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Anselm Kiefer, plasticien de la mémoire allemande

L’œuvre d’Anselm Kiefer, peintre, sculpteur et plasticien, est imposante, quasi intimidante et profondément ancrée dans l’histoire de l’Allemagne, son pays. Né quelques mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’artiste n’a de cesse de faire vivre la mémoire de ce passé tragique, de le questionner et de le représenter. Aujourd’hui âgé de 70 ans, Anselm Kiefer fait l’objet d’une exposition à la Bibliothèque François Mitterrand à Paris depuis le 20 octobre.

Anselm Kiefer

Contre le silence entourant le nazisme

Il n’y a pas de définition de l’art. L’art ne cesse d’osciller entre sa perte et sa renaissance. Il n’est jamais là où on l’attend, où on espère le saisir et, en me référant à l’évangile selon Saint-Jean, je dirais que là où il se trouve, nous ne pourrons jamais l’atteindre” . La (non)définition de l’art, proposée par Anselm Kiefer devant le Collège de France en 2010, correspond, au fond, également bien à l’intéressé. Homme discret au regard perçant et chez qui seules quelques tâches sur le sommet du crâne viennent indiquer un début de vieillesse, il paraît insaisissable, comme toujours plus ou moins absorbé par son travail même lorsqu’il se trouve éloigné de son atelier.

Il existe toutefois des thèmes bien identifiables et une continuité certaine dans l’œuvre d’Anselm Kiefer. La première étant l’influence de l’histoire et de la culture allemande. Né dans la petite ville de Donaueschingen, située au cœur de la Forêt noire, près des frontières française et suisse, en mars 1945, il s’est trouvé imprégné dans son époque. Survivant des bombardements qui ont ravagé sa région du Bade-Wurtemberg, rapidement attiré par les beaux-arts après de courtes études de droit et de littérature, Anselm Kiefer s’est construit dans le rejet du silence entourant le nazisme au sortir de la guerre.

Ce fut même son premier fait d’armes artistique quand, en 1969, il a sillonné l’Europe pour se photographier en faisant le salut nazi. Une provocation visant à alerter la société sur le devoir de mémoire. “Ma biographie est la biographie de l’Allemagne” , dira-t-il plus tard. Margarete, l’une de ses peintures les plus célèbres, réalisée en 1981, illustre parfaitement cette omniprésence de l’Histoire dans son œuvre. Le tableau s’inspire en effet du poème La Fugue de la mort, du poète juif allemand Paul Celan qui y parle de son expérience des camps de concentration, et représente “la fixation des Nazis pour le sang et le sol” , comme l’a expliqué Michael Prodger dans les colonnes du Guardian. Plus généralement, au cours de sa carrière, Anselm Kiefer s’intéressera également aux mythes et événements fondateurs allemands, dont certains ont été exploités par le nazisme.

'Margarete' (1981) d'Anselm Kiefer

Sculpteur de matière

Sur les thèmes, mais aussi, et peut-être surtout, sur la forme, Anselm Kiefer aura été fortement influencé par le sculpteur Joseph Beuys, d’une vingtaine d’années son aîné, et rencontré à l’académie de Düsseldorf en 1970. Singulier personnage, figure controversée et engagée, ancien pilote de la Luftwaffe et membre éminent de l’art contemporain allemand de l’après-guerre, Beuys initiera Kiefer à l’art total et à l’utilisation de matériaux en tout genre, notamment organiques.

Une influence dont Anselm Kiefer ne s’écartera jamais. Pour lui, le sable, la terre, la suie, la salive, les cendres, la craie, les cheveux ou encore le plomb - incontournable dans son œuvre - seront des matières premières aussi importantes et complémentaires que son environnement historique et culturel. Et de cette matière vivante - Kiefer laisse délibérément certaines œuvres changer au contact de l’air et du temps - jaillira la couleur qui, à première vue, est plutôt absente de ses peintures et sculptures souvent sombres. “Plus vous restez devant mes tableaux, plus vous découvrez les couleurs” , explique-t-il. “Au premier coup d’œil, on a l’impression que mes tableaux sont gris mais en faisant plus attention, on remarque que je travaille avec la matière qui apporte la couleur” .

Que ce soit à La Ribaute, dans le Gard, où il a réhabilité une friche industrielle, ou à Croissy-Beaubourg près de Pairs, où il occupe un ancien entrepôt de 36 000 mètres carrés ayant appartenu à la Samaritaine, Anselm Kiefer ne manque pas d’espace pour laisser libre court à son inspiration. Certaines de ses créations sont d’ailleurs monumentales, comme le Jericho Installation, deux tours de cubes blancs en béton armé de plusieurs mètres de haut, ou encore Le Langage des oiseaux, impressionnante sculpture bâtie en 2013 de 3,25 sur 4,75 mètres et représentant des livres en plomb essayant de prendre leur envol en déployant de larges ailes.

Je n’ai foi que dans l’art, sans lui je suis perdu

A Paris, depuis le 20 octobre à la Bibliothèque François Mitterrand (BNF), Anselm Kiefer expose d’ailleurs ses nombreuses autres sculptures de livres, en argile, sable, cendre, cheveux, plantes, paille, photos et, donc, en plomb. Un tel angle pour aborder la carrière de l’artiste allemand est une première dans le monde et vise à mettre en évidence “combien l’écrit est au centre de son œuvre et comment les références littéraires, philosophiques et historiques irriguent son art” , peut-on lire sur le site de la BNF. De fait, outre Paul Celan, Anselm Kiefer s’est énormément inspiré des écrits de Robert Fludd, médecin, physicien et mystique anglais du XVIe siècle, ou encore de la Kabbale, et a dédié des œuvres aux poètes Velimir Khlebnikov et Ingeborg Bachmann, ayant tous deux travaillé sur la linguistique.

Trois raisons d’aller voir la nouvelle exposition d’Anselm Kiefer à la BNF, par Marie Minssieux-Chamonard, commissaire de l’exposition et conservatrice à la BNF - 28 minutes d’Arte (1’25)


Artiste réputé et reconnu, Anselm Kiefer fera également l’objet d’une rétrospective, à partir du 16 décembre, au Centre Pompidou. Récipiendaire de nombreux prix et hommages, il a enseigné à la chaire de “création artistique” du Collège de France pendant l’année 2011. Une “discipline” qui semble en effet lui correspondre à la perfection. “Je n’ai foi que dans l’art, sans lui je suis perdu. Il m’est impossible de vivre sans poème et sans tableau. Non seulement parce que je ne sais rien faire d’autre, parce que je n’ai rien appris d’autre, mais aussi pour des raisons quasi-ontologiques” , a-t-il déclaré lors de sa première intervention, de sa voix lente et teintée d’un accent allemand que plus de vingt années en France n’ont pas entièrement gommé.

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

L'Européen du mois - 28 minutes

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