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Epidémie d’obésité en Europe : un enjeu de santé publique

L’augmentation de la proportion de personnes obèses dans le monde a été qualifié “d’épidémie” par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). D’après des chiffres de 2017, elle concerne 17% des adultes dans l’UE. Plus largement, 52% des Européens sont en surpoids ou obèses, soit un adulte sur deux et près d’un enfant sur trois.

*L’indicateur mesure la proportion de personnes obèses en fonction de leur indice de masse corporelle (IMC) qui est défini comme le poids en kilogrammes, divisé par le carré de la taille en mètres. Les personnes âgées de 18 ans ou plus sont considérées comme obèses avec un IMC égal ou supérieur à 30. Les autres catégories sont les suivantes : insuffisance pondérale (IMC inférieur à 18,5), poids normal (entre 18,5 et 25), et pré-obèse (IMC entre 25 et 30). La catégorie de surcharge pondérale (IMC égal ou supérieur à 25) combine les deux catégories pré-obèses et obèses. A noter que le calcul est le même pour les hommes et les femmes, par exemple une personne de 70kg et qui mesure 1,60m aura un IMC de 27,3 (70/1,602), cette personne est en surpoids.

L’association entre le surpoids et surtout l’obésité (qui n’est pas une maladie en soi) et des pathologies graves comme le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, forme un problème de santé publique à l’importance croissante. À long terme, l’espérance et la qualité de vie de nombreux Européens s’en trouveront affectées. Les politiques publiques tentent de s’emparer du problème.

La proportion de personnes obèses parmi la population mondiale n’a cessé d’augmenter depuis les années 70, triplant presque entre 1975 et 2016. En Europe, entre 2008 et 2014, seuls 3 pays membres sur 28 ont vu leur taux d’obésité baisser. En France, entre 1992 et 2009, soit moins de 20 ans, le taux d’obésité a plus que doublé, passant de 7% à 15% de la population.

Etat des lieux de l’obésité dans l’UE : comment expliquer cette augmentation ?

D’après les chiffres d’Eurostat, les pays les moins touchés par l’obésité et la surcharge pondérale en 2014 sont : la Roumanie (9,4%), l’Italie (10,8%), la Belgique et la Suède (14%). A l’inverse, les plus touchés sont Malte (26%), la Lettonie (21,3%), la Hongrie (21,2%), l’Estonie (20,4%) et le Royaume-Uni (20,1%).

D’après Laurent Barrat, expert en intelligence économique et co-auteur de Globésité, la grande désinformation de l’industrie agroalimentaire, les facteurs d’explication de l’obésité sont multiples, mais “la transformation des modes d’alimentation est l’élément le plus déterminant” . La transition nutritionnelle à l’œuvre marque une hausse continue d’apport en calories, en graisses et en sucre, une demande croissante de produits industriels transformés, ainsi qu’un recours accru à la restauration hors du foyer. Cette disposition fragilise l’équilibre alimentaire. “Les progrès technologiques de l’agro-industrie ont favorisé la mise sur le marché de produits peu chers, riches en gras, en sucre et en sel” et “notre environnement alimentaire nous incite au plaisir de la nourriture au-delà de ce dont nous avons besoin” , explique M. Barrat, interrogé par Toute l’Europe.

D’autre part, la proportion de personnes obèses est le plus souvent indexé au niveau de vie. Plus ce dernier est faible et moins l’alimentation quotidienne sera diversifiée et riche en produits frais et sains. Incontestablement, l’obésité et la surcharge pondérale sont liées aux moyens alloués aux dépenses de nourriture. Mais pas uniquement. Les classes populaires semblent se désintéresser des repères nutritionnels et affirment leur préférence sociale pour des aliments denses en calories. L’injonction de minceur, liée à des habitudes alimentaires plus coûteuses, peut être perçue comme une contrainte indue alors que ces ménages sont déjà soumis à de fortes contraintes de consommation en raison de leur situation économique.

Le degré de sédentarité est un autre élément prépondérant. L’activité physique a donc aussi son importance, mais “une activité sportive régulière ne pourra pas contrebalancer les effets néfastes d’une alimentation déséquilibrée” , note Laurent Barrat. A ce propos, Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, explique que s’il existe une prédisposition génétique à l’obésité chez certains individus, l’environnement et les conditions de vie associées sont nécessaires pour produire l’obésité sur le long terme. De plus, si l’obésité s’installe, elle altère biologiquement le tissu adipeux du corps, c’est-à-dire que la masse grasse du corps est dans un état d’inflammation chronique et à un certain stade il devient quasiment impossible de perdre le surpoids. Néanmoins, il convient de ne pas considérer le surpoids comme une maladie en tant que telle : les personnes avec un IMS supérieur à 25 peuvent vivre sans en souffrir.

L’obésité : un enjeu de santé publique ?

Pour Fabrice Etilé, directeur de recherche à l’INRA et auteur d’Obésité, santé publique et populisme alimentaire, l’arbitrage entre plaisir et santé n’a rien d’une évidence. Il explique que les “individus aux bas revenus auront plus tendance à privilégier les plaisirs alimentaires immédiats à la rigueur d’un régime équilibré s’il n’apporte pas de bénéfice tangible immédiat” .

Concernant la légitimité de l’action publique, deux thèses s’opposent. D’une part, celle de la responsabilité individuelle, qui suppose que le consommateur est souverain et que l’offre répond à la demande. L’autorégulation prime alors sur la contrainte publique. A l’inverse, la thèse de “l’environnement obésogène” implique que les individus évoluent dans un environnement avec une offre alimentaire qu’ils ne contrôlent pas et où l’Etat pourrait être l’autorité régulatrice.

Les détracteurs de l’action publique craignent une déresponsabilisation des consommateurs qui, selon eux, devraient apprendre de leur erreur pour que le changement d’habitude alimentaire se fasse sur le long terme. A l’inverse, les défenseurs de l’intervention étatique insistent sur le fait que les choix du présent peuvent avoir des conséquences irréversibles sur la santé des générations futures.

Par ailleurs, le coût de l’obésité à la charge de l’Etat pousse également à agir. Le surcoût de dépense moyenne de santé pour une personne ayant un IMC supérieur à 27 est en effet estimé à 600 euros par an (chiffres de 2003).

Pour Laurent Barrat, les gouvernements se retrouvent face à un dilemme : “ils doivent nourrir leur population tout en assurant l’accès à une alimentation de bonne qualité nutritionnelle, dont le prix est considéré comme trop élevé pour une partie de la société” . Cependant, “si la population n’est plus capable de se réguler dans la consommation d’une alimentation malsaine ou n’en a pas envie, c’est à l’Etat de le faire” .

Quelles sont les mesures prises par les Etats ? Quelles sont les recommandations de la Commission européenne ?

Plusieurs Etats tentent de changer les comportements alimentaires à risque en augmentant la taxation de certains produits qualifiés de “malbouffe” . Aussi appelée “taxe comportementale” , cette charge modifie le coût immédiat des choix alimentaires. Les pouvoirs publics justifient son recours par le surcoût médical engendrée par une mauvaise alimentation.

La Roumanie est l’un des pays précurseurs en la matière. Le pays a imposé en 2010 une taxe sur les fast-foods. Le Danemark également a imposé des taxes sur les confiseries, les sodas et la crème glacée en 2013. Des projets similaires ont depuis été mis en place dans de nombreux pays européens, dont la France.

Hors d’Europe, c’est le Chili qui a mis en place la plus haute taxe au monde sur les sodas (18%), et le gouvernement a récemment interdit la vente de jouets pour les enfants avec la nourriture. “L’initiative est remarquable, mais la taxation n’est pas suffisante si les incitations à la consommation ne sont pas aussi régulées, comme la publicité” , tempère Laurent Barrat.

La Commission européenne s’est aussi emparée du sujet. Même si la santé reste de la compétence des Etats, elle entend formuler des recommandations pour agir à l’échelle européenne et harmoniser les politiques. Le Livre blanc de 2007 consacré aux problèmes de santé liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité, ainsi que le plan d’action de l’Union européenne 2014-2020 pour lutter contre l’obésité infantile proposent des pistes de réflexion.

Pour Laurent Barrat, l’une des recommandations les plus déterminantes de la Commission réside dans le contrôle de la publicité à destination des enfants et des adolescents, qui est très fréquemment utilisée par le secteur agro-alimentaire pour vendre des produits transformés. Tous les types de médias doivent dès lors être concernés et il convient “d’étendre l’interdiction non seulement à la publicité d’aliments trop gras, trop sucrés et trop salés, mais aussi à tous les contenus promotionnels associés” .

Plusieurs pays ont mis en place des mesures en ce sens comme au Royaume-Uni où la publicité pour la malbouffe destinée aux enfants est interdite à la télévision et sur internet depuis 2017. De même en France, où toute forme de publicité est interdite pendant les programmes télévisés à destination des enfants sur les chaines publiques depuis le 1er janvier 2018. L’éducation des enfants sur la nutrition et l’activité physique à l’école apparaît également comme un enjeu incontournable.

La Commission recommande également de procurer au consommateur une meilleure information sur les valeurs nutritionnelles des aliments, notamment par un étiquetage plus complet, qui indique les teneurs en acide gras, en sel et en sucre des aliments.

Enfin, la Commission propose de compléter l’action de l’Etat par un partenariat privé-public étant donné que les producteurs, distributeurs et restaurateurs mettent déjà en œuvre des dispositifs marchands pour orienter les décisions des individus (notamment vers davantage de consommation). Les mêmes mécanismes pourraient être utiliser à des fins de promotion des produits plus sains. Sur ce point, Laurent Barrat est sceptique : “ce n’est pas l’intérêt des industriels de l’agro-alimentaire que d’entamer des changements coûteux et dont l’issue est incertaine” .

Mais au fond, indique Laurent Barrat, “le plus important reste de proposer des alternatives à la population” . “Si informer et prévenir le consommateur que son comportement à risque est néfaste pour sa santé” reste une étape capitale, “le faire culpabiliser sans apporter de solution n’a aucun sens” .

Laurent Barrat est expert en intelligence économique. Il est co-auteur du livre Globésité, la grande désinformation de l’industrie agroalimentaire (Va Editions, paru en 2017).

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