Deuxième Palme d’or pour Ken Loach
A l’issue des 12 jours de compétition, qui ont vu défiler au Palais des festivals les 21 films en lice pour la Palme d’or, Moi, Daniel Blake n’était pas favoris. De retour derrière une caméra deux ans après Jimmy’s Hall et surtout une retraite annoncée, le metteur en scène britannique Ken Loach, bientôt 80 ans, a pourtant déjoué les pronostics et été choisi par le jury présidé cette année par le réalisateur australien George Miller (Mad Max).
Il s’agit aussi de la 5e de suite après Amour (Autriche, 2012), La Vie d’Adèle (2013, France), Winter Sleep (2014, Turquie) et Dheepan (France, 2012), signe de la vitalité du cinéma européen.
Après avoir déjà remporté le prix suprême en 2006 pour Le Vent se lève, Ken Loach entre donc dans le cercle très fermé des réalisateurs doublement palmés. Il y rejoint les frères Dardenne (Belgique), Michael Haneke (Autriche), ou encore Emir Kusturica (Serbie) et Francis Ford Coppola (Etats-Unis). Interrogé à l’issue de la remise des prix, l’acteur canadien Donald Sutherland (M.A.S.H), membre du jury, a décrit le film comme “absolument formidable, qui résonne dans notre cœur et notre âme” .
Logiquement très ému, Ken Loach n’a pas boudé son plaisir de voir sa place un peu confortée au sein du panthéon du Festival de Cannes. Mais fidèle à sa réputation d’auteur engagé, il n’a néanmoins pas manqué de noter le décalage entre ce décor on ne peut plus glamour et les conditions de vie des personnes qui ont inspiré son film, dénonçant une nouvelle fois les inégalités sociales et les effets négatifs du libéralisme. “Quand il y a du désespoir, l’extrême droite prend l’avantage” , a-t-il ainsi déclaré après les remerciements. “Nous devons dire qu’un autre monde est possible et nécessaire” .
Un discours offensif qui aura d’ailleurs été du goût de personnalités politiques telles que Christiane Taubira ou Jean-Luc Mélenchon. “Ken Loach, idéal inusable, inquiétude vigilante, pour nous rappeler qu’il n’y a rien de fatal à notre monde injuste et brutal” , a ainsi twitté l’ancienne garde des sceaux. Alors que le patron du Front de gauche gazouillait peu avant : “Cannes debout : Ken Loach Palme d’or. La question sociale crève l’écran” .
La presse égratigne le palmarès
Cet enthousiasme n’aura toutefois pas été tout à fait partagé par la critique, prompte à décrier un palmarès “frileux” , “sage” , ou encore “inégal” pour reprendre certains titres de la presse française. En effet, de l’avis général, si la qualité intrinsèque de Moi, Daniel Blake n’est pas en cause, un choix plus audacieux aurait été de meilleur aloi. D’autant que quelques-uns des prix secondaires, au premier rang desquels Juste la fin du monde, du Canadien Xavier Dolan et coproduit avec des fonds français, ont également suscité l’incrédulité d’une partie importante de la presse spécialisée.
La comédie de l’Allemande Maren Ade, Toni Erdmann, figurait ainsi en haut de la liste des festivaliers, aux côtés de Elle, du Néerlandais Paul Verhoeven (en salles le 25 mai), ou encore d’Aquarius du Brésilien Kleber Mendonça Filho. De fait, les films les plus controversés, comme Rester vertical du Français Alain Guiraudie, ou les plus iconoclastes comme The Neon Demon du Danois Nicolas Winding Refn, sont repartis bredouille.
Facteur explicatif de ce palmarès controversé : le manque de consensus entre les membres du jury, qui ont semble-t-il battu le record des délibérations les plus longues, avec environ cinq heures de discussions. “Nous avons travaillé avec vigueur et rigueur. Rien n’est resté à l’écart des discussions” , a confirmé George Miller. “Nous voulions décider par nous-mêmes et n’avons pas écouté la presse” .
En revanche, à l’inverse de la compétition principale, les lauréats des sélections secondaires ont soulevé beaucoup moins de commentaires négatifs de la part de la critique. C’est particulièrement le cas de Divines, récompensé de la Caméra d’or du meilleur premier film, réalisé par la Franco-Marocaine Houda Benyamina, dont le discours sur-vitaminé aura marqué la Croisette. D’après les premiers spectateurs, son film se trouve dans la lignée de La Haine (1995) ou encore de Bande de filles (2014). On pourra enfin noter L’Effet aquatique, coproduction franco-islandaise réalisée par Solveig Anspach, récemment décédée, vainqueur de la Quinzaine des réalisateurs, décrit comme une “comédie romantique où la joie de la rencontre, le coup de foudre et les sentiments sont célébrés” .