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L’Europe du médicament, réalité tangible de la crise du Covid-19

La crise du Covid-19, puissant révélateur de la revendication politique d’un véritable espace européen de santé, a aussi mis en évidence les difficultés d’approvisionnement en médicaments. Si en matière de santé, l’Union européenne n’a que des compétences de coordination, comme en atteste l’article 168 TFUE, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut rien faire et est restée dans un coupable attentisme.

production de médicaments
Frédérique BerrodFrédérique Berrod est agrégée de droit public et professeure à Sciences Po Strasbourg.

Elle enseigne le droit de l’Union, plus particulièrement le droit du marché intérieur et le droit de la concurrence. Elle est responsable du Master Droit des produits de santé en Europe de la Faculté de droit de Strasbourg. Elle est professeure invitée au Collège d’Europe de Bruges.

L’Union dispose de compétences réduites, mais bien réelles dans le domaine de la santé ; elle vient appuyer les décisions des États membres, que l’on parle de soutien économique, d’organisation de l’approvisionnement ou d’achats de produits de santé ; et elle permet de mieux coordonner les politiques publiques. Si une chose a bien été faite pendant la crise c’est une coordination de plus en plus évidente par l’Union, personnifiée par la commissaire en charge de la Santé, Stella Kyriakides, qui n’a pas ménagé sa peine et qui a impliqué aussi la réunion fréquente des ministres de la Santé au Conseil de l’UE.

Cette coordination est patente aussi dans la gestion des frontières : si l’Union a été débordée par la fermeture des frontières décrétée par les États les uns après les autres au début de la crise, elle a protégé très vite des couloirs verts de libre circulation et a donné les grands principes de la levée des mesures de restrictions de la libre circulation dès le 1er avril 2020.

Organiser la solidarité de l’approvisionnement en médicaments

La crise du Covid-19 a mis en danger les citoyens européens du fait de réactions, parfois non coordonnées, parfois franchement égoïstes des États membres. La Commission européenne a fourni des lignes directrices pour que soit garanti en toute hypothèse le franchissement des frontières intérieures de l’UE aux matières premières comme aux médicaments, dont la fabrication est même qualifiée d’essentielle. Les autorités de l’UE ont temporairement permis aux États membres d’aider massivement les industries pharmaceutiques, leurs salariés et les officines de pharmacie pour assurer un approvisionnement régulier en médicaments. Elles ont assoupli le cadre réglementaire pour utiliser des médicaments en dehors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou pendant des essais cliniques et favorisé l’échange des protocoles hospitaliers afin de garantir la continuité des soins et le développement de traitement pour les malades les plus graves du virus.

Sans craindre de revenir sur des dogmes, la Commission a également assoupli les règles de concurrence pour favoriser des coopérations entre entreprises : sa politique vise à “faciliter la mise en œuvre adéquate et rapide des mesures de coopération requises pour surmonter la crise”, tout en maintenant la protection que la concurrence assure aux consommateurs.

Le médicament est une des marchandises les plus harmonisées en Europe

La réaction de l’Union a pu être plus centralisée et cohérente en ce qui concerne le médicament. L’harmonisation du médicament est la plus ancienne harmonisation de marchandise de l’Union européenne, puisqu’elle date de 1965 et elle est une régulation pionnière. La Communauté économique européenne d’alors avait pris la décision d’harmoniser les procédures qui autorisent un médicament à être mis sur un marché pour renforcer la compétitivité de l’industrie du médicament en Europe. Le traité de Lisbonne a fixé une base juridique spécifique à cette harmonisation, à l’article 168, paragraphe 4 c), lui donnant un objectif non plus seulement commercial mais de protection d’un haut niveau de santé publique. La définition du médicament est aujourd’hui la même dans tous les Etats, les phases des procédures d’autorisation de mise sur le marché (AMM) sont identiques et la lutte contre les médicaments falsifiés renforcée par une sécurisation commune. Toutes ces prescriptions sont contenues dans un Code européen du médicament depuis 2001.

Pour être vendu en Europe, un médicament doit avoir présenté un dossier permettant d’établir le rapport coûts-bénéfices de la substance pour le patient. L’Union a harmonisé les essais cliniques qui ont pour objectif de garantir des médicaments hautement sécurisés à tous les patients européens. Un médicament peut disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) centralisée, délivrée par l’Agence européenne du médicament, qui lui assure le droit d’être vendu dans tout le marché intérieur. Les AMM peuvent aussi être nationales ; l’Union a harmonisé les dossiers à remplir et prévu aussi des possibilités de reconnaissance mutuelle des AMM entre les Etats membres. L’Union a donc acquis une légitimité et une reconnaissance incontestée dans ce secteur des politiques de santé. Les médicaments vendus en Europe sont sécurisés et nombreux.

Le marché intérieur permet d’intensifier la libre circulation des médicaments, qui sont des marchandises au sens du traité. Il favorise la sécurité par l’interconnexion des marchés et rend en principe illicites les interdictions d’exportation de médicaments ; ce que la Commission a réaffirmé dans le contexte de la crise du Covid-19. Du fait des dangers qu’induit la mauvaise utilisation d’un médicament par le patient, la Cour de justice a constaté une large marge de manœuvre des Etats même en dehors de l’harmonisation du Code européen du médicament. Chaque Etat est donc libre d’organiser la distribution des médicaments, même en établissant une carte administrative des pharmacies ou en obligeant le pharmacien à être le seul propriétaire des capitaux de la pharmacie, tant que ces restrictions manifestes à la liberté d’établissement ou à la libre circulation des capitaux sont dûment justifiées par la protection de la santé publique.

L’accès aux médicaments : un enjeu européen ?

Ce qui pose problème depuis quelques années concerne le droit d’accès à des médicaments de qualité en Europe. Certains médicaments ont en effet un prix excessif imposé par les industries du médicament, qui peut conduire certains systèmes de sécurité sociale ou certains hôpitaux à y renoncer faute de fonds suffisants. La commissaire Vestager s’est attaquée à ce problème dès 2015 avec le droit de la concurrence, en engageant des procédures en vertu de l’article 102 TFUE interdisant les abus de position dominante.

La crise du Covid-19 a mis en lumière un autre problème pourtant plus ancien, celui des ruptures d’approvisionnement de médicaments et la dépendance de l’Europe à la Chine comme à l’Inde pour la fabrication de substances actives et de médicaments. L’Union a récemment mis en place une procédure de surveillance des besoins par les points de contact de l’Agence européenne de médicaments. Elle a encouragé aussi l’industrie pharmaceutique à augmenter la production des médicaments nécessaires au traitement des malades du Covid.

L’Union européenne se fixe de nouveaux objectifs et débat aujourd’hui des moyens pour sortir de cette logique en développant la relocalisation de certaines productions, les obligations de stockage et une vision européenne de l’état des stocks (il faut rappeler aussi la création de RescEU dès le 19 mars 2020). Il faudra aussi, en particulier pour relocaliser, s’assurer que les brevets sont détenus par des entreprises européennes, ce qui suppose de développer en Europe la recherche médicamenteuse.

La stratégie de l’Union en matière de politique industrielle présentée le 10 mars 2020 par le commissaire Breton soulignait déjà que les produits pharmaceutiques étaient des produits clés pour la souveraineté industrielle de l’Union et annonçait une nouvelle stratégie pharmaceutique qui “mettra l’accent sur la disponibilité, le caractère abordable et durable et la sécurité de l’approvisionnement des produits pharmaceutiques”. Cette stratégie a été discutée par le Conseil des ministres de la santé du 12 mai 2020 pour assurer une plus grande sécurité d’approvisionnement.

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