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Catherine de Wenden : “Aujourd’hui une grande partie de la politique migratoire en Europe est définie en termes sécuritaires”

Absence de moyens de l’agence européenne Frontex, carences des accords de Schengen, manque de cohésion, depuis le drame de Lampedusa les critiques tombent en rafale. La politique d’asile et d’immigration de l’UE poursuit-elle toujours les mêmes objectifs depuis la mise en place des accords de Schengen ? Peut-on éviter de nouveaux drames humains ? Le point avec Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS (CERI), docteur en science politique (Institut d’études politiques de Paris), spécialiste des migrations internationales.

Catherine de Wengen

Comment jugez-vous la façon dont la question de la politique européenne d’immigration et d’asile a été traitée lors du dernier sommet européen ?

La réponse essentielle a été sécuritaire. D’une part, il faut renforcer les moyens de Frontex et d’autre part partager le fardeau entre les pays européens pour faire le tri entre les demandeurs d’asile parmi ceux qui entrent, ceux qui vont rester sans papiers et ceux qui vont être accueillis à titre humanitaire.

Ce n’est pas une réponse très positive de la part de l’Europe, qui en même temps tire un profit de l’immigration économiquement et qui s’en sortirait encore mieux si elle avait une immigration plus ouverte, plus fluide entre les deux rives de la Méditerranée.

L’Union européenne peut-elle faire en sorte d’éviter des drames comme celui de Lampedusa ?

D’une part, même si ce n’est pas la solution, on pourrait éviter certains drames si le passage se faisait librement et si le “tri” était réalisé à l’accueil comme c’était le cas aux Etats-Unis dans les années 1880 jusqu’en 1924.

La solution serait plutôt du côté de l’ouverture d’autres filières de l’immigration et de la légalisation des secteurs qui permettent à plus de personnes d’entrer par des voies légales et non pas par le biais des passeurs. C’est la première voie.

Deuxièmement, il faudrait permettre à plus de catégories de regroupement familial d’entrer. Beaucoup de personnes ont choisi la voix illégale parce qu’ils n’ont pas réussi à entrer légalement compte tenu des critères du regroupement familial qui ont été durcis.

Enfin, le droit d’asile aujourd’hui est très frileux dans la plupart des pays européens. S’il y avait plus d’individus qui avaient la chance d’obtenir l’asile, ils seraient moins nombreux à être reconduits chez eux parce qu’on considère qu’ils ne sont pas candidats à l’asile.

Si on légalisait davantage l’immigration, considérée pour l’instant irrégulière, il y aurait moins de filières de passage.

La politique d’asile et d’immigration de l’UE poursuit-elle toujours les mêmes objectifs depuis la mise en place des accords de Schengen ?

Non. On l’oublie souvent, l’objectif initial des accords de Schengen c’était la liberté de circulation intra-européenne. Cette liberté existe mais elle n’est pas très élevée. Il y a actuellement 8 à 10% d’Européens qui travaillent, s’installent, dans l’UE et profitent économiquement de la citoyenneté européenne. Jusqu’en 2004, il n’y avait que 3% des citoyens qui travaillaient dans un autre pays européen que le leur. Il y a donc une légère amélioration avec l’entrée des pays de l’Est dans l’Union européenne mais elle n’est pas considérable.

D’autre part, la dimension sécuritaire s’est renforcée au cours des années 90. Aujourd’hui une grande partie de la politique migratoire en Europe est définie en terme sécuritaire, ce qui n’était ni le cas dans la période des années 60, avec la liberté de circulation des travailleurs en 1968 à l’intérieur de l’UE, ni le cas au moment de l’élaboration des accords de Schengen en 1985.

Aujourd’hui, cette politique remplit-elle ses objectifs ?

Non, car elle est complètement crispée sur la dimension sécuritaire du contrôle des frontières, de la militarisation des points de passage et de la lutte contre l’immigration clandestine qui n’est qu’un seul aspect de la politique d’immigration en Europe. Car il y a tout le reste : fournir la main d’œuvre dont l’économie européenne a besoin, équilibrer dans de meilleures conditions la situation démographique, respecter les droits de l’Homme et sécuriser le parcours des migrants.

Cette politique a pris cette tournure parce que l’opinion publique, qui s’exprime à travers notamment l’extrême droite, a mis en priorité la question sécuritaire au centre de la politique migratoire.

Les Etats ont prévu de se retrouver après les élections européennes de mai 2014 pour avancer sur la politique d’immigration et d’asile : que peut-on en attendre ?

On n’arrêtera pas le flux d’immigration simplement avec une décision sécuritaire.
Je crains qu’il y ait d’autres “Lampedusa” . Il ne faut pas oublier tous les autres drames dans le passé, il y a eu une quinzaine de milliers de morts en 10 ans en Méditerranée.

Il faut plutôt prendre en compte le fait que l’Europe est une grande destination de l’immigration et de faire en sorte que les choses se passent mieux pour que la migration soit davantage un facteur de développement pour l’Europe et donc permettre à plus de personnes d’entrer légalement pour mieux s’insérer dans les pays européens et sur le marché du travail.

Si le verdict sécuritaire est fort au lendemain des élections européennes, cela risque de conforter les décideurs européens de poursuivre une politique migratoire basée sur le volet sécuritaire.

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