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“La Francophonie peut aider les Européens à mieux se comprendre”

Le français est la seconde langue de l’Union européenne, tandis que la Francophonie y est la première communauté linguistique organisée. Les Francophones ont donc un poids conséquent au sein de l’UE, même si la langue française perdrait peu à peu en importance dans les institutions européennes. Or, les liens noués entre l’Union et la Francophonie pourraient servir les Européens. C’est ce que défend Stéphane Lopez, Représentant permanent de l’Organisation internationale de la francophonie auprès de l’Union européenne. Il soutient une Francophonie pragmatique, active et innovante qui montre l’exemple et permet de rapprocher les peuples.

Stéphane Lopez, Représentant permanent de l'Organisation internationale de la francophonie auprès de l'Union européenne
Stéphane Lopez, Représentant permanent de l’Organisation internationale de la francophonie auprès de l’Union européenne - Crédits : OIF

En tant que représentant permanent de l’OIF auprès de l’Union européenne, quel est votre rôle ?

Francophonie et francophonie

le terme “francophonie” correspond à l’ensemble des personnes partageant le français, alors que la “Francophonie” nomme l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Je me perçois comme influenceur, c’est une bonne interprétation du mot lobbyiste, qui est trop souvent utilisé. Il s’agit de peser sur les équilibres au bénéfice de la communauté francophone. C’est ainsi que j’essaie de porter les valeurs de cette communauté et d’influencer mes interlocuteurs, pour que les choses aillent dans l’intérêt des francophones. Cela consiste à faire se rencontrer les gens, leur parler, leur donner notre position et tenter de faire évoluer la leur, dans le dialogue et le respect.

Par ailleurs, une partie du travail de l’influenceur n’est pas de convaincre mais de sensibiliser des amis et des acteurs, qui eux-mêmes ont une influence au titre de leur position, de manière à ce que ces gens se fédèrent et deviennent eux-mêmes un bloc influenceur. Une bonne part de mon activité consiste en cela. Je dois organiser les différents cercles francophones qui se trouvent à Bruxelles et être en mesure de les mobiliser. Le but est que par la suite les différents chefs de file de ces cercles se prennent en main et agissent de concert avec nous.

Quelles sont les relations de travail entre l’UE et l’OIF ? Considérez-vous que Bruxelles vous sollicite assez ?

La Francophonie et l’UE agissent au travers d’accords de coopération. Le plus récent a été signé par le Commissaire européen au développement Neven Mimica le 26 novembre 2016, lors du dernier sommet de la Francophonie à Antanarivo. Cet accord extrêmement ambitieux porte sur : l’éducation, la formation, la bonne gouvernance, le maintien de la paix, le statut des femmes … Il est très précis et conduit à des actions concrètes sur le terrain.

Au-delà du financement de petits projets, l’Union peut mettre à disposition des organisations des fonds massifs ayant plusieurs destinations. Pour cela il faut réaliser un audit, dont le processus est long, afin de vérifier la conformité à la réglementation européenne. Cet audit est en cours au sein de l’OIF. Ce programme nous permettrait de bénéficier d’importants subsides pour l’ensemble des thématiques évoquées précédemment.

Enfin, une partie de nos actions relèvent des fonds que l’Union européenne met à disposition du Groupe ACP, dont 33 Etats adhèrent à l’OIF.

Malgré ces différentes coopérations, l’Union européenne ne nous implique pas suffisamment. Certains acteurs préfèrent limiter les interlocuteurs autour de la table pour faciliter les choses. Mais c’est parfois une erreur, car cela peut conduire à prendre de mauvaises décisions. Il vaut mieux concerter plus et réunir les acteurs les plus informés sur la question.

La baisse de l’influence du français au sein des institutions européennes est prégnant, comment l’expliquez-vous ? Est-ce que cela vous inquiète ?

Les langues dans les institutions européennes

l’Union européenne compte 24 langues officielles, qui sont aussi langues de travail et langues des traités. En revanche, il existe aussi des langues procédurales dites communément “langue de travail” . Chaque institution est libre de les définir dans son règlement intérieur, il s’agit généralement de l’anglais et du français, ainsi que de l’allemand parfois. Stéphane Lopez affirme qu’ “il est politiquement incorrect de dire qu’il existe des langues de travail dans l’UE” .

Le français a été battu en brèche à partir du moment où les pays nordiques notamment sont entrés dans l’Union européenne, car ils sont les plus éloignés des frontières de la francophonie. Ensuite sont venus les élargissements est-européens, mais le français a reculé avant. Cependant, il est vrai que l’entrée des Etats de l’Est dans l’UE a accentué le poids de l’anglais. Le français ne pouvait toutefois pas demeurer une langue plus parlée que les autres. Aussi, les équilibres mondiaux ont pesé sur l’Union européenne, comme ils ont pesé partout. L’UE n’est pas un îlot, pourquoi serait-elle différente du reste du monde ?

Néanmoins, la majorité des chiffres et des commentaires faits sur la situation du français se fondent sur un rapport de la Délégation générale à la langue de France et aux langues de France. Ce rapport a un grave défaut, il se base sur des chiffres très parcellaires de la Commission. En particulier le chiffre de la production de documents en langue initiale. De toute évidence l’anglophonie domine de ce point de vue, et la place du français se réduit.

Le rapport donne en revanche une mauvaise idée de la francophonie à l’intérieur des institutions européennes. C’est une vision biaisée, qui nous pousse à trop de pessimisme. Certes, il s’agit une réalité incontestable, mais qui appartient à un élément très précis de l’exercice de la construction européenne : la production écrite de documents à la Commission. Mais ces chiffres ne rendent pas compte de la manière dont les gens utilisent le français de manière quotidienne dans les instances européennes.

En quoi la Francophonie peut être un atout pour l’Union européenne ?

La Francophonie c’est le dialogue des cultures, comme Léopold Sédar Senghor l’a toujours dit. Une grande partie des problèmes au sein de l’Union européenne provient de malentendus interculturels. Effectivement, il est difficile de communiquer en ayant des représentations négatives en tête, or cela est fréquent en Europe. Un des grands travers de l’UE est de s’être construite parce qu’il y avait des enjeux existentiels pour des choses concrètes comme l’acier et le charbon, mais d’avoir longtemps négligé la culture. A l’intérieur de l’Union européenne il y a, par conséquent, de gros clivages culturels et de sérieuses incompréhensions. La Francophonie, au cœur du dialogue des cultures, peut aider les Européens à mieux se comprendre.

La Francophonie peut notamment jouer un rôle dans le dialogue Est-Ouest européen. Dans l’OIF se retrouvent beaucoup plus d’Etats de l’Est qu’au sein de l’Union, car toute l’ex-Yougoslavie y est présente ainsi que certains pays du Caucase. Il peut paraître étrange de faire une dichotomie entre Europe de l’ouest et Europe de l’est, mais il existe des différences culturelles. Donc, ces pays ont du mal à se comprendre. Ce qui s’explique par l’absence de l’homogénéité qui se retrouve chez les pays premiers-entrants dans l’Union.

Il en va de même pour les pays des Balkans occidentaux qui sont candidats à l’adhésion. L’élargissement à l’est de l’Union était une volonté géopolitique, mais il a suscité des critiques, et les pays des Balkans occidentaux en font les frais. Pour leur intégration l’OIF peut jouer un rôle, nous avons pu mener un certain nombre d’actions pour sensibiliser les députés européens ou même nos Etats membres.

Stéphane Lopez et le ministre des Affaires étrangères belge Didier Reynders à gauche - Crédits : OIF

Est-ce que l’OIF peut jouer un rôle dans les relations entre l’UE et l’Afrique ?

La Francophonie peut indéniablement jouer un rôle. Les malentendus sont plus violents encore avec les pays du Sud qu’entre Européens. Quand on a des représentations invraisemblables sur ces sociétés, comment peut-ont prétendre résoudre le problème des migrations ou les problèmes d’aide au développement ? L’OIF peut fédérer les différentes parties, leur parler et les influencer dans les positions qu’elles tiennent en les renseignant et en les faisant réfléchir sur un certain nombre de réalités. Le rôle de l’OIF est de permettre le dialogue.

Concernant la gestion des migrations, il y a un certain nombre de personnes au sein de l’UE qui pensent qu’il faut expliquer à ces populations qu’il ne faut pas migrer à cause du risque. L’OIF doit répéter inlassablement à l’UE que ces personnes ont conscience des dangers encourus. Cependant les risques d’inertie ou de mort dans leurs pays sont tels qu’ils préfèrent le risque de la noyade ou de l’esclavage, à celui de rester dans des sociétés où ils n’ont aucune perspective. C’est pour cette raison que le rôle de l’OIF est de faire avancer les consciences. La Francophonie tient ce discours auprès des fonctionnaires européens et des représentants des Etats membres. La Secrétaire générale Michaëlle Jean agit, quant à elle, avec des plaidoyers auprès des chefs d’Etat et des ministres. C’est ainsi que l’OIF contribue à la prise de décision des dirigeants.

Nous avons aussi un rôle au-delà du plaidoyer, en servant d’exemple sur le terrain à l’aide d’actions très concrètes, comme par exemple la mise en place de programmes d’incubateurs entrepreneuriaux. C’est ce que notre Secrétaire générale appelle la Francophonie des solutions, et qui permet d’inspirer. Enfin, il y a les programmes que nous faisons vivre dans nos Etats membres, au terme des financements que nous obtenons de l’Union européenne.

En quoi la francophonie peut contribuer à l’économie de l’Union européenne ?

La relation qui existe entre le Luxembourg, la Belgique et la France, qui sont les trois grands Etats francophones de l’UE, est une relation économique majeure. C’est aussi une relation politique forte. Ce sont les trois piliers de la francophonie européenne.

Si ces processus sont durables, que ce soit au plan économique ou plan politique, nous devons nous en inspirer pour les autres Etats appartenant à l’OIF. Afin de créer un maillage plus fin des pays membres de la francophonie à l’ouest et à l’est de l’Europe. Nous devons arriver au même niveau d’échanges commerciaux avec nos partenaires de l’Est, il faut avoir des ambitions sur ces territoires. Cela ne pourrait, par ailleurs, que renforcer la francophonie.

Les francophones doivent créer une communauté suffisamment puissante tant au niveau économique que politique, pour pousser les gens à apprendre le français. La langue doit apporter le maximum d’opportunités, pour être attractive. La communauté francophone doit être influente pour que les gens pensent avoir intérêt à parler français.

Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l’OIF, Stéphane Lopez et le commissaire européen au Développement Neven Mimica - Crédits : Commission européenne

Comment considérez-vous la stratégie de la France pour la francophonie ?

Brexit et langue française

Le retrait britannique de l’Union européenne ne va pas automatiquement entraîner la disparition de l’anglais des instances européennes, tant il est ancré dans celles-ci. Les Etats membres trouveront une solution pour le maintenir comme langue de travail. On note, toutefois, une recrudescence de l’apprentissage du français auprès des fonctionnaires européens depuis le vote en faveur du Brexit.

La France a actuellement un discours très puissant sur la francophonie. Le président Macron y a fait référence dans plusieurs allocutions. Cela a été très surprenant pour nous car nous en avions perdu l’habitude. Par exemple, son discours aux ambassadeurs de France, où il a soutenu que la francophonie n’est pas accessoire. C’est un message fort !

Dans d’autres allocutions, le président français a marqué son volontarisme linguistique et culturel pour le renforcement de l’image de la France par l’intermédiaire de sa langue et de sa culture. C’est par du volontarisme de cette nature que nous arrivons à faire les choses, et non pas au travers d’angoisses sur l’effondrement du français.

La Francophonie est souvent limitée à la culture, mais l’OIF intervient dans de nombreux domaines dont l’économie et le numérique, est-ce que cela provient d’une stratégie de modernisation de la Francophonie ?

Ce sont les francophones qui doivent se moderniser, nous ne sommes que l’émanation de nos Etats membres. C’est ainsi que les Etats membres nous ont demandé de ne pas nous occuper uniquement de la langue française. L’OIF n’a pas abandonné la défense de la langue, bien au contraire. Mais face aux défis mondiaux, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous travaillons.

Le numérique, par exemple, est un outil d’information avec d’importants enjeux démocratiques, un outil de formation avec des enjeux personnels considérables et un outils d’expression formidable. Il faut agir sur ce terrain pour résoudre la fracture numérique, afin que le numérique soit un atout pour tous.

Pour les enjeux environnementaux nous avons mis en place l’Institut de la Francophonie pour le développement durable à Québec, qui jouit d’une certaine réputation. Il prépare les négociations climatiques, il alimente nos Etats les moins dotés et accompagne les délégations de ces pays. Nous avons un aspect économique, car aujourd’hui nous avons besoin de croissance, de bassins d’emplois, de fixer des populations, nous avons surtout besoin de donner de l’avenir au gens. La Francophonie est ainsi au cœur des enjeux de société.

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