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Culture : en Europe, les femmes en nombre restent dans l'ombre

Si plusieurs affaires de violences sexuelles ont récemment éclaboussé le monde de la culture et amorcé un changement de mentalité, les inégalités demeurent entre les hommes et les femmes. Bien qu’elles soient majoritaires dans le secteur, ces dernières sont sous-représentées dans les postes à responsabilité, mais aussi moins exposées médiatiquement et moins bien rémunérées.

En 2018, la britannique Anna Calvi (ici lors d'un concert en 2015) était l'une des seules artistes féminines têtes d'affiche du festival Rock en Seine à Paris
En 2018, la britannique Anna Calvi (ici lors d’un concert en 2015) était l’une des seules artistes féminines têtes d’affiche du festival Rock en Seine à Paris - Crédits : Thesupermat - wikimediacommons CC-BY-SA_4.0

Le 5 janvier 2016, le festival international de la bande dessinée d’Angoulême dévoilait la liste des 30 nommés pour son prestigieux Grand Prix, récompensant un auteur pour l’ensemble de son œuvre. Surprise : parmi les 30 prétendants, aucune prétendante. A l’époque, le collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme s’empresse de dénoncer, dans un communiqué, “cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes” . S’en suivra une pluie de critiques et la décision de certaines des stars du neuvième art tels que Riad Sattouf, Joann Sfar ou encore Etienne Davodeau de se retirer de la liste en signe de soutien.

Ce phénomène est loin de ne concerner que l’univers de la bande dessinée. A ce jour, Tonie Marshall reste toujours la seule femme à avoir remporté le convoité César de la meilleure réalisation (encore appelé César du meilleur réalisateur avant 2016) en 2000 pour son film Vénus Beauté. Un phénomène qui touche toute l’Europe. Le cinéma britannique n’est en effet pas en reste puisque sur les dix dernières années, seules 2 femmes figuraient parmi les 50 nommés pour le BAFTA de la meilleure réalisation.

Des femmes pourtant majoritaires dans le monde de la culture

Une étude réalisée par le European Expert Network on Culture and Audiovisual (EENCA) et financée par l’UE liste cinq inégalités typiques du milieu de la culture : les stéréotypes de genre, l’accès aux postes à responsabilité et aux processus décisionnels, l’accès aux ressources et les écarts de salaires, l’accès au marché du travail et enfin le harcèlement sexuel. Les auteurs tendent ainsi à démontrer que les inégalités entre les hommes et les femmes sont similaires d’un domaine artistique à l’autre.

Si les femmes se retrouvent minoritaires dans les palmarès ainsi que dans les postes à responsabilité, elles sont pourtant majoritaires dans les formations artistiques en France. Selon une étude publiée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2018, les femmes représentaient 52 % des étudiants du spectacle vivant en France. Or elles ne sont que 31 % des artistes dans le domaine. Pire encore elles ne comptaient que pour 11 % des artistes programmés et n’occupaient que 18 % des postes managériaux du secteur. Une dégradation qui se fait sentir dans les récompenses artistiques : depuis 1980, entre 4 et 12 % d’entre elles ont été remises à des artistes féminines, selon l’étude. Ce constat est d’ailleurs applicable au niveau du continent, selon une étude d’Eurostat menée dans les 27 Etats membres : près de deux tiers (63,6 %) des étudiants de l’enseignement supérieur dans des domaines liés à la culture étaient des femmes en 2018. Un chiffre qui grimpe à 66,4 % pour les études liées aux lettres et aux langues.

Cette sur-représentation des femmes dans les parcours culturels de l’enseignement supérieur ne se reflète pas totalement au niveau de l’emploi dans le secteur. En 2019, les femmes occupaient 47,7 % des emplois dans le domaine de la culture en Europe, selon Eurostat. Une proportion légèrement supérieure à celle observée tous secteurs économiques confondus cette année-là (45,9 %), mais qui cache toutefois d’importantes disparités entre les Etats membres. Si les pays baltes présentent les taux les plus élevés avec notamment un pic à 65 % en Lettonie, d’autres, principalement situés au sud du continent, peinent à dépasser la barre des 40 % comme l’Italie et l’Espagne (43 % chacun) ou encore Malte (42 %).

De la même façon, les femmes sont plus enclines à pâtir des difficultés rencontrées par les professionnels de la culture. Dans ce domaine, le travail indépendant et précaire est en effet plus répandu dans l’Union européenne que dans les autres secteurs d’activité : en 2019, 32 % des travailleurs étaient indépendants, soit deux fois le ratio observé pour le reste des travailleurs (14 %), tandis que seuls 75% des employés de la culture bénéficiaient d’un contrat à temps plein, contre 81 % pour les autres professions. Ces obstacles concernent plus particulièrement encore les femmes : seules 68% d’entre elles jouissent d’un contrat à temps plein, alors que 82 % de leurs collègues masculins en bénéficient. Si la Roumanie et la Bulgarie font figure d’exception avec des taux d’emploi à plein temps légèrement supérieurs pour les femmes, la Croatie, la Lettonie et la Lituanie présentent des scores identiques pour les deux genres, tandis que l’écart en faveur des hommes n’est que de 3 points au Portugal et en Grèce. L’Allemagne, l’Autriche, Malte et les Pays-Bas présentent en revanche des écarts supérieurs à 20 points en faveur des hommes.

La lecture, une activité culturelle plutôt féminine ?

En 2015, Eurostat publiait les résultats d’une enquête sur les habitudes culturelles des Européens. On y apprenait par exemple que 28 % des femmes s’étaient rendues au moins trois fois au cinéma durant les 12 mois précédents, contre 27,1 % des hommes. Si pour la plupart des pratiques mentionnées, l’écart entre les genres est négligeable, ce n’est pas le cas d’une activité : la lecture.

Selon l’étude, 42 % des femmes déclaraient avoir lu au moins 5 livres au cours des 12 derniers mois contre 31 %, soit 11 points de plus que leurs homologues masculins. Certains pays présentent des écarts encore plus importants comme la Suède (respectivement 78 % et 54 %) ou les Pays-Bas (respectivement 66 % et 38 %).

Un phénomène qui touche l’ensemble des secteurs culturels

Ces réalités statistiques s’observent dans l’ensemble des secteurs culturels. Dans un manifeste publié en 2018, le projet Keychange, soutenu par le programme Europe Creative, soulignait les inégalités dans le domaine de la musique. Le réseau, engagé pour l’égalité des genres, relevait notamment que seuls 16 % des auteurs-compositeurs étaient des femmes. Une réalité qui a des conséquences sur les programmations des festivals. Longtemps critiqué pour son manque de diversité (82 % des têtes d’affiche depuis 2007 étaient des hommes), le festival de Glastonbury -un des plus importants du Royaume-Uni - avait annoncé une édition 2020 paritaire avec 52 % d’artistes féminines à l’affiche. Une occasion manquée pour le festival qui a dû être annulé en raison de la pandémie de Covid-19. Le même sort a été réservée à Rock en Seine à Paris, où la musicienne Anna Calvi figurait parmi les seules têtes d’affiche féminines de l’édition 2018.

L’index sur l’égalité des genres 2020

Chaque année, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes dévoile un index sur l’égalité des genres. Pour le construire, l’étude se base sur les écarts constatés dans six domaines : travail, argent, connaissance, pouvoir, santé. Actuellement à 67,9 points sur 100, ce dernier n’a augmenté que de 4,1 points depuis 2010 et de 0,5 point depuis 2017.

Dans le cinéma, les inégalités entre les hommes et les femmes ainsi que les violences inhérentes au milieu ont été mises en lumière depuis plusieurs années avec l’affaire Weinstein, évènement décisif dans l’explosion du mouvement #Metoo. Des pratiques qui expliquent en partie la faible proportion de femmes occupant des postes de productrices ou de réalisatrices. Ces dernières ne représentaient que 21 % de l’ensemble de la profession entre 2003 et 2017 selon un rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel publié en octobre 2019. De plus, une majorité d’entre elles ne comptent qu’un film au compteur durant cette période. Elles sont 213 à atteindre la barre des 6 films réalisés, tandis que 2150 hommes peuvent se targuer d’une telle prouesse.

Nombre de réalisateurs par nombre de films (2003-2017) - Source : Observatoire européen de l’audiovisuel

Je n’ai pas eu beaucoup de modèles féminins dans la Bande dessinée” , concédait l’auteure Marion Montaigne au micro de France Inter en janvier 2020. “La prise de conscience des inégalités entre auteurs et autrices a été tardive dans le secteur de la bande dessinée, mais elle a fait l’objet d’une prise de conscience forte depuis quelques années” , explique le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ajoutant que l’écart de rémunération entre les sexes était de 43 % en défaveur des femmes en France en 2014, l’un des plus importants tous arts confondus.

Les ambitions européennes en matière de lutte contre les inégalités

En mars 2020, la Commission européenne a présenté sa “stratégie en faveur de l’égalité hommes-femmes 2020-2025” , fil conducteur des actions de l’UE en matière de lutte pour l’égalité entre les genres. Parmi les objectifs poursuivis se trouvent : mettre un terme aux violences sexistes, combattre les préjugés sexistes, la réduction des écarts sur le marché du travail ou encore atteindre un équilibre entre hommes et femmes en matière de prise de décision et dans le domaine politique.

Le 5 mars 2021, elle publiait également son rapport annuel sur l’égalité des genres dans l’UE.

Dans son “programme de travail pour la culture 2019-2022″ , l’exécutif européen reconnait que l’égalité des genres est un pilier de la diversité culturelle et dresse des recommandations pour la promouvoir.
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