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William Shakespeare, un Européen avant l’heure ?

La légende de William Shakespeare, probablement le plus grand auteur de l’histoire britannique, dont on célèbre les 400 ans de la mort cette année, est éternelle. Roméo et Juliette, Macbeth, Hamlet, Othello : autant de pièces et de personnages qui ont, aujourd’hui encore, une signification mondiale. Pourtant, la vie du Barde reste sujette à caution et les théories autour de son identité continuent de s’affronter. Et si le dramaturge était en fait avant tout un Européen avant l’heure, qui se serait inspiré de son histoire, de ses cultures et de ses lieux pour construire et nourrir son œuvre ?

William Shakespeare

De Stratford-upon-Avon à Balzac

William Shakespeare était-il bien le bourgeois de Stratford-upon-Avon, petite ville des Midlands située non loin de Birmingham, comme le veut sa biographie officielle ? Personnage-monstre, monument de l’histoire et de la culture britannique, le Barde - comme il est surnommé - est mondialement connu, constamment adapté et interprété sur les cinq continents. Toutefois, son œuvre riche et disparate, le manque de vestiges matériels de son travail et le flou entourant certains passages de sa vie, ont pu jeter le trouble sur son identité, par essence difficilement définissable.

Doute qui est né au milieu du XIXe siècle, “en même temps que la mode pour les romans policiers et la montée du scepticisme religieux” , note Stanley Wells, professeur d’études shakespeariennes à l’université de Birmingham dans Le Monde. Il a d’ailleurs été propagé par d’illustres personnalités, comme l’écrivain Henry James, ou le psychanalyste Sigmund Freud, dont les livres ont eux-mêmes été influencés par Shakespeare. D’une manière générale, les sceptiques de la biographie du dramaturge mettent en avant ses origines ordinaires, son éducation limitée et ses voyages inexistants. Pur “snobisme” pour Stanley Wells.

L’auteur de Richard III aurait en effet tout simplement appris l’histoire grecque et romaine à l’école, se serait inspiré de Plutarque, Montaigne ou encore Ovide pour réfléchir respectivement à la politique, la philosophie et la poésie, et se serait épanoui à Londres à une époque où le théâtre, pourtant considéré comme immoral, foisonnait. Comme ses pairs, il aurait alors largement travaillé en collaboration, reprenant à son compte éléments historiques ou histoires déjà existantes pour les sublimer. Hamlet par exemple serait d’abord le fruit du travail du dramaturge Thomas Kyd, sur lequel Shakespeare aurait ensuite apporté “une réflexion philosophique, et des prolongements humains que n’avait pas la pièce originale” , selon l’écrivain Claude Mourthé, auteur d’une biographie de Shakespeare.

Adaptation cinématographique de Macbeth en 2015 avec Michael Fassbender et Marion Cotillard

Quant à l’idée selon laquelle Shakespeare serait une création issue de l’impérialisme britannique à une époque où le pays se devait d’adjoindre la culture à sa domination commerciale, les experts la battent majoritairement en brèche. De fait, comme le rappelle Aneta Mancewicz, professeur à l’université Kingston de Londres, Shakespeare a connu un succès quasiment immédiat en Europe. “Des troupes anglaises ont parcouru des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la France, le Danemark, l’Estonie, la Pologne, la République tchèque ou la Russie pour jouer ses pièces, s’adaptant aux pays et aux audiences” , décline-t-elle. Et son premier pic de notoriété intervient à la fin du XVIIIe siècle : “alors que ses pièces ont été utilisées comme des manifestes esthétiques et politiques, Shakespeare a été approprié comme un auteur canonique dans diverses régions et traditions européennes” , explique-t-elle encore.

Une pièce comme Hamlet eut ainsi un retentissement immense en Allemagne, où Goethe a décrit le personnage éponyme comme “une nature aimable pure, noble et morale” . Le poète allemand Freiligrath, va même jusqu’à déclarer en 1844 qu’Hamletest l’Allemagne” . Même son de cloche pour le dramaturge polonais Wyspianski en 1905, selon qui “le puzzle d’Hamlet est ce que l’on peut penser de la Pologne” . Dans un pays comme la France, l’auteur de Macbeth fut largement relayé par Voltaire, avant d’être une source d’inspiration importante pour Balzac dont Le Père Goriot est proche du Roi Lear.

Toute l’Europe sur les planches du Globe Theatre

Naturellement, si l’aura de Shakespeare est telle en Europe et ailleurs dans le monde, c’est certainement parce que son œuvre “ne puise pas uniquement dans la culture britannique, mais s’inscrit bien plus largement dans un contexte européen” , nous dit Pierre Kapitaniak, maître de conférence à Paris VIII et codirecteur de l’ouvrage Shakespeare et l’Europe de la Renaissance en 2004. “L’une des manifestations les plus visibles de ces échanges est la représentation des autres pays européens dans des pièces dont l’action se déroule en Espagne, en Italie, en Autriche ou en France, et les stéréotypes nationaux qui s’y attachent” , précise Pierre Kapitaniak.

En effet, depuis les quartiers de Shoreditch, à l’est de Londres, puis de Southwark au sud de la Tamise où se situe le fameux Globe Theatre, c’est toute l’Europe qui défile sur les planches grâce aux vers de Shakespeare. Le Danemark avec Hamlet, la Rome antique avec Jules César, les Highlands écossais et leur atmosphère brumeuse avec Macbeth, Athènes avec Le Songe d’une nuit d’été, Vérone avec Roméo et Juliette, ou encore Messine avec Beaucoup de bruit pour rien.

Le Globe Theatre, reconstruit à l'identique à Londres, vu de l'intérieur

Certains lieux serviront également de paraboles pour dépeindre la ville de Londres. C’est le cas de la Cité des Doges avec Le Marchand de Venise, qui fascine alors les Britanniques pour sa prospérité et son ouverture sur le monde, notamment grâce à sa puissance navale. Une internationalisation que s’apprête à suivre l’Angleterre élisabéthaine. Sous un jour moins lumineux, on pourra aussi citer Vienne avec la pièce moins connue Mesure pour mesure, où se côtoient des antihéros dans des ruelles sombres et malfamées parsemées de bordels. Le Londres du début de la fin XVIe et du début XVIIe ne devait pas être différente, particulièrement à la lisière de la Cité, où se situaient justement les théâtres.

On ne peut plus ignorer le fait que les pièces de Shakespeare ne sont plus exclusivement anglaises, car depuis quatre siècles, elles ont été adaptées et adoptées par de nombreuses cultures. Eléments de l’héritage mondial, elles sont devenues allemandes, italiennes, roumaines, espagnoles, polonaises…” , conclut Aneta Mancewicz. Richard Wilson, également professeur à l’université Kingston confirme : “c’est en devenant Européen que [Shakespeare] a accédé au statut d’auteur universel” .

Tellement universel, européen et avant-gardiste que William Shakespeare pourrait même être une source d’éclairage dans l’actuelle crise des réfugiés. “Imaginez le spectacle de ces malheureux étrangers / Les bébés sur le dos, avec leur misérable baluchon / Marchant péniblement vers les portes et les côtes pour être déportés” , écrivait-il en effet dans Thomas More vers 1600 pour parler de l’arrivée massive d’Italiens pendant le règne d’Henry VIII en 1517 et alors que des Huguenots se pressaient en Angleterre au moment où la pièce, dont il n’est pas l’auteur principal, fut écrite, explique The Guardian. Et Shakespeare d’en appeler à la compassion et l’empathie, afin d’éviter que ne se produise ce qu’il appelait une “inhumanité montagneuse” .

William Shakespeare, toujours vivant - 28 minutes - Arte

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

L'Européen du mois - 28 minutes

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