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Les programmes de déradicalisation, volet de la lutte antiterroriste en Europe

Empêcher les individus à risques de s’impliquer dans des mouvements extrémistes violents ou terroristes : c’est l’objectif des programmes de déradicalisation mis en place ces dernières années dans plusieurs pays d’Europe.

Une approche développée dans les années 2000

Plus encore que les attentats du 11 septembre 2001, ceux de Londres et de Madrid en 2004 et 2005 ont amené l’ensemble des Etats européens à réfléchir aux moyens de lutter efficacement contre le terrorisme et à intensifier leur coopération dans ce domaine. Fin 2005, le Conseil de l’UE a adopté une stratégie visant à lutter contre le terrorisme, suivie en mars 2010 d’une stratégie de sécurité intérieure de l’UE contre le crime organisé, le terrorisme et les catastrophes d’origine naturelle ou humaine.

Présentée par la commissaire suédoise Cécilia Malmström, cette dernière stratégie apporte une nouveauté. Parmi ses objectifs, elle veut “donner aux communautés les moyens de prévenir la radicalisation et le recrutement de terroristes” , et prévoit notamment la création d’un réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RAN). Né l’année suivante, celui-ci met en relation des acteurs impliqués dans la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent dans le but de favoriser les “bonnes pratiques” en la matière. Autre exemple de projet européen né en 2011 : la plate-forme ENoD réunit différentes ONG qui travaillent dans ce domaine.

Or les exemples de ces programmes se sont multipliés ces dernières années. Dans un premier temps, les initiatives sont venues des Etats, voire des localités comme à Amsterdam. Depuis les années 2000 plusieurs d’entre eux, en Europe et ailleurs, tentent de prévenir la radicalisation de personnes à risque et de “déradicaliser” celles qui le sont déjà. Ainsi, une étude du ministère danois des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration datée de 2010 montre que pas moins de 17 pays européens ont développé des stratégies visant à prévenir la radicalisation. Dernier exemple en date, un programme de “prévention de la radicalisation violente” a été présenté par la Belgique en avril.

Un travail social classique ?

En quoi consistent ces programmes ? Ceux-ci se présentent sous des formes très variées. Ils ciblent généralement les jeunes à risques ou les personnes déjà emprisonnées, impliquées dans des activités ou des organisations islamistes, d’extrême-droite, d’extrême-gauche, séparatistes et même des activistes défenseurs des animaux… Le “volontaire” (car le consentement de la personne est nécessaire) est alors généralement pris en charge par un responsable qui l’accompagne, individuellement ou en groupe, l’aide à se désengager de son environnement extrémiste et l’oriente vers d’autres voies plus constructives. Ce processus de “mentorat” est, au Danemark par exemple, une “composante essentielle” des programmes de déradicalisation, précise Karen Karman, conseillère principal du ministre danois des Affaires sociales et de l’Intégration. C’est pourquoi les acteurs impliqués dans ce type de démarche sont des habitués du terrain : travailleurs sociaux, ONG, représentants de communautés, policiers, personnel pénitentiaire, chercheurs…

Ainsi, admet Mme Karman, ces programmes focalisés sur l’extrémisme font appel à une offre sociale déjà existante, similaire à l’accompagnement éducatif ou professionnel par exemple. Pour Jean-Luc Marret, Maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique et Senior Fellow en résidence au Center for Transatlantic Relations à Washington, il s’agit même d’un “repackaging” du travail social classique. Depuis longtemps, celui-ci “s’occupe de cette réalité, que ce soit en termes d’insertion des jeunes et des anciens prisonniers ou de gestion de la violence au sein des organisations extrémistes” .

Par ailleurs, constate Jean-Luc Marret, l’approche préventive s’est principalement développée en Europe du Nord et au Royaume-Uni. A cela deux raisons : “Il y a un substrat culturel lié à l’histoire protestante de cette partie du continent”, mais également un facteur conjoncturel pour ces pays qui ont soutenu l’invasion américaine en Irak. “En mettant en place cet accompagnement politique et social à une action diplomatique et militaire, ils ont contribué à légitimer leur action extérieure tout en luttant contre les radicalisations intérieures qu’elle avait pu entraîner”.

Dans les pays qui n’ont pas mis en place de tels programmes, le processus de radicalisation fait néanmoins l’objet d’une attention particulière. En France par exemple, elle vise en priorité la lutte contre l’islam radical en prison. Créé en 2003, le bureau du renseignement pénitentiaire assure la surveillance des islamistes radicaux ainsi que des détenus liés à toutes les formes de criminalité organisée. D’après le ministère de la Justice, la lutte contre la radicalisation elle-même passe par l’accompagnement des individus à risque mais également par des sanctions disciplinaires voire le transfert des détenus qui manifesteraient un prosélytisme violent.

Un impact difficile à évaluer

En comparaison des politiques éprouvées de renseignement et de répression, la déradicalisation a-t-elle permis de lutter efficacement contre le terrorisme ? Par nature, “il est très difficile de mesurer l’efficacité de programmes de prévention, ou de prendre la mesure des actions violentes qui ont pu être évitées grâce au travail de prévention”, prévient Michele Cercone, porte-parole de la direction générale des Affaires Intérieures de la Commission européenne. Mais, continue ce dernier, “il suffit de penser au coût d’un attentat, tant humain qu’économique, pour se convaincre que ces efforts ne sont pas déployés en vain : la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent n’est pas seulement une question de mesures de sécurité”.

Et les tentatives d’évaluation existent. Outre l’étude danoise de 2010 citée plus haut, le ministère danois des Affaires sociales devrait prochainement publier un rapport sur l’impact individuel de ces programmes. Une autre étude (IMPACT), financée par l’Union européenne et dirigée par la Rand corporation Europe et les Pays-Bas, procèdera à partir d’octobre 2013 à une évaluation normée des différents programmes nationaux et locaux.

Les programmes de déradicalisation ont-ils encore de beaux jours devant eux ? Le Conseil européen du mois de juin pourrait en tout cas les évoquer. D’après le journal Le Monde (lien abonnés), le dossier des jeunes combattants partis en Syrie et des risques liés à leur retour sera à l’ordre du jour, or le coordinateur européen de la politique antiterroriste Gilles de Kerchove évoque dans son rapport l’implication des acteurs de “première ligne” comme moyens de décourager les départs. La Commission européenne proposera quant à elle à l’automne prochain un programme européen de lutte contre l’extrémisme violent.

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