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Jacques Barrot : “Le débat électoral ne peut pas faire l’impasse sur l’Europe”

Jacques Barrot - DRJacques Barrot est Vice-président de la Commission européenne en charge des transports. Il vient de publier aux éditions Albin Michel un livre d’entretiens avec Baudouin Bollaert, intitulé “L’Europe n’est pas ce que vous croyez” .

Vous présentez votre ouvrage comme un témoignage sur l’Union européenne mais également comme une “alerte” pour l’Europe. Quels sont les dangers que vous redoutez ?

L’Europe est à la croisée des chemins. Elle a besoin de retrouver élan et souffle. J’ai voulu ce livre pour que le débat électoral en France fasse une plus juste place à l’Europe. Nous avons besoin de mieux connaître les projets des différents candidats, qui ne peuvent pas passer ce sujet sous silence, parce que la plupart des grands défis qui nous attendent ne trouveront de solution qu’au niveau européen.

Puisqu’il y a un grand débat national, il faut que les candidats nous disent ce qu’ils veulent pour permettre le retour de la France en Europe. Après ce coup de tête “à la Zidane” que le peuple français a donné avec le référendum, je crois qu’il est temps pour la France non seulement de faciliter un nouveau traité institutionnel mais aussi de lancer de nouveaux chantiers.

Ce livre se termine par une adresse aux candidats pour les mettre face aux grandes échéances européennes, mais aussi pour leur demander ce qu’ils feront, s’ils sont élus, pour que les Français aient enfin une autre approche de l’Europe. Voila pourquoi je parle d’une alerte : attention, le débat électoral ne peut pas faire l’impasse sur l’Europe.

Nous sommes à moins de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle. Etes vous satisfait de la place qu’occupent jusqu’à présent les questions européennes dans cette campagne ?

Nous avons affaire à une campagne qui diffuse des idées fausses. Incriminer l’euro comme facteur de hausse des prix, c’est oublier que sans la monnaie unique nous aurions une facture pétrolière 30 % plus chère. C’est aussi oublier que la Banque centrale européenne, en veillant à la stabilité de la monnaie, a permis de préserver les revenus des plus modestes.

Nous sentons aussi revenir les vieux démons qui consistent à diaboliser la concurrence. Le droit de la concurrence européen est fait pour protéger le consommateur. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un service fait l’objet d’un appel d’offre pour susciter la concurrence qu’on ne peut pas y greffer des obligations d’intérêt général. Pourquoi ne pas reconnaître à l’économie sociale de marché des qualités qu’on lui reconnaît dans tous les autres Etats membres ?

Il faut débarrasser le débat électoral français de ces idées fausses. Il faut aussi que l’appel à l’Europe ne soit pas simplement un appel à un bouclier. Il ne s’agit pas de demander à l’Europe de reconstituer une ligne Maginot, dont on connaît l’inefficacité. Il s’agit de faire de l’Europe un vrai levier pour affronter les défis face auxquels nous ne pourrons pas répondre si nous ne sommes pas unis.

N’êtes-vous pas sensible à un certain type de discours qui se développe en faveur d’une Europe plus “protectrice” , non pas simplement des consommateurs mais aussi des personnes ?

L’Europe est déjà protectrice ! L’Europe protège quand elle veille à réguler les prix du roaming (NDLR - prix des appels à l’étranger depuis ou vers un téléphone mobile) pour éviter que certaines compagnies de télécommunications prennent des marges excessives, quand elle assure la sécurité maritime en interdisant tous les bateaux à simple coque, quand elle dresse la liste noire des compagnies aériennes qui prétendent atterrir en Europe sans offrir le niveau de sécurité nécessaire. L’Europe protège aussi avec son nouveau fonds anti-chocs contre les excès de la mondialisation. Il faut maintenant que l’Europe judiciaire et l’Europe policière progressent. Nous avons besoin dans ces domaines de décisions prises plus facilement, parce que prises à la majorité.

Cela étant, on ne peut pas demander à l’Europe uniquement de la protection. Il faut aussi qu’elle soit un accélérateur de chances, comme lorsqu’elle prend les devants en matière de lutte contre le réchauffement climatique, par une politique énergétique d’avant-garde. L’Europe est aussi là pour dynamiser les entreprises grâce à un réseau de recherche et d’innovation qui s’avère beaucoup plus efficace que ne le seraient des recherches dans un cadre purement national.

Pour assurer une vraie protection, il faut passer à l’offensive. Il ne faut que les Européens, et en particulier les Français, aient peur de la mondialisation. Pour cela, il faut muscler nos économies, permettre à tous d’accéder à une formation continue qui leur permet de s’adapter. Nous aurons alors de vraies protections, qui naissent non pas de barrières artificielles, mais des capacités offertes aux personnes pour s’adapter à un monde en changement.

On trouve dans votre livre beaucoup d’exemples d’applications concrètes des politiques européennes. Pourquoi continue-t-on malgré tout de percevoir l’UE comme quelque chose de lointain, voire d’étranger ?

Probablement parce que nous ne communiquons pas assez et parce que les gouvernements nationaux, les hommes politiques, notamment en France, ne relaient pas suffisamment l’information sur tous ces chantiers européens qui sont des chantiers de la réussite.

Peu de Français savent que grâce à l’intervention européenne au Congo nous avons conjuré une guerre civile. Peu d’Européens savent que nous sommes un laboratoire de réconciliation, que si les Irlandais du Nord ne se font plus une guerre fratricide, c’est parce que l’Europe a mis en place les moyens pour que les communautés puissent s’accepter mutuellement.

On pourrait multiplier les exemples où la dimension européenne a permis d’atteindre des objectifs qu’on n’aurait jamais atteints en restant sur un plan purement national. J’ai aussi voulu ce livre comme un livre d’images, où les Français pourront voir de manière très concrète là où l’Europe a réussi.

Avant d’être nommé Commissaire, vous avez eu une longue carrière politique nationale. Quelle était alors l’image que vous aviez de l’Europe ? Quel est le principal enseignement que vous retirerez de votre expérience à Bruxelles ?

J’étais un Européen convaincu et, par conséquent, je n’ignorais pas que mon Auvergne natale avait largement bénéficié des fonds européens pour se développer. En même temps, j’ignorais bien d’autres actions que conduit l’Europe et j’ai découvert cela de l’intérieur, en voyant comment le marché unique permet de véritables réussites industrielles.

Le marché unique fonctionne comme une base arrière pour nos industries, qui ont souvent réussi à y trouver la clientèle nécessaire pour lancer des produits et ensuite les vendre dans le monde entier. Prenez l’exemple du téléphone mobile, qui a réussi grâce à un standard commun à toute l’Europe. Airbus n’aurait pas pris son essor s’il n’y avait pas eu l’Europe pour certifier des avions au nom de tous les Etats membres. Cette histoire, je ne la connaissais pas assez et maintenant que je suis au sein de la Commission, je vois chaque semaine tous les progrès qu’autorise l’Europe, toutes les chances nouvelles qu’elle apporte aux Européens.

Je crois plus que jamais à la démarche communautaire, dont l’efficacité m’est apparue déterminante. Il faut communautariser un certain nombre de nouveaux secteurs. Je pense à l’énergie, à l’immigration, à la défense. Le jour où un état-major européen prendra des décisions à la majorité qualifiée, le jour où on pourra déployer des groupements tactiques en assurant à la fois la présence militaire et l’aide au développement, ce jour-là nous aurons une Europe visible, qui sera vraiment la première force de paix dans le monde. Je crois que cela a de quoi dynamiser toutes les jeunes énergies.

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