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“Les réfugiés sont les acteurs oubliés de la crise migratoire en Europe”, par Matthieu Tardis

Il y a un an, l’Union européenne était confrontée à l’une des plus importantes crises migratoires de son histoire. Un drame aux portes de l’Europe symbolisé par la mort d’Aylan, un enfant syrien retrouvé noyé sur une plage turque alors que sa famille tentait de rejoindre la Grèce et dont la photo a secoué le monde entier. Depuis, l’Europe a multiplié les tentatives pour essayer de répondre à cette crise par le biais notamment d’une mise en place de quotas pour relocaliser les réfugiés et d’un accord très controversé entre l’Union européenne et la Turquie signé en mars dernier. Mais la question des migrants, loin d’être réglée, sera à l’ordre du jour du sommet de Bratislava prévu pour le 16 septembre prochain.

Pour faire le point, Toute l’Europe a interrogé Matthieu Tardis, chercheur au centre Migrations et citoyennetés de l’IFRI (Institut français des relations internationales).

Frontex

Avec l’accord UE-Turquie, l’Italie a-t-elle remplacé la Grèce comme principale porte d’entrée des migrants en Europe ?



Matthieu Tardis est chercheur au centre Migrations et citoyennetés de l’IFRI. Au sein d’une organisation française d’aide aux réfugiés, il a notamment contribué au renforcement de l’expertise sur les politiques d’immigration en France, en Europe ainsi qu’en Tunisie par le biais d’études et de projets européens et internationaux.

A priori non, c’est en tout cas trop tôt pour le dire. Les nationalités des personnes qui arrivent en Italie ne sont pas majoritairement les mêmes que celles qui entraient en Grèce, c’est-à-dire principalement des Syriens, des Afghans, des Irakiens et ensuite d’autres nationalités. En Italie, ce sont des migrants venant surtout de la corne de l’Afrique, d’Erythrée, de Somalie, d’Afrique de l’Ouest. Le nombre d’arrivées en Italie est plus au moins au même niveau que l’an dernier, il n’y a donc, pour l’instant, pas de répercussion visible en Europe de cet accord sur le nombre d’arrivées en Italie.

Peut-on dire que l’accord UE-Turquie de mars dernier a “fonctionné” et tout de même freiné l’arrivée de migrants en Europe ?

D’un certain côté il est juste de dire que le pari est gagné pour les Européens mais il faut s’interroger : à quel prix ? Les principes et les obligations juridiques du droit international, y compris la Convention européenne des droits de l’homme ne sont absolument pas respectés. En termes de réadmission vers la Turquie et de réinstallation vers l’Europe, cet “accord” ne fonctionne pas. Sur les 3 millions de réfugiés actuellement en Turquie, seuls 800 ont été réinstallés, c’est une goutte d’eau dans l’océan.

Ankara exige que l’Union européenne mette très vite en place l’exemption de visa pour les citoyens turcs, comme le prévoyait, cet accord. Après la tentative de coup d’Etat, ce qui a été négocié est loin d’être mis en place. La Turquie peut-elle abroger cet accord si ses revendications ne sont pas satisfaites ?

La mise en œuvre de cette déclaration commune entre l’UE et la Turquie repose principalement sur la Grèce et la Turquie, et avant tout sur la Grèce qui a dû reconnaître la Turquie comme “pays tiers sûr” ou pays de premier asile. Cependant en pratique, les comités d’appel grecs en matière d’asile ne reconnaissent pas systématiquement Ankara comme pays sûr pour les réfugiés.
Par ailleurs, il s’agit d’une déclaration du Conseil européen et du gouvernement turc sans base juridique et non d’un accord ce qui signifie qu’il n’y a pas d’acte juridique à remettre en cause. Par contre, elle peut ne pas accepter les migrants qui sont renvoyés et là nous entrons dans un jeu de chantage entre l’UE et la Turquie puisque Ankara exige que l’Union européenne applique la libéralisation des visas d’ici le mois d’octobre. Cependant il faut souligner que la question de libéralisation des visas était déjà mal engagée avant la tentative du coup d’Etat.

Aujourd’hui les réponses n’ont pas été apportées : les Etats européens prennent-ils vraiment des mesures pour éviter le chaos de l’an dernier ? Depuis que la frontière avec la Macédoine est fermée, les réfugiés sont coincés en Grèce mais si demain il y avait des arrivées comme l’an dernier, comment fera-t-on ?

La politique de migration figure au menu du sommet de Bratislava. Les Européens apparaissent divisés sur la question de la relocalisation de demandeurs d’asile à partir de la Grèce et de l’Italie. Faut-il pousser en ce sens ou trouver d’autres solutions ?

La relocalisation n’est pas une mauvaise idée mais depuis septembre dernier seulement 4 000 personnes ont été relocalisées sur les 104 000 prévues sur 2 ans, donc nous sommes très loin de l’objectif. Cette solidarité européenne est nécessaire sauf qu’elle est compliquée à mettre en œuvre car tous les Etats ne veulent pas jouer le jeu. Ceux qui ne sont pas concernés ne veulent pas être solidaires et il y a des questions de lourdeur administrative : les Etats membres rajoutent des critères aux critères et donc compliquent encore plus la relocalisation. Il y certains Etats qui vont vouloir choisir leurs réfugiés, en fonction de leur confession, de leur âge, de leur qualification et nous assistons donc à un véritable marché aux réfugiés. Au final, les réfugiés sont les acteurs oubliés, personne ne tient compte de leur consentement et c’est aussi pour cette raison que la relocalisation ne fonctionne pas.

Au début de l’été, il y a eu des propositions de la Commission européenne pour réformer le régime d’asile européen commun dont le règlement de Dublin III. Ce système qui est entré en vigueur en 1997 vise à déterminer l’Etat membre qui va être responsable de l’examen d’une demande d’asile. Mais dans ces propositions, ce qui me gêne beaucoup c’est qu’il s’agit de renforcer encore plus un système qui n’a pas marché dans le passé au lieu d’aller vers plus d’européanisation. On va ainsi encore davantage enfermer les demandeurs d’asile dans les frontières nationales sans se poser une question essentielle : pourquoi par exemple un réfugié qui arrive en Grèce ou en Italie, va vouloir aller en Suède ou en Allemagne, et ne va pas rester en Grèce ?

Il faut répondre à un certain nombre de questions : pourquoi des pays, dont certains issus d’Europe centrale et orientale, ne veulent pas accepter une diversité au sein de leur population ? Pourquoi tous les Etats membres de l’Union européenne n’offrent pas des opportunités similaires de logement ou d’emploi, y compris à leurs propres ressortissants ? Ce sont des questions sensibles qui vont encore plus loin, sur la raison d’être de l’Union européenne.

Dans une interview parue le 31 août dernier, la chancelière Angela Merkel a déclaré que l’Allemagne et d’autres pays européens étaient restés trop longtemps aveugles à la crise des réfugiés qui grandissait à leurs frontières. Qu’en pensez-vous ?


On a beaucoup fantasmé sur la politique allemande qui n’est pas une politique de totale ouverture. La chancelière allemande n’a pas pris une décision unilatérale, elle a avant tout respecté le droit international, c’est-à-dire notamment la Convention de Genève de 1951 à laquelle tous les Etats membres sont partis, le droit européen et la Convention européenne des droits de l’homme. Des textes qui imposent aux Etats d’accueillir les réfugiés. En laissant ses frontières “ouvertes” aux réfugiés, la chancelière n’a fait que respecter le droit international, il n’y a donc pas de décision unilatérale. Ce sont les autres pays qui ont pris des décisions unilatérales contraires au droit international en fermant les frontières. Il faut donc remettre les choses dans le bons sens.

Et il faut rappeler que dès le mois d’août 2015, l’Allemagne a adopté des mesures strictes à l’égard des demandeurs d’asile des Balkans, dont on présumait, même si ce n’est pas si simple, qu’ils abusaient des procédures d’asile et qui ne relevaient pas du droit d’asile. A l’inverse, à l’égard des Syriens qui constituaient la moitié des personnes qui arrivaient en Grèce, il y avait aussi une présomption qu’ils fuyaient leur pays du fait de la guerre, et donc une obligation juridique pour les Etats membres de l’UE de les accueillir. L’Allemagne s’est retrouvée assez seule sur la question de la solidarité européenne. La question n’est pas nouvelle puisqu’elle s’était déjà posée il y a 20 ans au moment de la guerre des Balkans. 

Que peut-on attendre du nouveau corps de garde-frontières qui doit être opérationnel fin 2016 ?


Le seul objectif pour tout le monde aujourd’hui est d’arrêter à tout prix les migrations vers l’UE. Depuis l’accord entre l’UE et la Turquie, cet objectif est atteint mais l’on n’a pas arrêté la crise des réfugiés, on l’a juste endiguée au-delà des frontières européennes, elle n’est plus sous nos yeux.

Si l’objectif de cette nouvelle agence est d’être plus efficace pour endiguer les crises migratoires et d’essayer de créer cette Europe forteresse, c’est assez vain, à moins de faire de l’Europe un continent refermé sur lui-même et je ne pense pas que ce soit bénéfique pour les Européens.

Ce qui pourrait être intéressant, ce serait d’être plus efficace et d’éviter les tragédies en mer. En 2016, nous avons battu un record en termes de morts en Méditerranée. Aujourd’hui l’agence Frontex coordonne des gardes-frontières nationaux mais on ne sait plus vraiment qui est responsable de ce qui se passe aux frontières : L’Union européenne, l’Etat membre d’origine du garde-frontière détaché ou l’Etat à la frontière duquel les migrants sont interceptés. Cette crise doit appeler à mieux déterminer la responsabilité de chacun face à ce qui est avant tout un drame humanitaire.

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