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"La crise catalane est une gifle considérable pour Mariano Rajoy", selon Cyril Trépier

Le 21 décembre 2017, les Catalans ont élu un nouveau parlement, dans lequel les partis indépendantistes sont majoritaires. La session inaugurale a lieu le 17 janvier avec des incertitudes quant au nouveau président qui dirigera la communauté autonome. Toute l’Europe fait le point sur la situation politique en Catalogne avec le chercheur Cyril Trépier.

Palais du Parlement de Catalogne à Barcelone
Palais du Parlement de Catalogne à Barcelone

Les élections catalanes du 21 décembre ont été marquées par la victoire de Ciudadanos mais aussi par la victoire du bloc indépendantiste, comment analysez-vous les résultats du scrutin ?

Cyril Trépier est géographe et chercheur en géopolitique. Enseignant à l’Université de Cergy-Pontoise, il est spécialiste des nationalismes régionaux européens et de l’indépendantisme catalan.

Cette victoire de Ciudadanos est inédite. C’est le premier parti opposé au nationalisme catalan à remporter l’élection pour le Parlement de Catalogne. Cependant ce résultat ne suffira certainement pas à lui permettre de gouverner.

Concernant la victoire du bloc indépendantiste, en réalité celui-ci a conservé pour l’essentiel les députés qui avaient déjà été élus. Toutefois, le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT) de Carles Puigdemont s’est présenté pour la première fois seul à une élection, ce qu’il n’avait jamais fait ces 30 dernières années, y compris sous le précédent nom du parti qui était CDC (Convergence démocratique de Catalogne). M. Puigdemont s’est, de plus, imposé contre Oriol Junqueras son ancien vice-président qui n’est pas en fuite à Bruxelles mais détenu en prison depuis près de deux mois. Cette situation vraiment unique constitue une surprise, en effet le candidat libre de ses mouvements parmi les indépendantistes est passé devant celui qui est détenu.

On peut aussi retenir du scrutin la très forte mobilisation, qui est sans égal. Elle est supérieure à celle de 2015 qui avait déjà constitué un record, et, cette fois encore, la mobilisation supplémentaire est principalement, mais pas seulement, venue des opposants à l’indépendance.

La liste Junts per Catalunya est arrivée en tête du bloc indépendantiste avec la promesse de nommer Carles Puigdemont président du gouvernement catalan. Or exilé à Bruxelles, il pourrait être investi par vidéoconférence ou par délégation d’après l’accord passé avec la représentante du parti de gauche Esquerra Republicana Marta Rovira. Quelles sont réellement les options dont dispose le camps indépendantiste ?

Pour ce qui est de l’investiture à distance de M. Puigdemont, c’est très étrange. Quant aux députés comme l’ancien vice-président Oriol Junqueras, qui n’a pas obtenu sa libération, il est possible d’obtenir une investiture à distance. Par exemple, ce dernier est devenu député par personne interposée, c’est-à-dire qu’il délègue son pouvoir à un tiers pour faire acte de présence et devenir député dans cette nouvelle législature. Le même procédé a été utilisé par l’ancien conseiller catalan de l’Intérieur Joaquim Forn, qui est également en détention préventive.

Nous sommes encore une fois devant un assez grand flou, sans aucun précédent auquel on pourrait se référer pour éclairer la situation. Il est probable que le bloc indépendantiste va, malgré tout, trouver un accord. Avec les dirigeants indépendantistes catalans, il peut y avoir encore une autre surprise, un cas que personne n’aurait envisagé. C’est tout à fait leur façon de fonctionner.

Comment les indépendantistes, avec trois députés emprisonnés et cinq en exil, vont pouvoir assurer leur majorité au parlement et le gérer ainsi que former un gouvernement ?

Effectivement, malgré sa victoire aux élections, Ines Arrimadas pour Ciudadanos n’a pas obtenu la tête du Parlement ni de la Mesa Del Parlament [organe de gestion du Parlement de Catalogne]. La situation est complexe. Par exemple Carme Forcadell, l’ancienne présidente indépendantiste du parlement, a renoncé à le présider de nouveau.

Il ne faut pas penser que le fonctionnement du Parlement interdira aux indépendantistes de gouverner la Catalogne cette fois-ci. Ils ont déjà largement contourné son règlement ces derniers mois. Par exemple, en approuvant de manière accélérée la loi du 6 septembre 2017 organisant le référendum du 1er octobre. Il n’est pas exclu qu’ils cherchent de nouveau à contourner le règlement. Mais c’est à peu près la seule chose qu’on peut dire avant cette séance d’investiture du 17 janvier, car toutes les options restent sur la table.

Si le bloc indépendantiste arrive à former un gouvernement, quelle direction va-t-il prendre après la déclaration unilatérale d’indépendance du 27 octobre et l’application de l’article 155 de la constitution espagnole par Madrid ?

Peut-être vont-ils procéder un peu différemment. Ils pourraient abandonner, au moins pour le moment, la voie unilatérale. Toutefois, leur objectif d’obtenir l’indépendance reste le même, il n’a jamais changé.

On reste dans l’expectative quant à ce qu’il va se passer. Les déclarations de ces dernières semaines, même de la part d’Oriol Junqueras, peuvent laisser penser que la méthode va un peu changer tout en gardant le même objectif. Après tout, cela fait des décennies que les personnes dont nous parlons souhaitent l’indépendance, les dirigeants indépendantistes peuvent donc encore patienter. C’est moins évident pour certains militants indépendantistes. Toutefois, les Catalans connaissent le temps long.

Face à la majorité indépendantiste au Parlement de Catalogne, comment le bloc constitutionaliste compte réagir face à une politique qui pourrait mener à l’indépendance ?

Si l’objectif des indépendantistes reste le même, celui de leurs opposants n’a pas de raison de changer. Ils ont mené une bonne campagne avec une grande mobilisation des électeurs. Je pense qu’ils vont réagir avec beaucoup de vigilance et une forte motivation à ne pas laisser de nouveau les indépendantistes outrepasser leurs prérogatives.

Quels ont été les effets de la crise catalane et des élections du 21 décembre pour le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy ?

C’est une gifle considérable, même si son parti n’a jamais obtenu de très bons résultats lors des élections au Parlement de Catalogne. Le Parti populaire (PP) n’a jamais envoyé aussi peu de députés au parlement catalan. C’est un désaveu magistral, qui l’a fragilisé aussi bien à l’échelle de l’Espagne qu’au sein de son propre parti.

Il faut aussi rappeler que personne en Catalogne, y compris ceux qui s’opposent à l’indépendance, n’oublie à quel point le PP est impliqué dans de multiples et très graves affaires de corruption. Son résultat en Catalogne souligne que même les opposants à l’indépendance n’ont jamais approuvé toute la politique de Mariano Rajoy en Espagne, notamment sa politique d’austérité.

Les partis nationaux d’opposition au Premier ministre ont donné leur vote en faveur de l’activation de l’article 155, non sans condition. Comment les opposants à Mariano Rajoy comptent tirer profit de la crise catalane ?

Podemos, troisième parti en Espagne, voulait clairement tirer profit de la crise catalane. Seulement, ses résultats et ceux de son allié catalan En Comú Podem ont été modestes. Comme cela a été le cas avec le Parti des socialistes de Catalogne (PSC). Ces deux partis se voyaient incarner une troisième voie : ni favorable à l’indépendance ni favorable à Ciudadanos. Or, ils ont été marginalisés par ce scrutin, car les positions les plus fermes l’ont emporté des deux côtés. On ne peut donc pas dire que ces deux partis ont tiré profit de la crise catalane.

Cependant, Ciudadanos semble en bonne position pour pouvoir espérer à terme gouverner l’Espagne. C’est clairement l’un de ses objectifs. Il devient assez prioritaire étant donné que gagner les élections catalanes ne suffira certainement pas pour gouverner la Catalogne.

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