Toute L'Europe – Comprendre l'Europe

Katrīna Leitāne (CESE) : “Les jeunes sont le moteur du projet européen”

Alors que les élections européennes de 2024 approchent, la problématique de l’inclusion des jeunes dans les processus décisionnels de l’UE demeure. Membre du Comité économique et social européen (CESE), Katrīna Leitāne est spécialiste des questions liées à la jeunesse en Europe et nous explique comment l’Union pourrait mieux prendre en compte ses aspirations.

- Crédits : Comité économique et social européen
“Les organisations de jeunesse ont développé une expertise et des connaissances dans un large éventail de sujets liés aux questions auxquelles les jeunes sont confrontés”, met en avant Katrīna Leitāne - Crédits : Comité économique et social européen

Climat, environnement, droits des femmes… L’engagement des jeunes est bien visible, notamment à travers des formes d’expression renouvelées. Mais celui-ci ne se reflète pas dans leur participation électorale, souvent bien en-deçà de celle de l’ensemble de la population. Un peu plus d’un an avant les élections européennes, comment surmonter ce désintérêt pour la politique traditionnelle et inclure la jeunesse dans les processus décisionnels ? 

Katrīna Leitāne est membre du Comité économique et social européen (CESE) depuis 2020. Elle siège au sein de l’organe consultatif qui rassemble la société civile de l’UE en qualité de représentante du Conseil de la jeunesse de Lettonie. Cette organisation rassemble 42 organisations de jeunesse issues du pays.

Toute l’Europe : Lors des dernières élections européennes en 2019, la participation des électeurs de moins de 24 ans a augmenté de 50 %. Pouvons-nous espérer que cet intérêt pour la politique au niveau de l’UE continue de croître en 2024 ?

Katrīna Leitāne : Selon moi, il existe un lien direct entre l’intérêt pour la politique et la confiance dans l’UE et sa gouvernance. Et si l’on regarde les chiffres, selon l’enquête Eurobaromètre publiée le 4 avril 2022, 47 % des Européens font confiance à l’UE, soit deux points de moins qu’au printemps 2021.

En outre, une majorité (55 %) de jeunes disent ne pas comprendre grand-chose ou rien du tout à propos de l’UE. Une majorité (70 %) d’entre eux estiment qu’ils n’ont pas beaucoup ou pas du tout leur mot à dire sur les décisions, les lois et les politiques importantes concernant l’Union dans son ensemble. Et 53 % considèrent qu’ils n’ont pas beaucoup ou pas du tout leur mot à dire concernant l’avenir de leur région.

Ces chiffres sont alarmants et il est clair qu’une communication ciblée et efficace, une sensibilisation aux processus et au travail de l’UE et un engagement approprié avec les citoyens sont nécessaires. Ils constituent des éléments cruciaux pour renforcer la confiance dans l’Union sur une base continue.

Comment consolider cette confiance des jeunes dans l’UE ?

La confiance est le principal défi de la démocratie. Lors des prochaines élections européennes, il s’agira d’atteindre ceux qui ont perdu ou n’ont jamais eu confiance dans la politique ou dans l’UE et de renforcer la confiance de ceux qui l’ont encore. En outre, je crois que la participation est la base de toute démocratie qui fonctionne. Les jeunes ont changé leurs modes de participation, préférant désormais des formes d’engagement politique non institutionnalisées, et en particulier non électorales. Cette définition de la participation politique transforme le problème de la participation des jeunes : il ne s’agit plus de savoir s’ils participent, mais où ils participent.

Il est important de proposer des mécanismes efficaces qui complètent les mécanismes participatifs existants, qui soient alignés sur les principes démocratiques et adaptés aux besoins des jeunes. Cela peut contribuer à améliorer la qualité et l’efficacité de l’élaboration des politiques. Les mécanismes participatifs devraient être inclusifs et toucher des publics diversifiés, notamment ceux qui sont difficiles à atteindre. Tels que les primo-votants, les habitants des zones rurales, les groupes vulnérables, les personnes en situation de handicap et les minorités.

En 2019, la participation des jeunes aux élections européennes était inférieure à celle de la population générale (42 % contre 51 %). Comment réduire cet écart ?

En instaurant la confiance au quotidien, et pas seulement en organisant des événements “drapeaux et ballons” avant les élections. Il s’agit d’éducation civique, de communication et d’inclusion, et d’un engagement significatif. L’instauration de la confiance est un processus continu qui doit être mis en œuvre quotidiennement à tous les niveaux. Il existe dans toute l’Union européenne de bons exemples d’implication des citoyens. Comme les assemblées de citoyens, les budgets participatifs ou encore les conseils de jeunes.

La démocratie commence dans la famille, nous devons donc l’enseigner à nos enfants dès la maternelle. Dans la ville où je vis (Sigulda en Lettonie), il existe un Conseil consultatif de la culture pour les enfants. Les élèves de cinq écoles maternelles municipales sont impliqués dans les discussions sur ce thème dans leur commune. Ce sont de petits exemples, mais ils peuvent faire une grande différence à long terme.

La participation à la démocratie doit faire sens ! Un engagement qui fait sens repose sur le partage du pouvoir - la capacité de prendre des décisions, avec l’engagement d’autres parties prenantes, dans des conditions transparentes. Des processus de responsabilisation bien conçus permettent d’établir la confiance de toutes les parties prenantes. Et cela implique que les responsabilités des différents acteurs soient connues de tous.

Selon un sondage Eurobaromètre publié en mai 2022, 58 % des jeunes avaient participé à une ou plusieurs organisations de jeunesse au cours de l’année précédente. Ces organisations pourraient-elles être un moyen de les rapprocher de la politique européenne ?

Les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle essentiel en impliquant les jeunes dans les défis sociétaux et en les faisant donc participer à l’élaboration des politiques et au processus démocratique. Ces organisations peuvent servir de passerelles et de réseaux de soutien pour aider les jeunes à s’engager auprès des organismes publics officiels et leur permettre de devenir des citoyens actifs.

Les organisations de jeunesse ont développé une expertise et des connaissances dans un large éventail de sujets liés aux questions auxquelles les jeunes sont confrontés. Les inclure dans le processus d’élaboration des politiques permettra de mettre en place des législations plus cohérentes et plus appropriées.

Permettez-moi de souligner le rôle des organisations de jeunesse dans la sensibilisation des jeunes aux questions civiques et à l’engagement. Il est particulièrement important de renforcer la capacité de ces structures dans leur travail avec les jeunes. Des ressources et des financements appropriés devraient être mis à disposition pour une participation significative des jeunes à l’élaboration des politiques.

L’année 2022 avait été consacrée “Année européenne de la jeunesse”, avec de nombreuses actions au niveau de l’UE pour mettre en avant le rôle des jeunes. D’après vous, a-t-elle porté ses fruits ?

Il est essentiel que l’Année européenne de la jeunesse ait un héritage tangible et durable. Et il est vital de veiller à ce que les jeunes aient leur mot à dire dans les décisions qui affectent leur avenir.

L’Année européenne de la jeunesse a été l’occasion de donner le coup d’envoi d’un changement à long terme qui permettra une meilleure compréhension et une approche plus stratégique de la jeunesse, de sa participation et de son rôle dans la construction du projet européen. C’était une excellente occasion d’établir des mécanismes innovants, significatifs et ciblés pour les impliquer au sein des institutions de l’UE et au niveau national.

Et que pensez-vous des résultats de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, vaste consultation des citoyens de l’UE de mai 2021 à mai 2022 ? Ce type d’exercice devrait-il être plus fréquent afin de mobiliser les jeunes ?

Dès le tout début de la Conférence, le Comité - en tant que maison de la société civile organisée européenne - a toujours affirmé que les citoyens devaient être au cœur de cet exercice et que les événements devaient être organisés avec des personnes de tous les milieux et horizons et partout dans l’Union européenne.

Notre avenir dépend des choix que nous faisons aujourd’hui. Ceux-ci doivent être porteurs d’une vision à laquelle les jeunes peuvent s’identifier afin de développer une conception ambitieuse des politiques et d’ancrer des réflexions politiques durables dans notre vie quotidienne. Chaque décision prise aujourd’hui doit être fondée sur une responsabilité à l’égard des générations futures. Je pense que la Conférence sur l’avenir de l’Europe a été une excellente occasion pour les institutions d’écouter et de mettre en œuvre de véritables changements afin d’améliorer la vie des citoyens, y compris des jeunes, dans toute l’Europe.

Les jeunes sont le moteur du projet européen, et leur créativité, leur énergie et leur enthousiasme sont la force motrice de sa durabilité. Ils représentent 25 % de la population de l’UE et, bien qu’ils aient à vivre le plus longtemps avec les conséquences et les impacts des législations conçues aujourd’hui, ils sont sous-représentés dans les processus politiques et les consultations. La participation des jeunes au niveau de l’UE doit se poursuivre au-delà de la Conférence. Et leurs perspectives doivent être prises en compte lors de l’élaboration de la législation dans tous les domaines, afin d’éviter des politiques de court terme et de promouvoir des objectifs plus ambitieux.

Une proposition citoyenne issue de la Conférence sur l’avenir de l’Europe vous tient-elle particulièrement à cœur ?

Le rapport de la Conférence sur l’avenir de l’Europe contient une proposition susceptible de renforcer la confiance, d’inclure une dimension prospective, de consolider la solidarité intergénérationnelle, d’inclure les jeunes vulnérables et de garantir un héritage durable de l’Année européenne de la jeunesse : il s’agit du test jeunesse de l’UE. C’est un outil d’étude d’impact visant à garantir que toutes les politiques élaborées au niveau de l’UE soient considérées sous l’angle de la jeunesse.

Il repose sur trois piliers : un engagement significatif, des études d’impact et des mesures d’atténuation. Le test jeunesse de l’UE s’appuie sur les objectifs clés de la stratégie de l’UE en faveur de la jeunesse et de l’Année européenne de la jeunesse, et a été présenté lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. L’accord sur la nécessité d’un test jeunesse est né de consultations avec des jeunes et des organisations de jeunesse, qui considèrent qu’il est absolument nécessaire de les inclure dans l’élaboration des politiques.

Pensez-vous que l’abaissement à 16 ans de l’âge du droit de vote aux élections européennes dans tous les États membres aurait un impact positif ?

Je pense que cela pourrait avoir un impact positif, mais cela doit aller de pair avec l’éducation formelle et non formelle, la mise en place de mécanismes de participation aux niveaux local, national et européen. Mais aussi avec le renforcement des organisations de la société civile - en particulier des organisations de jeunesse - afin qu’elles puissent fournir un soutien aux jeunes et les doter des compétences et des connaissances nécessaires.

Selon moi, l’éducation civique devrait faire partie intégrante des programmes scolaires. Ce n’est cependant pas le cas actuellement dans tous les pays de l’UE. L’éducation non formelle menée par les organisations de la société civile peut donc s’avérer extrêmement précieuse. 

Une démocratie participative moderne devrait éviter les plateformes participatives lourdes et difficiles à utiliser, et plutôt créer des outils légers, conviviaux, dynamiques, interactifs et innovants pour atteindre l’ensemble de l’UE. Je suis convaincu que les organisations de la société civile et populaires ont tout intérêt à mettre en place de tels mécanismes participatifs et à veiller à ce que les citoyens soient impliqués dans la création de l’avenir de l’Union : c’est la seule façon d’avancer.

D’après votre expérience, quelles sont les principales valeurs ou compétences que les jeunes générations actuelles pourraient enseigner aux générations plus âgées en matière de gouvernance européenne ?

Il est essentiel de rester fidèle aux rêves de nos jeunes. Ils ont la capacité de construire et de façonner l’avenir de l’Union européenne. Les jeunes d’aujourd’hui sont les dirigeants de demain, et si nous voulons avoir des dirigeants qui renforcent les valeurs de l’UE, nous devons les impliquer dès maintenant. 

Je pense qu’il est de la plus haute importance que les gens puissent s’appuyer sur les valeurs européennes : la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’état de droit et le respect des droits de l’homme. Quelles que soient les tempêtes qui secouent l’Europe ou le monde dans son ensemble, il existe un noyau dur sur lequel nous pouvons compter. Il n’y a absolument rien qui puisse être considéré comme acquis. Nous avons besoin de chacun d’entre nous pour garantir ce que nous avons déjà réalisé et pour construire une vision que chacun puisse considérer comme la sienne.

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Katrīna Leitāne (CESE) : "Les jeunes sont le moteur du projet européen"

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide