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Régulation du numérique : "L'Union européenne est une source d'inspiration"

Un nouveau règlement va bientôt s’appliquer dans toute l’Union européenne : le Digital Services Act (DSA). Le texte vise notamment à endiguer la diffusion de contenus illicites en ligne (terrorisme, cyberharcèlement, pédopornographie….) et à rendre les plateformes plus transparentes vis-à-vis de leurs utilisateurs. Rencontre avec l’un de ses principaux concepteurs à la Commission européenne, Prabhat Agarwal.

Avec le DSA, les internautes pourront par exemple contester les décisions relatives à la modération des contenus sur les réseaux sociaux - Crédits : P. Kijsanayothin / iStock

Tout ce qui est illégal hors ligne doit aussi l’être en ligne”. Tel était le mot d’ordre de la Commission européenne lorsqu’elle a présenté un nouveau règlement sur les services numériques le 15 décembre 2020 (Digital Services Act, DSA), en même temps que le Digital Markets Act (DMA). Alors que le DMA est le volet économique de cette nouvelle réglementation du numérique, le DSA s’attaque en particulier aux contenus illicites qui prolifèrent sur internet. Après un accord entre le Parlement européen et le Conseil le 23 avril, le DSA va pouvoir s’appliquer dès 2023. Eurodéputés et Etats membres s’étaient déjà mis d’accord sur le DMA le 24 mars et le texte entrera en vigueur en début d’année prochaine. Ce texte doit assurer une meilleure concurrence dans le monde numérique.

Le sujet de la régulation du numérique est loin d’être nouveau pour les institutions européennes. L’UE s’était dotée d’une directive sur le e-commerce en 2000, destinée à lever les obstacles aux services en ligne dans le marché intérieur. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) s’était ensuite appliqué à partir de 2018. Il avait introduit la nécessité d’un consentement des internautes pour le stockage de leurs données de navigation, utilisées par les fameux “cookies”. Zoom sur le DSA et ses enjeux.

Prabhat Agarwal est chef d’unité à la Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne. Il a négocié et dirigé les travaux sur les services numériques (DSA) et les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA). Crédits image : CERRE

Toute l’Europe : Pourquoi avoir complété la législation européenne avec un nouveau texte sur les services numériques (DSA) ?

Prabhat Agarwal : Les choses ont changé depuis 2000. Je retiendrais trois raisons : l’importance des plateformes numériques dans notre quotidien, leur concentration et les enjeux de société qui ont émergé. D’abord, Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui avec les plateformes en ligne ou les applications sur les téléphones portables n’existait pas de cette façon. Leur importance dans la société et dans le monde économique est d’une toute autre dimension aujourd’hui.

Nous avons aussi une concentration de ces plateformes pour nos interactions. En une journée, vous allez utiliser trois, quatre ou cinq différentes applications qui ont souvent le même fournisseur.

Enfin, avec la prolifération de ces services numériques dans notre vie économique et sociale, de nouvelles problématiques ont émergé. Regardez la stratégie de désinformation russe ou la cyberviolence contre les femmes. Nous sommes face à des enjeux qui n’étaient pas suffisamment traités dans le cadre existant. Et sur tous ces sujets, nous avons observé que les Etats membres de l’Union européenne commençaient à légiférer chacun de leur côté.

En quoi consiste le Digital Services Act, ou DSA ?

Le DSA pose justement un cadre réglementaire unique dans l’UE pour tout ce qui relève de la modération des contenus en ligne.

Il contient un ensemble d’obligations qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde. Elles contraignent les plateformes à être plus responsables vis-à-vis de leurs utilisateurs. En un mot, les utilisateurs auront plus de choix et pourront mieux définir leurs préférences en ligne. Par exemple, ils devront être informés des conditions générales d’utilisation avec des termes plus clairs. Il y aura aussi plus de transparence quant aux mécanismes de recommandation utilisés par les plateformes en ligne…

Le DSA a pour objectif principal de limiter la dissémination de contenus illicites en ligne. Toutefois, les problèmes sous-jacents ne disparaissent pas. Ils sont présents dans la société même si le DSA cherche à réduire leur diffusion. D’où vient la haine ? Pourquoi la désinformation se diffuse-t-elle autant ? Ce sont des questions qui dépassent le DSA.

Le texte s’attaque aux contenus illicites en ligne mais aussi à la publicité ciblée…

En effet. La publicité ciblée sera interdite pour les mineurs et les plateformes en ligne ne pourront plus traiter les données à caractère personnel des utilisateurs à des fins de publicité ciblée, sauf s’ils ont explicitement donné leur accord. Le Parlement européen était particulièrement sensible à cette question.

Quel sera le rôle de la Commission et des Etats membres dans l’application du DSA ?

Au moment des négociations du DSA, nous avions un sentiment partagé avec le Conseil et le Parlement que les systèmes précédents de gouvernance ne fonctionnaient pas. Les Vingt-Sept ont décidé à l’unanimité de donner les pouvoirs à la Commission européenne pour la mise en œuvre du DSA.

Nous nous appuyons sur l’expérience acquise dans le domaine de la concurrence. C’est une compétence exclusive de l’UE. La Commission a déjà instauré des amendes à Google pour des pratiques de concurrence déloyale, par exemple. Des prérogatives similaires ont donc été confiées à la Commission afin de surveiller l’application du DSA.

Avez-vous travaillé avec les grandes plateformes ?

Nous avons travaillé avec tout le monde, pas seulement avec les grandes plateformes. Plus de 3 000 réponses nous ont été adressées lors de la consultation publique. Elles sont accessibles en ligne pour tous les citoyens. Les grandes entreprises ont répondu également.

Quelles ont été leurs réactions aux annonces de la Commission ?

Leurs réactions étaient un peu schizophrènes. D’un côté, elles se déclarent favorables à une régulation du moment qu’elle soit proportionnée. De l’autre, elles préfèrent le laisser-faire. Il y a tout de même des éléments positifs pour elles. Il est beaucoup plus simple d’avoir une seule règle dans l’Union européenne que 27 cadres différents !

Une surveillance de ces très grandes plateformes est prévue, notamment de leurs algorithmes dans le cadre de la publicité ciblée ou de la désinformation en ligne. Comment contrôler que ce sont bien les informations essentielles qui seront transmises par ces entreprises ?

C’est une question qui va nous occuper dans les prochaines semaines ! En ce qui concerne la désinformation, nous travaillons déjà depuis plusieurs années avec un code de conduite pour les plateformes. Nous sommes en permanence en contact avec elles pour qu’elles adoptent des bonnes pratiques. Parfois cela marche, parfois non. Mais surtout, nous n’avons pas la possibilité de vérifier si les plateformes font vraiment ce qu’elles disent. Avec le DSA, il y aura une obligation de transparence de ces plateformes. Nous irons voir sous le bonnet comment fonctionnent leurs algorithmes de recommandation.

Les problématiques comme la désinformation demandent un éventail d’approches qui ne se résument pas à une ou deux règles. Ce sont des phénomènes très complexes. D’ici l’entrée en vigueur du DSA, nous aurons des lignes directrices pour nous aider, tout comme des consultations avec des techniciens et des experts.

Même si les négociations ont abouti, ce n’est pas la fin de l’histoire mais le début d’une autre. Le commissaire au Numérique Thierry Breton dit souvent que c’est un moment charnière. La situation est comparable à la crise bancaire en 2008, après laquelle un nouveau cadre européen avait été adopté afin de contrôler les risques systémiques des banques. Et le 8 septembre, la Maison-Blanche a annoncé une nouvelle politique sur les plateformes qui est quasiment identique à celle de l’Union européenne. Nous sommes une source d’inspiration.

Ces propos ont été recueillis à l’occasion d’un débat citoyen organisé à La Fabrique évènementielle (Paris) par la Représentation de la Commission européenne en France, et animé par Toute l’Europe. Intitulé “DSA : les citoyens européens au centre de la révolution numérique”, l’événement s’est tenu dans le cadre de l’Année européenne de la jeunesse.

Après une présentation du DSA par Prabhat Agalwar et Deborah Behar, conseillère juridique à la Commission européenne, les participants ont pu échanger autour de trois tables rondes. L’actrice, vidéaste web et scénariste Marion Séclin a pu aborder la question du cyberharcèlement aux côtés d’Aliya Chartier, auteure d’un livre-témoignage intitulé “Juste une histoire de nudes”. Le journaliste Thomas Huchon, spécialiste de la désinformation, a ensuite discuté de la prolifération des fake news en ligne. Enfin, Suzanne Vergnolle, maître de conférences en droit des technologies au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a évoqué la publicité ciblée en lien avec la protection des données personnelles.

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