Récession, chômage et lassitude face au discours anti-immigration

Pourtant, cette stratégie ne s’est pas révélée payante politiquement, en témoigne le recul historique du parti au Folketing. Le passage au premier plan des problèmes économiques liés au chômage et à la récession ont conduit à marginaliser les questions migratoires, tout comme l’attaque terroriste du Norvégien Anders Brevik a contribué à discréditer les formations populistes de droite. Une certaine lassitude a donc gagné la population face à un parti qui n’a pas tenu les promesses faites à son électorat (vote de la réforme des préretraites et réduction de la durée d’indemnisation du chômage). In fine, selon le quotidien Libération, quatre personnes sur cinq estimaient en septembre 2011 que le parti avait eu trop d’influence au cours des dix dernières années.

Ce qui est certain, c’est que 2011 a donc représenté une rupture pour le populisme de droite danois, qui n’est plus en mesure d’influer directement sur la politique gouvernementale de Madame Helle Thorning-Schmidt. Symboliquement, cette dernière a d’ailleurs rétablit les accords de Schengen dès sa prise de fonction, un geste de bonne volonté envers l’Union européenne destiné à rétablir la dignité d’un pays se dirigeant vers une dangereuse marginalisation du concert européen.

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