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Sandrine Bélier : “la protection des droits des artistes ne doit pas être un motif d’atteinte aux droits des internautes”

Mercredi 22 septembre été adopté en plénière à Strasbourg le rapport de Marielle Gallo (France, PPE) sur l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur. Membre du groupe des Verts qui avait, avec les socialistes européens, présenté une résolution alternative Sandrine Bélier revenait pour Toute l’Europe, la veille de ce vote, sur les raisons de son opposition à ce rapport et le danger représenté par le traité ACTA sur la lutte contre la contrefaçon.Â

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Toute l’Europe : Le rapport de Marielle Gallo a été adopté mercredi après une présentation lundi mais sans débat … comment l’expliquer ?

Sandrine Bélier : D’une part on avait une proposition portée par un groupe politique, le Parti populaire européen, une Française plus précisément. Nous avions réussi à obtenir le report de ce rapport avant l’été parce qu’il y avait notamment un point d’achoppement sur le rapport de Madame Gallo qui tient à la ‘criminalisation’ du partage des oeuvres artistiques sur Internet.

Je peux dire, en étant positive, qu’on a tous la préoccupation de garantir aux artistes les revenus liés à leurs créations artistiques, sachant qu’il s’agit de ne pas tout confondre, et sur ce point il y a un vrai travail de fond à faire, et de bien distinguer la création musicale de la création littéraire, cinématographique etc. Ce sont des champs très différents. De même les actes de partage sur Internet, qu’ils soient gratuits ou payants, ont des échelles différentes également. Donc sur ce point nous partageons tous cette préoccupation.

Ensuite, savoir comment on garantit cela à l’heure du web et du numérique, est-ce qu’on réinvente un système qui garantit aux artistes une vraie et juste rémunération sans porter atteinte à des libertés publiques, donc sans remettre en cause le droit des internautes, c’est la vraie question. Aujourd’hui le rapport Gallo fait un amalgame en considérant que si aujourd’hui la création artistique va mal c’est parce qu’il y a du partage, des échanges gratuits, et donc qu’il faut punir ceux qui ‘pillent’ les artistes. Je pense que c’est une très mauvaise méthode parce que l’on met à dos les artistes et les personnes qui sont intéressées par l’art.

Dans la proposition des socialistes et des écologistes européens, qui ne nous convient pas parfaitement car il faudrait une vraie discussion sur la propriété intellectuelle à l’heure du web, on a au moins fait supprimer cette opposition entre internautes et artistes, et on a introduit l’idée de différencier le partage gratuit du partage payant, et de mettre sur la table des discussions le fait que l’atteinte aux libertés numériques ne peut se justifier au seul motif qu’il faut préserver le droit des artistes.

C’est donc la solution proposée par la résolution alternative, pour ne pas criminaliser les internautes et les citoyens, pour éviter les dérives que l’on retrouve dans Hadopi, Loppsi, dans ACTA qui vise à essayer de mettre le Net sous contrôle, avec différents arguments et qui va bien au-delà de la protection de la propriété intellectuelle, puisque cela nous interroge sur le respect des libertés individuelles, de nos données personnelles, de l’accès à l’information, au savoir etc.

Par contre nous ne sommes pas encore totalement satisfaits parce que cette redéfinition de la propriété intellectuelle est encore à faire. Le fait de permettre la créativité au 21e siècle, à l’heure du web, est encore à définir. Une des propositions qui a été avancée et que l’on connait c’est la licence globale, qui a déjà été mise en place par un certains nombre d’opérateurs, sans cadre légal. C’est d’ailleurs ce qui a généré la troisième proposition au sein du Parlement, celle des Libéraux, qui sont opposés à la licence globale parce qu’ils considèrent qu’elle porterait atteinte au commerce sur Internet.

Mais au-delà de la licence globale, proposition que nous portons avec la conscience que ce n’est pas suffisant, puisque la musique, le cinéma, la littérature sont des champs différents et donc qu’il faut aller beaucoup plus loin qu’un système global qui s’applique à l’ensemble des champs artistiques, nous n’avons pas réussi à mûrir notre proposition et c’est pour cela que nous demandions en début de session que le vote soit reporté.

Nous n’avons pas été entendus, d’autres arguments justifiaient ce report notamment le fait que la Commission européenne est entrain de préparé un paquet législatif lié à la propriété intellectuelle. Il aurait donc été bien d’attendre ces propositions et de travailler sur cette base.

Enfin, autre argument qui allait dans le sens d’un report c’est le traité anti-contrefaçon, le traité ACTA qui connaît son dernier round de négociation, mais ce ne sera pas le dernier qu’on se le dise, parce qu’il y a encore un certain nombre de choses en débat, et grâce au Parlement on a pu mettre le doigt sur des incohérences, des menaces par rapport à cette société qu’il s’agit de repenser à l’heure d’Internet. Nous aurions tout intérêt à nous réinterroger sur des mécanismes qui fonctionnent depuis des décennies mais qui n’ont pas vu que le monde évoluait et qui doivent, eux, s’adapter à l’évolution du monde.

Toute l’Europe : Comment le Parlement européen peut-il peser sur les négociations du traité ACTA ?

S.B. : Le Parlement peut jouer un véritable poids par rapport à ces négociations, mais plus généralement par rapport à la propriété intellectuelle, parce que l’on a d’ores et déjà commencer au sein du Parlement, et ce notamment depuis Hadopi et l’amendement Cohne-Bendit/ Bono, à nous interroger sur l’adaptation d’un certain nombre de mécanismes qui permettent de préserver les droits des artistes au regard de cette évolution très rapide qu’a été le développement d’Internet.

Le Parlement européen a pris conscience de ça. Ensuite il y a deux visions du monde qui s’affrontent et qui créent ces débats au sein du Parlement. On les retrouve dans le rapport Gallo, dans le paquet Télécoms, dans les résolutions sur la pédo-pornographie, dans le traité ACTA … Une partie des parlementaires reconnaissent qu’Internet est aujourd’hui un élément nouveau de l’organisation de la société, d’exercice de la citoyenneté et qui ont compris qu’on ne fera pas et que cela ne sert à rien de lutter contre ça, de mettre Internet sous contrôle, de tenter de criminaliser les usagers d’Internet qui ne répondraient pas aux vieilles règles de l’ancien monde.

Ces parlementaires ont en charge de repenser, et cela prend du temps, la propriété intellectuelle, la liberté d’expression au regard de cet élément nouveau qu’est Internet.

Toute l’Europe : En quoi le traité ACTA représente-t-il à vos yeux un danger pour les libertés numériques ?

S.B. : Cela a été un peu la surprise avec le traité ACTA, qui au départ rappelons -le avait un objet que l’on ne peut pas contester. Dans les différents pays du monde il y a des réglementations pour limiter la contrefaçon. Le traité ACTA avait pour but au départ de mettre en place un système mondial harmonisé de protection contre la contrefaçon des biens matériels.

Sauf qu’avec la crise économique et écologique, l’économie mondiale est entrain de changer, l’innovation prend une place importante et les uns et les autres dans cette logique commerciale se sont saisis de ce traité pour réorganiser la carte mondiale des échanges économiques qui aujourd’hui correspond également à la répartition des richesses liées à l’exploitation des brevets.

Or pour certains on peut poser des brevets sur tout. Et ce sont les dangers d’ACTA qui pourrait permettre à des industries pharmaceutiques de poser des brevets sur des gênes naturels, renforcer l’opposition entre l’accès aux médicaments génériques et aux médicaments brevetés.

Le Parlement a cependant réussi à agir sur ce traité, même s’il n’avait pas accès aux négociations. En effet, il est amené à se positionner pour engager l’Union européenne à l’échelle internationale mais les eurodéputés n’avaient pas accès au texte ! Ety donc nous avons découvert sur le tard, de façon surprenante, qu’au sein de la contrefaçon prenait une place importante, dans le traité ACTA, encore une fois Internet et les échanges de biens sur Internet, notamment de biens artistiques et donc la question du piratage et des échanges “gratuits” .

Et de nouveau, dans le texte tel qu’il existe aujourd’hui, cette question est traitée en tentant de criminaliser et de restreindre les échanges sur Internet. dans le texte qui a fuité, puisque c’est comme cela que nous y acons eu accès, il faut le dire, il y a des dispositions qui admettent la présomption de culpabilité de piratage sur Internet. Il faut déjà nous expliquer comment mettre en place cette présomption de culpabilité sauf à mettre en place des systèmes de contrôle de l’activité sur Internet. Et ensuite cette présomption permet des sanctions avant même que la culpabilité ait été prouvée. Ce système est tout à fait disproportionné !

On a donc des gouvernants qui ont une peur telle de ce que représente aujourd’hui Internet qu’ils sont prêts à le traiter dans le système répressif à hauteur de choses qui font porter un danger sur la population comme peuvent l’être le terrorisme, le marchandage d’armes, le trafic de stupéfiants etc. C’est pour toute une génération totalement incompréhensible et inacceptable.

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