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Frans de Waal, le Néerlandais qui observe les singes pour comprendre les hommes

Dans son genre, Frans de Waal est un révolutionnaire. Psychologue, primatologue, éthologue : le Néerlandais de 67 ans, qui travaille à l’université Emery d’Atlanta, s’emploie depuis plusieurs décennies à chambouler les certitudes de la science concernant les animaux, leurs émotions et leur “moralité”. D’abord accueillis avec le plus grand scepticisme, ses travaux font aujourd’hui autorité et éclairent d’un jour nouveau le comportement des hommes. Pour l’auteur du “Singe en nous”, les humains doivent autant aux chimpanzés qu’aux bonobos, étant capables aussi bien de brutalité que d’empathie.

Frans de Waal

L’Âge de l’empathie*

Cela n’a pas toujours été le cas, mais Frans de Waal n’a aujourd’hui plus à se battre pour prouver le bien-fondé de ses recherches. “Prêter aux animaux la capacité de ressentir des émotions humaines a longtemps été un tabou scientifique” , reconnaît-il volontiers. “Mais si nous ne le faisons pas, nous risquons de rater quelque chose de fondamental, à la fois chez les animaux et chez nous” , poursuit-il. Depuis ses études et ses premiers travaux aux Pays-Bas jusqu’à l’université Emery d’Atlanta où il est aujourd’hui professeur, montrer que l’homme n’est pas un mammifère si singulier aura été le fil conducteur de sa carrière.

Comme il l’explique souvent au gré des interviews qu’il accorde, l’idée de s’intéresser à l’empathie que pouvaient ressentir les primates est née de l’observation… des jeunes enfants faite par la chercheuse Carolyn Zahn-Waxler. “Elle décrivait, chez des petits de moins de deux ans, des comportements extrêmement similaires à ceux que j’avais observés : spontanément, ils embrassaient leurs proches mal en point, leur demandaient comme ils allaient” , raconte Frans de Waal. Avant de préciser que, selon lui, “l’empathie est apparue dans l’évolution avant l’arrivée des primates : elle est caractéristique de tous les mammifères et elle découle des soins maternels” . Les mères devant être à même de ressentir les émotions de leur progéniture pour s’en occuper et assurer leur survie.

https://youtube.com/watch?v=FxMs9uQJUOA

Les tests menés par le chercheur néerlandais et ses collaborateurs sont innombrables et ne donnent pas les mêmes résultats suivant les espèces de grands singes. A cet égard, les bonobos apparaissent comme les animaux doués de la plus forte sensibilité aux émotions de leurs semblables. Au point que leur est associé le slogan antimilitariste des années 1960 “Faites l’amour, pas la guerre” , en raison de leur recours aux relations sexuelles comme moyen de réconciliation après un différend. Mais si les chimpanzés, l’autre espèce étudiée avec la plus grande attention par Frans de Waal, sont souvent présentés comme brutaux, la capacité d’empathie ne leur est également pas étrangère. En atteste l’anecdote racontée par le primatologue à un blog scientifique américain selon laquelle une vieille femelle chimpanzé atteinte d’arthrite se faisait apporter de l’eau de la rivière par ses congénères.

Dans la même mouvance, les recherches conduites par Frans de Waal et ses collègues de l’université Emery concernant les capacités des grands singes à s’organiser et coopérer entre eux proposent des résultats fascinants. Une expérience, que relate le site Pour la Science, a par exemple mis en évidence que les chimpanzés ont non seulement été capables d’élaborer une stratégie collaborative pour accéder à leur nourriture, mais ont de surcroît privilégié cette solution coopérative à une forme de compétition, dans cinq cas sur six. Peut-être plus intéressant encore, le chapardage de la nourriture obtenue par d’autres chimpanzés a été réprimé par le groupe, par la force ou la mise à l’écart. “Notre étude est la première à montrer que nos cousins les plus proches savent très bien comment dissuader la compétition et le vol” , s’enorgueillit Frans de Waal.

Chimpanzés

La Politique du chimpanzé*

Et ce dernier est loin de sous-estimer la portée sociologique et politique de son travail. L’œil malicieux, ses lunettes rectangulaires sur le nez, arborant parfois une fine moustache et les cheveux blanchissant, Frans de Waal, qui ne fait pas son âge et communique un enthousiasme impressionnant, est sûr de son fait. Curieux des autres disciplines scientifiques et suivant l’actualité de près, il rejette la distinction, faite par la psychologie, la philosophie et la théologie, entre les animaux et les hommes. Les psychologues “ont d’abord dit que la spécificité de l’homme tenait à l’usage des outils, puis à la culture… Au fur et à mesure que leurs arguments tombent, ils en proposent d’autres. Mais je ne pense pas qu’ils trouveront” , assène-t-il. “Parce que toutes les grandes capacités, comme la moralité, se divisent en petites capacités, présentes chez les animaux” .

Pas toujours tendre avec les Etats-Unis, sa patrie d’adoption, sur la question du créationnisme, à laquelle il est souvent confronté, Frans de Waal raille les contradictions des défenseurs de cette thèse. Ces derniers réfutent les théories de l’évolution telles que développées par Darwin, mais sont en revanche souvent les premiers à se réclamer de la nature pour justifier la nécessaire compétition entre les hommes au sein de la société : “ils vont toujours dans le sens qui les arrange” , explique-t-il. Or selon lui “l’ennemi de la science n’est pas la religion : le véritable ennemi est la substitution de la pensée, de la réflexion et de la curiosité par le dogme” .

Interrogé en mai dernier par le Washington Post sur Donald Trump, candidat des Républicains pour la Maison blanche, qui agirait de manière comparable au mâle dominant chez les chimpanzés avec une attitude agressive, vantarde et insultante, Frans de Waal, ironique, rappelle que ce n’est pas nécessairement l’individu le plus fort physiquement qui devient le leader chez les grands singes. Au contraire, le mâle dominant chez les chimpanzés peut acquérir cette place par la “tactique” , en réussissant à “passer des alliances avec d’autres mâles ainsi qu’avec des femmes du groupe” . A cet égard, Frans de Waal ne donne pas cher de la peau du magnat de l’immobilier et de la finance s’il décide de conserver une posture brutale avec Hillary Clinton. Une telle stratégie dirigée contre une femme serait immédiatement et massivement contestée par les Américaines, estime-t-il, comme c’est le cas chez les femelles chimpanzés, qui se montrent solidaires en cas de violence des mâles à leur encontre.

Se présentant comme un “véritable Européen” , malgré de nombreuses années passées outre-Atlantique, Frans de Waal garde un œil attentif à l’actualité du Vieux Continent. Il déplore par exemple le fait que les Britanniques aient réduit l’idée d’Europe à “de la comptabilité : combien mettons-nous au pot et combien recevons-nous. Le bazar qu’ils ont créé est immense” , constate-t-il. Quant à son pays natal, il dit y retourner souvent, notamment à Utrecht, une ville où il peut tranquillement faire du vélo, “une forme supérieure de transport” . Scientifique expatrié dans le sud-est américain, passant sa vie à observer les grands singes, il n’a donc pas oublié qu’il était Néerlandais.

*Titres d’ouvrages écrits par Frans de Waal

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

L'Européen du mois - 28 minutes

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