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Immigration : la Grèce met l’Europe au pied du mur

Comment faire face à l’immigration clandestine en Europe ? La Grèce s’apprête à employer les grands moyens en projetant d’ériger un mur de 13 km le long de sa frontière avec la Turquie. Une proposition qui fait déjà l’objet de nombreuses critiques, et refroidit à nouveau les relations entre l’Europe et l’opinion publique turque.

Une zone sous haute tension

Assisterons-nous à la construction par la Grèce d’un nouveau rideau de fer en Europe, au niveau de la petite partie du fleuve Evroz qui coule en territoire turc en Thrace occidentale ? C’est précisément au niveau d’un saillant de ce fleuve que se situe l’une des portes d’entrées de l’immigration illégale en Europe. En 2010, les migrants (en provenance d’Iran, Irak, Afghanistan, Afrique Sub-saharienne) auraient été plus de 128 000 à tenter de passer dans l’Union européenne.

Qu’est-ce que Frontex ?

L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne répond à l’exigence d’améliorer la gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. Elle doit permettre de faciliter l’application des mesures communautaires, existantes et futures, relatives à la gestion de ces frontières et de coordonner la coopération entre Etats membres.

Dans cette zone, 175 gardes-frontières de l’agence Frontex ont été déployés à la demande d’Athènes en novembre 2010 mais leur mission se termine dans deux mois. Avec son projet de clôture, la Grèce prend les devants et fait pression sur ses partenaires européens en vue de prolonger l’opération, qui demeure très coûteuse pour l’Europe. Cette stratégie pourrait bien être gagnante puisque Bruxelles ne peut pas permettre d’être favorable à ce mur.

Droit dans le mur ?

Ainsi, Michele Cercone, le porte-parole de la commissaire en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté Viviane Reding, a affirmé que “les murs ont prouvé par le passé que ce sont des mesures à court terme qui ne permettent pas de s’attaquer de manière structurelle à la question de l’immigration clandestine” .

Or ce projet fait notamment écho à la ligne verte qui depuis plus de 30 ans sépare l’île de Chypre en une partie grecque et l’autre turque. A l’origine de cette division, un coup d’Etat en 1974 des colonels grecs qui voulaient rattacher l’île à la Grèce, provoquant l’intervention de l’armée turque dès lors installée dans le tiers nord de l’île.

En 2004, date à laquelle l’ONU décide de soumettre à référendum un plan de réunification finalement rejeté côté grec, l’île divisée entre dans l’Union européenne. Ce n’est qu’en 2007 que le mur de séparation commence à être démantelé suite aux pressions de l’Union européenne. Depuis, les deux parties veulent profiter de cette ouverture pour régler les problèmes de migration et de sécurité.

C’est bien le même problème de sécurité aux frontières qui pousse la Grèce à entreprendre une telle mesure dans la région d’Evroz. Mais sa portée symbolique et géopolitique dépasse largement sa fonction première. Ce projet pourrait en effet crisper davantage les relations déjà tendues entre l’Union européenne et la Turquie.

Vives réactions dans la population turque, le gouvernement reste discret

La presse turque réagit plutôt mal à ce projet. Les journalistes parlent de “nouveaux murs” en Europe et comparent ce projet à la clôture qui existe entre les Etats-Unis et le Mexique. Ils ressentent ce projet comme un message symbolique adressé aux Turcs, le mur étant vu comme un moyen de séparer physiquement l’Europe de la Turquie. Au-delà de la mesure qui vise à lutter contre l’immigration clandestine, la population turque vit cet évènement comme une nouvelle “perfidie” des Européens.

On est en revanche beaucoup plus discret du côté du gouvernement turc. Le ministère des Affaires étrangères n’a en effet pas souhaité commenter cette initiative. Il est vrai que les relations entre Ankara et Athènes se sont sensiblement améliorées ces derniers temps, et le Premier ministre grec Georges Papandréou est attendu à Ankara mercredi 12 janvier pour assister à la conférence des ambassadeurs turcs.

Lundi 11 janvier son homologue turc Recep Tayyip Erdogan a même nuancé la portée du projet grec : “appeler ça un mur serait faux. C’est seulement une barrière. Nous avons discuté du problème et nous avons une confiance entière l’un dans l’autre” . Le leader s’est montré étonné par les dimensions importantes du phénomène migratoire en Grèce, ce qui a largement contribué à infléchir sa position initiale.

Véritable instrument contre l’immigration clandestine ou simple coup médiatique ?

L’attitude du gouvernement grec correspondrait plus à la traduction fidèle de l’expression “aux grands maux, les grands remèdes” . Il faut souligner que les autorités grecques voient l’immigration clandestine comme un problème endémique. Depuis que l’Espagne et l’Italie ont fermé leurs frontières extérieures, la Grèce accueille 90% de l’immigration clandestine en Europe. On estime que 200 à 300 personnes tentent chaque jour de passer clandestinement la frontière le long de ces 13 km dans le nord-est du pays. Les agents Frontex sont reconnus pour leur action efficace mais on constate pourtant des arrivés quotidiennes dans les villes grecques, surtout à Athènes.

Aujourd’hui en Grèce, les centres de rétention sont remplis et les conditions de détention se dégradent dramatiquement. Les normes d’hygiènes sont telles que les gardiens rouvrent les camps et relâchent des clandestins pour faciliter un tant soit peu la vie quotidienne des clandestins. A ce propos, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a qualifié cette situation de “véritable crise humanitaire, indigne de l’UE” . La situation en est arrivée à une telle démesure que sur 30 000 demandes d’asile, les autorités grecques n’en ont retenu que onze pour l’année 2010, et les tribunaux d’Europe de l’ouest ont décidé de ne plus renvoyer de réfugiés en Grèce.

Le Règlement Dublin II

Il est destiné à identifier dans les plus brefs délais possibles l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile et à établir des délais raisonnables pour chacun des stades de la procédure de détermination de l’État responsable. Enfin, il vise à prévenir l’abus des procédures d’asile que constituent les demandes multiples.

Depuis peu, la capitale grecque est devenue un piège pour ces clandestins qui se ghettoïsent progressivement. C’est dans ce contexte que le mur représente pour le gouvernement grec un début de solution. A ce titre, une loi sera débattue au Parlement hellène la semaine prochaine au sujet de l’adoption d’une véritable politique migratoire. En conséquence, les observateurs estiment que les autorités grecques ont de plus en plus de mal à faire la différence entre immigrés légaux et clandestins, ceux-ci étant estimés à un million sur une population de onze millions de personnes.

La coopération gréco-turque dans le domaine de l’immigration

La Turquie a longtemps été critiquée par la Grèce, puisque la république turque était accusée de ne pas en faire assez dans la lutte contre l’immigration clandestine et de ne pas coopérer suffisamment. Cela a longtemps constitué une des pommes de discorde entre les deux pays, d’autant qu’il existe seulement deux routes de passage pour l’immigration : la mer Egée et la frontière terrestre.

Mais la coopération s’est récemment améliorée. Au printemps dernier, les deux gouvernements ont signé une série de traités, notamment sur l’immigration, qui devrait finaliser l’accord de réadmission des migrants ayant transité par la Turquie. Un accord similaire avait été signé il y a 10 ans, mais n’avait jamais été appliqué par la Turquie. Pour ce qui est de la surveillance elle-même aux frontières, la Turquie dit faire son maximum en expliquant qu’elle a arrêté 10 000 migrants en 2010 à la frontière terrestre. Un chiffre qui représente beaucoup aux yeux de la Turquie mais reste dérisoire pour le gouvernement grec, puisque dix fois plus ont réussi à franchir la frontière cette année.

La Grèce se retrouve donc entre deux feux, et s’entête pour le moment à édifier cette clôture de séparation. Chrisopthe Papoustis, le ministre de la protection des citoyens, tout en dénonçant l’hypocrisie de Bruxelles sur ce sujet (L’UE critique souvent la Grèce pour le manque d’efficacité de sa politique migratoire) a défendu cette mesure vendredi dernier au Parlement. Difficile aujourd’hui d’affimer que la Grèce ira au bout de son projet. Il semble plus certain par ailleurs que l’on se dirige vers une révision du règlement Dublin II, qui fait de la Grèce, à l’origine un pays de transit pour les immigrants clandestins, une destination finale.

En savoir plus

Autant construire un vrai mur - Presseurop

Sans politique, une clôture n’est rien - Presseurop

Grecce Blasts EU “Hypocrisy” for oposing Turkey wall plans - EUobserver

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