“Populiste” : le mot est aujourd’hui en vogue. Souvent utilisé pour disqualifier un adversaire politique, il est aussi revendiqué par plusieurs partis. Si le terme fait l’objet de définitions variées, les populistes partagent néanmoins une vision commune du monde, dans laquelle leur pays doit être gouverné selon la volonté du “peuple”. Mais surtout, les leaders populistes revendiquent un lien direct avec celui-ci, souvent qualifié de “majorité silencieuse” , et donc le monopole de leur représentation. Ce peuple étant perçu comme homogène, ils rejettent la diversité politique et sociale. Et s’en prennent directement aux élites (politiques, financières et intellectuelles), aux groupes minoritaires (étrangers, Roms, migrants, minorités religieuses, opposition politique…) et à un certain nombre d’institutions (politiques, judiciaires, médias, ONG…), tous accusés de trahir l’intérêt national.
Ainsi, “l’essence du populisme, c’est l’anti-pluralisme” , explique le politologue allemand Jan-Werner Müller. “Premièrement, tous les autres partis sont illégitimes, corrompus, ‘tous pourris’. Deuxièmement, les citoyens qui ne les soutiennent pas politiquement n’appartiennent pas à ce ‘peuple vrai’ “. Un rejet de la diversité qui conduit les gouvernements populistes à “l’exacerbation du pouvoir majoritaire” , à la “simplification des institutions démocratiques” voire à “l’éjection de la démocratie” , analyse le professeur Pierre Rosanvallon.
Enfin, les partis populistes sont le plus souvent, mais pas toujours, d’extrême-droite (il en existe aussi de gauche ou de plus difficilement classables comme le Mouvement 5 étoiles en Italie), donc nationalistes et xénophobes, ou encore anti-européens et protectionnistes.
Hongrie, Pologne, Italie, République tchèque, Slovaquie, Bulgarie, Autriche : aujourd’hui, sept pays de l’Union européenne sont gouvernés par des leaders ouvertement populistes, ou des coalitions qui en comptent en leur sein.
Les gouvernements populistes
Hongrie : Viktor Orbán et la démocratie “illibérale”
Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orbán a mis en place un large éventail de mesures liberticides : contrôle des médias par ses proches, modification des lois électorales en faveur de son parti, affaiblissement de la Cour constitutionnelle, offensives contre les migrants et contre les ONG qui les défendent, restriction d’enseigner des universités étrangères. Avec un discours souverainiste, anti-élites et anti-islam, il se pose désormais en défenseur de “l’identité chrétienne” européenne, face à une immigration qu’il qualifie “d’invasion” musulmane. Dernière mesure en date : une loi interdisant aux sans domicile fixe (SDF) de dormir dans les espaces publics.
Le Fidesz est par ailleurs débordé à sa droite par le parti d’extrême-droite ultranationaliste Jobbik, qui a obtenu 20% des voix aux élections législatives d’avril 2018.
Si le concept d’ “illibéralisme” a été théorisé dès les années 1990, celui de “démocratie non libérale” (ou “illibérale”) a été utilisé et revendiqué pour la première fois en 2014 par Viktor Orbán, dans un discours au camp de jeunes de Băile Tuşnad.
Celui-ci y explique notamment “qu’une démocratie n’est pas nécessairement libérale” et que “les sociétés fondées sur l’organisation libérale de l’État ne seront pas en mesure de maintenir leur compétitivité mondiale dans les années à venir” . Ainsi, pour le Premier ministre hongrois, “Le nouvel Etat que nous sommes en train de construire est un Etat illibéral, un Etat non libéral. Il ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté, etc. Mais il ne fait pas de l’idéologie un élément central de l’organisation de l’Etat. Il applique une approche spécifique et nationale” .
Le régime a ainsi conservé un système d’élections “libres” , comme dans d’autres pays cités comme modèles : “Singapour, la Chine, l’Inde, la Turquie et la Russie” . Une pratique souvent avancée par les partisans de l’illibéralisme comme preuve du caractère démocratique du régime, au mépris des autres principes qui y sont rattachés : pluralisme, séparation des pouvoirs voire égalité devant la loi.
Pologne : la “révolution conservatrice” de Kaczynski
Italie : une coalition “antisystème”
Le programme de coalition de ce gouvernement antisystème promet entre autres un “revenu de citoyenneté” , le renvoi de 500 000 immigrés clandestins, une réduction drastique du nombre de parlementaires ou encore un recours accru aux initiatives populaires.
République tchèque : Andrej Babiš, “populiste entrepreneurial”
Pragmatique, il a bâti son succès sur une critique du parlementarisme (qualifiant le Parlement de “chambre de bavardage”) et un rejet des élites, jugées inefficaces et corrompues. Parfois surnommé le “Trump tchèque” , qualifié de “populiste entrepreneurial” par le politologue Jacques Rupnik, il prévoit de “gérer l’Etat comme une entreprise” et a instauré une forte personnalisation du pouvoir. Opposé à l’immigration et à l’Islam, anti-euro mais pro-européen (et par ailleurs poursuivi pour fraude aux fonds européens), il possède aujourd’hui de nombreux médias en République tchèque.
A sa droite, le parti SPD (“Liberté et démocratie directe”) de l’entrepreneur d’origine japonaise Tomio Okumara prône la “tolérance zéro” pour “l’islam et les migrations illégales” et veut “défendre l’identité de la civilisation européenne” . Il a réalisé un score de 11% aux élections législatives.
Les gouvernements intégrant des populistes
Slovaquie : Robert Fico, populiste de gauche
Il a remporté les élections de 2016 avec une rhétorique populiste ciblant en particulier les migrants, les musulmans, la minorité hongroise de Slovaquie et les journalistes. Fico a tour à tour qualifié ces derniers de “simples hyènes idiotes” ou de “prostituées anti-Slovaques” , interdit l’usage de la langue hongroise dans les administrations et juré en 2015 de “surveiller chaque musulman en Slovaquie” .
Après le meurtre en février 2018 du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa fiancée, Robert Fico démissionne. Son successeur plus modéré, Peter Pellegrini, a néanmoins reconduit la même coalition gouvernementale avec le parti de Robert Fico, le parti de la minorité hongroise Most-Hid et le parti d’extrême-droite SNS.
Autriche : une nouvelle coalition noire-bleue
Il dispose aujourd’hui de six ministères, dont celui de l’Intérieur qui lui permet de mettre en œuvre un programme anti-migrants et anti-islam. Celui-ci insiste sur la défense de l’identité nationale, et repose sur 10 grands principes tels que la “patrie” , la “sécurité” ou la “responsabilité” . Outre la lutte contre l’islam politique érigée au rang de priorité, il comporte des mesures visant à réduire les services sociaux pour les nouveaux arrivants, les demandeurs d’asile ou encore les parents qui ne respectent pas certaines exigences, comme s’assurer de la présence des enfants en cours ou le fait qu’ils s’expriment en langue allemande. Heinz-Christian Strache exigeait un référendum sur le maintien de l’Autriche dans l’Union européenne et l’abandon de l’euro, ce qui lui a été refusé par Sebastian Kurz.
Bulgarie : l’empreinte d’Ataka
Si les “Patriotes Unis” s’affichent désormais pro-européens et favorables à l’OTAN, ses deux principaux leaders Krassimir Karakatchanov et Valeri Simeonov (photos ci-contre) s’en prennent régulièrement aux Turcs, aux migrants et à la “criminalité tzigane”.
Grèce : la normalisation de Syriza
Dirigé par Pannos Kammenos aujourd’hui ministre de la défense (photo ci-contre), le parti des Grecs indépendants d’Anel, qui n’a quant à lui obtenu que 3% des voix, s’oppose au multiculturalisme, souhaite réduire l’immigration et soutient le développement d’un système éducatif appuyé par l’Église orthodoxe.
Toutefois, plusieurs commentateurs, tels le chercheur Angelos Chryssogelos, s’accordent sur le fait que le gouvernement grec est rapidement passé du populisme au pragmatisme, après avoir accepté notamment des concessions sur le plan d’aide européen en juillet 2015. En septembre 2018, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a par ailleurs mis en garde les députés européens contre le retour du “monstre du populisme” .
Lettonie : des incertitudes sur la future coalition
Pour aller plus loin
- Une démocratie peut-elle vraiment être illibérale ? - France Culture
- “La démocratie illibérale n’existe pas”, par Michaël Foessel - AOC
- Jan-Werner Müller : “L’essence du populisme, c’est l’anti-pluralisme” - La Croix