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Qu’est-ce que l’acte européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act) ? 

Présenté en 2022 par la Commission européenne, l’acte européen sur la liberté des médias a été validé par le Parlement européen le 13 mars 2024. Il prévoit une stabilité financière pour les médias de services publics, une transparence des propriétaires de médias ainsi qu’une interdiction de l’espionnage des journalistes sauf dans des cas particuliers.

Media interview
La Commission européenne déplore une augmentation des ingérences politiques dans les médias - Crédits : iStock / microgen

Aucun journaliste ne devrait être espionné en raison de son activité ; aucun média public ne devrait devenir un organe de propagande” : c’est contre de telles dérives, résumées par la vice-présidente de la Commission Věra Jourová, qu’entend lutter le projet de règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act, ou EMFA).

Présenté le 16 septembre 2022 par la Commission européenne, le texte cherche à renforcer l’indépendance des médias et des journalistes, à garantir un financement stable des médias de service public et à limiter les concentrations. Il propose notamment de regrouper les autorités nationales de régulation au sein d’un Comité européen pour les services de médias. 

Le 15 décembre 2023, le règlement a fait l’objet d’un accord entre Conseil de l’Union européenne et Parlement européen. Validé par le Parlement européen le 13 mars 2024, il n’attend plus qu’une approbation du Conseil pour pouvoir entrer en vigueur. Le Comité européen des services de médias doit voir le jour trois mois plus tard, tandis que la plupart des autres dispositions s’appliqueront six mois après cette entrée en vigueur. 

Le projet de régulation des médias est l’un des volets du plan d’action de la Commission pour la démocratie européenne, une feuille de route visant à lutter contre la montée des extrémismes et le risque d’ingérence étrangère dans les scrutins électoraux. 

Quels sont les principaux problèmes ciblés par le Media Freedom Act ? 

Avec le projet d’acte européen, la Commission cherche à préserver l’indépendance et le pluralisme des médias. Si elle note que “la gravité des problèmes varie d’un Etat membre de l’UE à l’autre”, elle souhaite combattre des “tendances de plus en plus inquiétantes” qui touchent l’ensemble du secteur.

En premier lieu, l’exécutif européen déplore l’augmentation des ingérences publiques et privées dans les décisions éditoriales. Des pressions essentiellement liées aux difficultés de financement depuis l’avènement d’internet et l’essor de l’information gratuite. Les médias de service public sont particulièrement touchés par ces risques : le processus de nomination et de révocation de leurs directeurs manque notamment de transparence dans plusieurs Etats, pouvant conduire à des choix éditoriaux politisés. 

Beaucoup de médias d’Europe de l’est dépendent par ailleurs de rétributions liées aux publicités commandées par leurs gouvernements. Or même lorsqu’elles ne sont pas directement politiques (ce peut être une compagnie nationale d’énergie qui promeut ses services), elles peuvent véhiculer des messages vantant par exemple les mérites du gouvernement en place. Et donc influencer les opinions publiques lors de campagnes électorales. 

Le pouvoir des Etats en matière d’autorisation de diffusions peut aussi menacer l’indépendance des médias. En Pologne par exemple, un ancien projet de loi visait à interdire la propriété non européenne de médias. En Hongrie, le “Conseil des médias” avait refusé de prolonger la licence de la radio indépendante Klubradio, la forçant à quitter les ondes. Dans une résolution de novembre 2020, le Parlement européen condamnait de son côté “les tentatives de certains gouvernements de réduire au silence les médias critiques et indépendants”.

Autre préoccupation de la Commission : l’intensification des concentrations dans les médias privés, qui se situaient en 2020 “à un niveau de risque très élevé sur l’ensemble du continent”. Une tendance qui réduit le pluralisme et la diversité des points de vue. En 2021, le commissaire européen Thierry Breton déplorait une “forte concentration du capital des médias dans les mains d’une poignée de propriétaires”

Un nombre important de professionnels craignent également pour leur sécurité : “les menaces pour la sécurité physique, les attaques en ligne, les campagnes de diffamation, les menaces de poursuites judiciaires et la censure compromettent la sécurité des journalistes”, note le rapport de l’UE sur l’état de droit en 2023. Celui-ci fait toutefois état d’une baisse de 25 % des signalements dans les Etats membres entre 2021 et 2022. En 2021, deux journalistes avaient notamment été assassinés au sein de l’Union européenne, en Grèce et aux Pays-Bas. 

La même année, une enquête journalistique a par ailleurs accusé plusieurs Etats dans le monde dont quatre membres de l’UE (Grèce, Pologne, Hongrie et Espagne, auxquels s’est ensuite ajoutée Chypre) d’avoir utilisé le logiciel “Pegasus” pour espionner, entre autres, des opposants et des journalistes.

Que prévoit l’EMFA pour améliorer l’indépendance des médias ?

Pour la Commission européenne, les difficultés de financement des médias sont la principale cause de leur manque d’indépendance. 

A propos des médias de service public, les fonds publics qui leur sont destinés devront être suffisants, stables et prévisibles. La direction et le conseil d’administration des médias de service public devront également être nommés de manière transparente. Leur mandat devra être suffisamment long pour garantir l’indépendance du média et les renvoyer avant la fin de leur mandat sera interdit, sauf s’ils ne remplissent plus les conditions de performance qui leur sont assignés. 

Afin d’éviter que des gouvernements n’utilisent la publicité pour diffuser des messages politiques, les autorités publiques dévoileront chaque année des informations sur leurs dépenses publicitaires dans les médias, notamment le montant total dépensé et le montant par média. De leur côté, les médias devront rendre compte des fonds reçus de la publicité publique, y compris en provenance de pays tiers, et du soutien financier de l’Etat.

Les médias devront être soumis, à travers des rapports publics, à un contrôle indépendant de leur indépendance politique. Enfin, les autorités nationales n’auront pas le droit d’interférer avec les décisions éditoriales.

Les aides publiques aux médias dans les Etats membres

Chaque Etat de l’Union européenne dispose de son propre système d’aide aux médias, privés et de service public. Celui-ci peut combiner : 

  • une redevance payée par les citoyens (particulièrement élevée en Allemagne, récemment supprimée en France) ; 
  • des financements directs (comme en France, en Finlande et en Italie) ; 
  • des avantages fiscaux (réduction de TVA, tarifs postaux préférentiels…). 

Quelles sont les dispositions visant à favoriser le pluralisme des médias ?

Le projet d’acte européen ne cherche pas à empêcher les concentrations de médias. Il ne fixe pas non plus de seuils spécifiques de concentration. Il demande cependant aux autorités nationales de procéder à une évaluation de ces concentrations et de leur impact sur le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale dans leur Etat. Une évaluation examinée par le futur Comité européen pour les services de médias. 

L’EMFA prévoit, dans son article 6.1, que les médias publient la liste des personnes physiques qui en sont propriétaires directs ou indirects, dans une base de données nationale. 

Le règlement prévoit enfin un droit de personnalisation des contenus : les utilisateurs pourront sur tout appareil et interface modifier les paramètres par défaut afin de refléter leurs propres préférences de lecture.

En 2023, le rapport de l’Union européenne sur l’état de droit se félicitait que “depuis le [précédent] rapport, certains Etats membres ont adopté une législation augmentant la transparence de la propriété des médias et renforcé les dispositions destinées à améliorer l’indépendance ou à étendre le mandat de leurs autorités de régulation des médias”. 

Toutefois, “diverses inquiétudes subsistent en ce qui concerne le manque de transparence dans la répartition de la publicité d’État, les conflits d’intérêts et l’accès aux documents publics”. La France, elle, est invitée à “intensifier ses efforts pour renforcer la transparence en matière de propriété des médias”.

L’acte européen sur la liberté des médias améliorera-t-il la sécurité des journalistes ? 

En complément d’un autre texte sur les procédures-bâillons, l’EMFA interdit l’utilisation de logiciels espions et d’outils de surveillance contre les médias, les journalistes et leurs familles. Il prévoit toutefois des exceptions qui devront être évaluées par un juge, dans le cadre d’enquêtes sur des infractions graves passibles d’une peine privative de liberté dans l’Etat concerné.

Chaque Etat devra permettre aux journalistes de saisir une juridiction indépendante pour demander une protection, ou une autorité indépendante pour déposer une plainte, contre l’utilisation de logiciels espions. Celle-ci aura trois mois pour répondre. 

Il sera interdit d’obliger les journalistes et les rédacteurs en chef à révéler leurs sources, sauf sous réserve de l’autorisation d’une autorité judiciaire et “par une raison impérieuse d’intérêt général”.

La commission d’enquête PEGA

S’appuyant sur une enquête d’un an menée par la commission (PEGA), le Parlement européen a conclu en mai 2023 que les logiciels espions ne devraient être autorisés que dans des cas exceptionnels et pour une durée limitée. 

Les médias seront-ils protégés contre la suppression de leur contenu par un réseau social ? 

Les grandes plateformes numériques devront distinguer médias indépendants et non indépendants. Lorsqu’elles auront l’intention de supprimer ou de restreindre l’accès à un contenu publié par un média indépendant, par exemple en vertu du règlement européen sur les services numériques (DSA), elles devront le leur notifier. 

Ceux-ci disposeront de 24 heures pour y répondre (le délai sera plus court en cas de crise). Si la plateforme considère alors que le contenu n’est toujours pas conforme à ses conditions, elle pourra procéder à sa suppression ou sa restriction. Une décision que le média visé pourra contester devant un organe extrajudiciaire, tout en demandant un avis du Comité européen pour les services de médias

Médias en ligne

En application du Digital Services Act (DSA), les très grandes plateformes en ligne - plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE - doivent prévenir les médias et motiver leur décision lorsqu’elles veulent retirer l’un de leurs contenus. Toute plainte déposée par les fournisseurs de média en ligne doit être traitée en priorité par ces plateformes.

L’article 17 de l’EMFA, qui précise les modalités et les bénéficiaires de ce “privilège des médias”, a fait l’objet de nombreux débats. Certains acteurs craignaient notamment qu’il ne permette pas de lutter efficacement contre la diffusion de fausses informations par des sociétés malveillantes. 

Dans son vote du 3 octobre 2023, le Parlement européen a proposé d’accorder ce délai de 24 heures aux médias entre la notification et le retrait d’un contenu par une plateforme. Il ont également instauré l’obligation pour les médias de divulguer les fonds publics qu’ils reçoivent, y compris de pays tiers. 

Qu’est-ce que le Comité européen pour les services de médias ? 

L’acte européen sur la liberté des médias prévoit de remplacer l’actuel groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga, créé par la directive sur les services audiovisuels) par un Comité européen pour les services de médias (CESM). Indépendant, celui-ci rassemblera les autorités nationales de régulation des médias, comme l’Arcom en France, et verra son secrétariat assuré par la Commission.

Le CESM pourra notamment émettre des avis sur les décisions de concentration de médias lorsqu’elles menacent l’indépendance et le pluralisme. Il sera en outre chargé de conseiller la Commission sur la mise en œuvre du règlement, comme le fait déjà l’Erga à propos de la directive sur les services de médias audiovisuels.

Bien que les décisions du CESM ne soient pas contraignantes, la Commission espère qu’il insuffle une pression par les pairs et un échange de bonnes pratiques, aboutissant à la constitution de normes minimales de protection au niveau européen pour les médias.

Quelle base juridique pour l’EMFA ?

Bien que le droit des médias soit avant tout une compétence nationale, la Commission justifie son intervention au nom de l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celui-ci permet à l’UE d’adopter des mesures pour rapprocher les dispositions des Etats ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. 

Or la Commission note qu’actuellement, “les entreprises de médias sont confrontées à des obstacles qui freinent leurs activités et ont des conséquences sur leurs conditions d’investissement dans le marché intérieur, tels que des règles et procédures nationales différentes en ce qui concerne la liberté et le pluralisme des médias”.

Quelles sont les autres règles européennes encadrant les médias dans l’Union européenne ? 

L’EMFA complète plusieurs législations européennes déjà en vigueur ou en cours de discussion. En voici les principales. 

La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) coordonne la réglementation des médias audiovisuels au niveau national. Révisée en 2018, elle liste les conditions que les Etats membres doivent garantir à l’égard de leurs autorités de régulation : indépendance par rapport aux pouvoirs publics, impartialité, transparence, obligation de rendre des comptes, ressources, procédures de nomination et de renvoi et mécanismes de recours. 

Adoptée en 2019, la directive européenne sur le droit d’auteur régule la propriété littéraire et artistique. Elle a notamment instauré un droit voisin, qui rémunère les médias lors de la réutilisation de leurs articles par les agrégateurs d’informations en ligne, à l’image de Google Actualités. 

Les règles européennes de la concurrence garantissent quant à elles que, dans le secteur des médias comme ailleurs, aucun acteur ne soit en situation de monopole. Toutefois, celles-ci ne prennent pas directement en compte les conséquences des concentrations sur le pluralisme et l’indépendance des médias. Tandis que les règles relatives aux aides d’Etat “ne répondent pas suffisamment aux problèmes engendrés par l’allocation inéquitable des ressources d’Etat” d’un média à l’autre, note la Commission. 

Entré en application en août 2023, le Digital Services Act (DSA) oblige les plateformes à retirer les contenus illicites en ligne, y compris lorsque ceux-ci proviennent de médias. Tandis qu’un code de bonnes pratiques contre la désinformation encourage les plateformes et réseaux sociaux à s’associer avec des médias pour garantir la qualité des contenus qui y sont diffusés. 

Enfin, citons la directive anti-SLAPP : validée par le Parlement européen en février 2024, celle-ci s’attaque aux poursuites abusives à l’encontre des professionnels des médias. Des “poursuites-bâillons” qui visent à faire pression sur les journalistes en les menaçant, par exemple, d’un procès en diffamation après la publication d’un article d’investigation. 

Quels médias sont concernés par l’EMFA ? 

L’acte sur la liberté des médias couvre un champ plus large que la directive européenne sur les services audiovisuels : émissions de télévision et de radio, services de médias audiovisuels à la demande, podcasts audio et publications de presse y sont désormais inclus.

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