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Sans le principe de territorialité, Toni Erdmann, prix Lux 2016, n’aurait pas existé

Mercredi 23 novembre, le Parlement européen a décerné au film allemand Toni Erdmann le prix Lux 2016. Les eurodéputés l’ont préféré à A peine j’ouvre les yeux (France, Belgique, Tunisie, Emirats arabes unis) et au franco-suisse Ma vie de Courgette. Les trois finalistes bénéficieront du soutien du prix Lux, récompense existant depuis 2007, pour la distribution et le sous-titrage au sein des 28 Etats membres. Présent au Parlement européen de Strasbourg lors de la cérémonie, Toute l’Europe a rencontré les équipes des films en compétition.

Maren Ade, réalisatrice de Toni Erdmann, au Parlement européen au moment de l'obtention du prix Lux

Récompense méconnue du grand public, reconnue par les auteurs

Affiche de Toni Erdmann

Sans contestation possible, le prix Lux du Parlement européen ne boxe pas dans la même catégorie que les grands festivals cinématographiques européens comme Cannes, Berlin et Venise, ou que les principales cérémonies de remises de prix comme les Césars et les Oscars. Sa notoriété, après dix années d’existence, demeure plus que modeste, tout comme son budget de 400 000 euros. Toutefois, aussi bien pour le symbole d’être sélectionné par la seule institution européenne élue par les citoyens, que pour l’aide concrète à la distribution au sein de l’UE qu’il représente, le prix Lux est tout sauf négligé par les équipes des films sélectionnés.

Obtenir cette récompense est “une grande chose” , confirme Maren Ade, réalisatrice de Toni Erdmann. Car le prix Lux “aide” et “encourage énormément les distributeurs” . Productrice d’A peine j’ouvre les yeux, Nathalie Mesuret ne dit pas autre chose : “un film est fait pour être vu par le plus grand nombre possible, donc rien que pour cette modalité [du soutien à la distribution et au sous-titrage], c’est formidable” . Quant à Claude Barras, réalisateur de Ma vie de Courgette, il s’est déclaré “doublement fier et honoré” , heureux également de voir un film d’animation pour la première fois parmi les finalistes.

Affiche d'A peine j'ouvre les yeux

Interrogées séparément, mais unanimes, les trois équipes des films sélectionnés, mettent en avant la portée universelle du prix Lux. La liberté d’expression et le droit des femmes, thèmes principaux d’A peine j’ouvre les yeux, ne sont évidemment pas propres à la Tunisie, où se déroule l’intrigue. Même chose concernant Ma vie de Courgette, film d’animation sur l’enfance, ses (grandes) difficultés, et l’amitié. Et Toni Erdmann, qui montre à quel point vivre dans un autre Etat membre peut paraître étrange ou au contraire normal pour un autre Européen et à quel point il est possible de vivre quelque part sans être réellement en contact avec la réalité locale.

Du côté institutionnel également, l’utilité du prix Lux est évidemment louée. “Le prix Lux est une véritable success-story” , veut même croire l’eurodéputée écologiste allemande Helga Trüpel. “Le cinéma est un vecteur qui peut nous faire du bien, et il n’y en a pas beaucoup” , estime-t-elle. Même si, comme l’a souligné Doris Pack, ancienne eurodéputée et actuelle coordinatrice du prix Lux, il n’est “pas si simple de faire comprendre aux collègues parlementaires que le cinéma est un fantastique élément de communication et de diffusion de la culture européenne” .

Prix Lux : photo de famille des finalistes 2016

Prix Lux : photo de famille des finalistes 2016 en compagnie de Martin Schulz, président du Parlement européen

Sauvegarder le principe de territorialité

Renforcer le prix, comme le propose Antonio Tajani, vice-président du Parlement européen, pourrait par conséquent être nécessaire. “L’industrie cinématographique européenne génère 3,3% du PIB de l’UE et occupe 3% de la population active, soit environ 6 millions de travailleurs” , décline-t-il. Mais exister face au cinéma américain et ses films en anglais facilement commercialisables n’est pas toujours aisé.

Affiche de Ma vie de Courgette

Le cinéma d’auteur européen particulièrement fait face à des contraintes importantes et, comme l’explique Jonas Dornbach, producteur de Toni Erdmann, “mettre sur pied des coproductions” et regrouper les sociétés de production européennes sont des nécessités. A cet égard, tous insistent sur l’impérative sauvegarde du principe de territorialité des droits d’auteur, sans lequel le financement de nombreux films serait rendu impossible et grâce auquel les auteurs peuvent être rémunérés. “Sans ce principe, on n’aurait pas fait Toni Erdmann” , affirme ainsi Jonas Dornbach. Une opinion entièrement partagée par Max Karli, producteur de Ma vie de Courgette : “en ouvrant les frontières, on perd un financement, celui des chaînes, qui ont besoin du géoblocage [territorialité, ndlr] pour se rembourser” .

Dit autrement, le développement puis la distribution des films ressemblent déjà suffisamment à des chemins de croix et il serait plus que préjudiciable d’ajouter de nouvelles contraintes de financement. Sorti en France en décembre 2015, A peine j’ouvre les yeux circule par exemple depuis plus d’un an et a été présenté dans près de 50 festivals afin d’assurer sa diffusion.

Bien vendu à l’international, et émargeant déjà à 500 000 entrées en France, Ma vie de Courgette, sorti le 19 octobre a quant à lui d’ores et déjà “remboursé” son budget de production. Ce qui ne devrait pas exonérer son équipe de sillonner les pays, et ce qui ne conduira probablement pas ses auteurs à la fortune. Ces derniers, comme nous l’explique Claude Barras ne touchent “que 5% de ce qui reste” , après que tous les autres membres de l’équipe se soient remboursés.

Quant au lauréat du prix Lux, Toni Erdmann, le succès du film en Allemagne et en France devrait faciliter la vie de Maren Ade pour ses futurs projets. “Probablement le bon moment pour faire un film encore moins ‘bankable’ ” , s’amuse-t-elle.

Par Jules Lastennet

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