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Sylvie Guillaume : “L’UE n’a toujours pas avancé sur l’architecture d’une réponse commune sur les dossiers asile et migration”

Au lendemain de la rencontre entre le président turc Recep Erdogan et l’UE, le Parlement européen réuni en session plénière le 10 mars, à Bruxelles, a abordé la situation des migrants à la frontière gréco-turque. Dans l’ensemble, les députés européens ont rejeté le “chantage” du président turc qui en ouvrant ses frontières avec l’UE le 28 février dernier a entrainé l’arrivée de 20 000 migrants à la frontière gréco-turque. Une position partagée par Sylvie Guillaume, cheffe de la délégation de l’alliance Parti socialiste-Place publique-Nouvelle donne, qui revient sur l’action de l’Union européenne sur ce dossier.

Sylvie Guillaume Crédits : Parlement européen (Novembre 2019)
La députée européenne Sylvie Guillaume dans l’hémicycle de Parlement européen à Strasbourg - Crédits : Parlement européen (Nov. 2019)

Membre de la commission aux Affaires intérieures, l’ancienne vice-présidente du Parlement européen est spécialiste des questions migratoires et des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Depuis qu’Ankara a ouvert ses frontières avec l’UE le 28 février dernier, des milliers de migrants affluent vers la Grèce, réveillant en Europe le souvenir de la crise migratoire de 2015. Quatre ans et demi après, les Européens sont toujours dans l’incapacité de trouver une réponse commune ?

Il faut d’abord revenir sur les termes utilisés. Lorsque que l’on parle aujourd’hui de “crise migratoire” , c’est un terme sommaire. Ce qui se joue maintenant, c’est une crise de la solidarité, consécutive à un blocage dans la réflexion prospective que l’Union européenne devrait produire sur les mouvements de population. C’est un défaut de mise en perspective. Il faut se souvenir qu’en 2016, c’est la Commission européenne qui a accepté une “déclaration” avec le président de la Turquie, sans le contrôle du Parlement européen. C’est une décision qui a fixé une situation et d’une certaine manière enterré la recherche de solutions sur le moyen et le long terme.

Dans l’intervalle, le Parlement a continué à produire un travail sur le régime commun de l’asile en faisant des propositions pour avancer sur les textes en souffrance. Aujourd’hui en 2020, le mandat de négociation du Parlement sur le règlement Dublin a été voté 2017, mais le Conseil de son côté n’a toujours pas avancé. J’espère qu’il y a parmi les parlementaires européens, des députés qui sont autant en colère que moi par rapport à cette inaction. Je trouve particulièrement détestable qu’à la faveur du chantage du président Erdogan, d’un seul coup les Etats membres s’affolent alors qu’ils ont fermé les yeux pendant trois ans sur la situation des réfugiés sur le territoire turc.

Le président turc Erdogan et les dirigeants de l’UE se sont rencontrés le 9 mars afin de s’entendre sur la sortie de cette crise migratoire à la frontière turco-grecque. Un nouvel accord devrait être trouvé d’ici au 26 mars. Est-ce que la solution réside dans un nouvel accord avec la Turquie ? Et si oui à quoi devrait-il ressembler ?

J’aimerais rappeler qu’il ne s’agit pas d’un accord mais d’une déclaration. Le Parlement européen doit non seulement être consulté, mais également participer à la conception d’un nouvel accord, si accord il doit y avoir. Si l’Union européenne doit à nouveau trouver une solution avec le Président turc, il faut mettre toutes les arguments sur la table.

L’UE doit ainsi déterminer si elle répond favorablement à la demande du président turc de renouveler un accord a minima ou bien s’il y aura d’autres sujets sur la table. Par exemple, les exigences turques concernant l’union douanière et la libéralisation des visas demeurent-elles ?

Mais cet accord participera la résolution d’une situation en particulier et cela ne soldera pas pour autant le problème plus général de la question de l’accueil des personnes, celle du soutien aux pays situés aux frontières de l’Union et enfin ce qui doit constituer le futur le Pacte sur l’asile et la migration que la Commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson doit nous présenter.

Face à cette situation d’urgence, l’Union européenne a annoncé un plan d’aide de 700 millions d’euros, dont la moitié disponible immédiatement pour aider la Grèce à empêcher les entrées illégales. L’UE est davantage capable d’apporter une réponse à court terme qu’une réponse à long terme ?

C’est la crainte. Tant qu’il y aura des visions nationales basées sur l’intérêt individuel des Etats membres, l’UE en restera à une vision à court terme. Nous aurons toujours des pays qui dès le départ ne veulent accueillir personne, d’autres qui font des propositions (comme actuellement sur l’accueil des mineurs par un groupe d’Etats membres) mais qui ne voudront pas en faire plus si d’autres refusent de s’engager.

Nous savons que le nœud de tous ces dossiers est de savoir si on arrive à mettre au point et valider un système de répartition des personnes.

S’agissant de la Grèce, je veux également indiquer qu’il faut critiquer le comportement de M. Erdogan et dans le même temps ne pas rester muets concernant les autorités grecques, qui contreviennent aux lois internationales sur l’asile et sur le refoulement.

Le règlement de Dublin, qui prévoit que le premier pays d’accueil d’un migrant est responsable du traitement de sa demande d’asile, a montré ses limites. Les discussions, ouvertes il y a près d’un an et demi, n’ont toujours pas abouti. La Commission doit présenter un nouveau Pacte sur la migration et l’asile au mois d’avril dans lequel il est question d’un “nouveau mode de répartition de la charge” . Qu’attendez-vous de ce nouveau paquet législatif ?

Dans ce nouveau paquet législatif, les textes de Dublin et Procédures -ce qui dérange le plus le Conseil de l’UE- seraient retirés, ce qui équivaut à une forme de marginalisation de la position du Parlement européen, qui, il faut le souligner, avait voté des propositions intéressantes sur la réforme de Dublin.

Dans ce nouveau Pacte, il serait question d’un système de répartition certes, mais également d’une généralisation des procédures aux frontières extérieures de l’UE. Cela pose la question de la rétention : devient-elle généralisée ou existe-t-il des alternatives ? Dans le projet, il y aurait une sorte de solidarité qualifiée de « flexible » avec un appel à la bonne volonté des pays qui pourraient exprimer leur souhait d’accueillir des demandeurs d’asile ou de contribuer d’une autre manière à cet accueil. Bref, ce qu’on sait du projet montre des aspects inquiétants, tandis que le problème principal de la répartition reste aigu.

Comment jugez-vous les débuts de la nouvelle Commission européenne sur ce dossier de migration et d’asile ?

Même si ces questions s’imposent dans l’agenda de la Commission européenne, les propositions législatives ne sont pas encore sorties. La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson a décidé de beaucoup consulter les Etats membres sur ces questions. Elle a testé quelques idées, notamment dans notre groupe. Je pense qu’elle est convaincue qu’il faut agir humainement et en respect des textes internationaux. Mais dans le même temps, Mme Johansson subit une pression assez forte pour trouver des solutions là où les Etats membres s’opposent entre eux depuis longtemps. C’est une situation assez inconfortable pour elle.

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