Proposer une alternative à l’extrême droite
“Ce nouveau projet bouleversera-t-il l’échiquier politique allemand” , s’interroge le Huffington Post ? À la tête du mouvement baptisé Aufstehen (“Debout” , en français), Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe Die Linke au Bundestag. Qualifée d’ “égérie de l’extrême gauche” par France Info, elle ambitionne de “dynamiter la vie politique allemande” , poursuit le média : “longtemps défenseuse de la RDA communiste, elle tente aujourd’hui de séduire les électeurs d’extrême droite” .
“Épouse d’Oskar Lafontaine, l’ex-ministre de Gerhard Schröder qui avait claqué la porte du gouvernement pour co-fonder Die Linke en 2007″ , rappelle brièvement le Huffington Post, elle est “une habituée des positions hétérodoxes au sein de sa famille politique” . Ces dernières font d’ailleurs l’objet de controverses parmi les membres de la gauche radicale, notamment sur la question migratoire. Pour France Info, “cette fille d’un père iranien rejoint le discours de la droite populiste : elle dénonce l’ouverture incontrôlée des frontières et reproche à la gauche sa naïveté sur ses questions”.
Le tout nouveau mouvement politique affiche déjà ses ambitions, avec des premiers résultats impressionnants. “L’objectif des 80 personnes qui ont lancé ‘Debout’ et rejoint depuis par 100 000 autres n’est pas la création d’un nouveau parti” , explique RFI, “mais plutôt de contribuer à redonner des couleurs à une gauche allemande en perte de vitesse”. Cette dernière, “fragmentée, a rassemblé moins de 40% des voix aux élections de 2017″ , ajoute le Huffington Post, et “certains électeurs se sont réfugiés dans le vote AfD à l’extrême droite” .
C’est en effet l’une des raisons qui justifient les positions “anti-migrants” de Sahra Wagenknecht. “J’en ai marre de laisser la rue au parti d’extrême droite parce que beaucoup des gens qui le suivent ne sont pas simplement xénophobes. Ils se sentent plutôt laissés de côté, abandonnés par la politique” , a-t-elle expliqué à l’occasion de l’inauguration du mouvement [France Info]. Selon un sondage, “un tiers des Allemands” envisageraient de la soutenir, conclut le média.
Refus d’une étiquette xénophobe
Afin d’éclaircir les positions de Sahra Wagenknecht, la rubrique Checknews de Libération propose la traduction d’extraits de discours et une longue analyse de ses propos. “Sahra Wagenknecht défend le droit d’asile dans sa forme actuelle et s’est opposée à son durcissement” , écrit le journal. Il ne faudrait pas voir dans Aufstehen un mouvement d’extrême gauche xénophobe : “en ce qui concerne les immigrés, qui ne relèvent pas du droit d’asile, elle estime qu’une position d’ouverture totale des frontières n’est pas une position de gauche” .
Cette analyse des positions de l’élue de gauche est partagée par Pierre Haski, sur France Inter. Pour lui, Sahra Wagenknecht “revient à la vieille analyse marxiste qui considère que le patronat utilise l’immigration pour faire baisser les salaires” . Le chroniqueur explique que “la gauche allemande est écartelée entre un impératif moral de solidarité, et ce nouveau réalisme - ou plutôt cynisme - qui ne veut pas laisser à l’extrême droite le terrain du contrôle migratoire” .
Dans un autre extrait traduit par Libération du discours de Sahra Wagenknecht au congrès de Die Linke, le 10 juin dernier, elle rapproche même ses idées de celles d’autres meneurs de gauches. “Ce que la droite aime dans ce pays, c’est une politique d’ouverture des frontières. Amenez beaucoup de gens qui travaillent pour deux ou trois dollars de l’heure. Ce serait formidable pour eux” , déclare-t-elle, citant Bernie Sanders, ancien candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine. Elle se défend ainsi de donner dans le populisme : “vous n’avez pas à partager cette opinion, mais Bernie Sanders et Jeremy Corbyn ne sont en aucun cas des gens qui courent après la droite et adoptent leurs arguments” .
Le journaliste de la matinale de France Inter s’interroge cependant : “Faut-il répondre à cette radicalisation à l’extrême droite par la protestation habituelle […] ? Ou considérer, avec Sahra Wagenknecht, que les raisons du vote d’extrême droite doivent être entendues” mais “au risque, cette fois, de perdre son âme” ?