Pour faire face à la “crise des migrants” , l’Union européenne a décidé d’adopter un nouveau mandat pour l’agence Frontex. Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent du respect des droits humains dans le renforcement de cet arsenal ?
L’agence Frontex qui existe depuis 2004 a souvent fait l’objet de suspicion et d’accusations parfois véhémentes (y compris sur des tirs récemment contre des bateaux transportant des migrants). Je fais le pari que la nouvelle agence Frontex mène ses missions dans le respect des droits fondamentaux, mais il faut continuer d’être très vigilant sur son fonctionnement. Je suis confiante dans la capacité du directeur de Frontex de prendre en charge les questions de respect des droits de l’homme, le non refoulement et la protection des individus.
Sylvie Guillaume est vice-présidente du Parlement européen. Eurodéputée (S&D) depuis 2009, elle est notamment membre de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE)
Mais il y a l’agence à Varsovie et il y a les équipes de terrain -1 500 personnes- et ça n’est pas tout à fait la même chose d’un point de vue opérationnel. Les activités doivent être scrutées. En tant que parlementaires européens, nous allons être amenés à exercer un contrôle démocratique plus affirmé qu’avant sur le fonctionnement général. Jusqu’à présent, nous rencontrions régulièrement le directeur de Frontex en réunion de la Commission LIBE ; demain les rapports réguliers sur les actions, les moyens, et les ressources humaines seront plus fréquents. Et c’est évidemment important si l’on sait que l’agence devra faire des préconisations et prendre des mesures d’urgence dans des pays soumis à une forte pression migratoire.
Le plan de relocalisation adopté il y a un an par les Etats membres rencontre de vraies difficultés d’application. Pourtant le commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, semble confiant et a annoncé la semaine dernière que 30 000 migrants seraient répartis d’ici à la fin de 2017 dans les Etats membres. Le processus de relocalisation peut-il être accéléré comme l’a annoncé la Commission européenne ?
Dans les trois cas, les objectifs ne sont pas atteints et aujourd’hui les chiffres sont très faibles car nous sommes face à une absence totale de coopération de la part de certains Etats membres.
Il faut d’ailleurs rappeler que la Hongrie et la Slovaquie ont porté ce principe de répartition et de solidarité devant la Cour de justice européenne. Ce n’est pas un acte neutre. Il y a eu une levée de boucliers de la part d’un nombre suffisamment important d’Etats qui ont mis des bâtons dans les roues de ces dispositifs pour les mettre en échec.
Depuis, le sommet de Bratislava a signé la mort de cet accord de répartition solidaire des migrants tel que prévu par la Commission et M. Orban poursuit son travail de sape comme en témoigne l’organisation du dernier référendum dans son pays (même si celui-ci a été invalidé). Il va falloir maintenant que la Commission européenne trouve un autre système pour arriver à convaincre chacun de procéder à une certaine répartition. Aujourd’hui, les Etats membres les plus hostiles préconisent une acceptation à la carte ; nous sommes très loin des idées d’harmonisation européenne et de valeurs partagées.
Le Parlement européen est loin de baisser les bras mais il est le théâtre d’un affrontement politique très important avec pour certains groupes politiques une volonté d’agiter la peur de l’arrivée de nombreuses personnes sur le territoire européen. Il y a une très grande fébrilité dans toutes les institutions européennes. Le Parlement européen, qui accompagnait la démarche de répartition de la Commission européenne avec un regard bienveillant, est un peu désespéré de voir cette absence de répondant de la part des Etats membres et du Conseil de l’UE.
La Commission européenne a déclaré que l’accord conclu entre l’UE et la Turquie pour tarir les flux migratoires illégaux en mer Egée s’était jusqu’ici révélé “efficace” . Partagez-vous cet avis ?
L’idée derrière cette déclaration était de contenir à l’extérieur de l’Union européenne les populations syriennes. Si l’on prend comme variable le fait qu’il y a moins de personnes qui traversent la mer Egée et qu’il y a moins de morts en Méditerranée (même si toute mort est de trop), la Commission européenne peut effectivement parler de “progrès” . Mais qu’a changé cette déclaration dans l’harmonisation collective que l’on souhaite en matière de politique migratoire et d’asile ? Au final, le résultat de cette déclaration est très parcimonieux et n’est pas à la hauteur des enjeux.
Il reste beaucoup de points en cours de négociation dans les autres volets de cette déclaration UE-Turquie, puisqu’en échange de la satisfaction de 72 critères, la Turquie devrait obtenir la libéralisation des visas pour ses citoyens qui se rendent dans l’UE. Ces critères ne sont pas remplis et c’est pourquoi le Parlement européen n’était pas prêt à accéder à la demande de la Turquie. Il y a une pression forte pour avancer mais des critères restent des critères et je vois mal le Parlement européen écarter cela d’autant que c’est le seul dossier sur lequel les parlementaires peuvent influer législativement parlant. Il y avait une échéance avant l’été, elle a déjà été reportée une première fois, puis une seconde à la fin de l’année. Entre la tentative de coup d’état et la vague récente de répression dans le pays, la situation de dialogue avec la Turquie n’est pas facile.