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Esther Benbassa, une citoyenne du monde au Sénat

Esther Benbassa, sénatrice écologiste depuis 2011, n’est pas une professionnelle de la politique. Universitaire de carrière, elle est spécialiste de l’histoire du judaïsme, entre autres sujets de recherche. Au sein de la Chambre haute française, elle n’hésite pas à faire valoir son originalité et, avec une verve certaine, défendre des causes progressistes comme les droits des homosexuels, la dépénalisation du racolage ou encore de la consommation de cannabis. Trinationale, elle donne des cours partout en Europe et dans le monde et se définit elle-même comme une “cosmopolite” qui dénote dans un microcosme “d’hommes blancs d’un certain âge”.

Esther Benbassa

Esther Benbassa ne pouvait être qu’une élue d’Europe Ecologie-Les Verts. Son parcours intellectuel est remarquable, son engagement progressiste est incontestable et, atout non négligeable, elle a le verbe haut. Comme nombre de ses collègues écologistes, celle qui est sénatrice depuis 2011 n’est pas issue du sérail politique. Elle s’en défend même, cultive son indépendance et conserve ses activités universitaires au sein de l’Ecole pratique des hautes études, où elle est titulaire de la chaire d’histoire du judaïsme moderne. Un poste qui, avant elle, n’avait jamais été occupé par une femme, de surcroît laïque.

Au Sénat, la présence d’Esther Benbassa ne peut passer inaperçue. Tout d’abord d’un point de vue visuel. Sa chevelure rouge, à la coupe aléatoire et volontiers excentrique, ainsi que ses bijoux, que des mauvaises langues pourraient dire qu’ils sont ceux d’une soixante-huitarde baba-cool, se repèrent aisément dans un hémicycle composé plus que majoritairement par “des hommes blancs d’un certain âge ayant les mêmes diplômes” . Sur le plan des idées et des discours ensuite. Esther Benbassa est une grande oratrice et, à la manière d’un Daniel Cohn-Bendit, elle n’hésite pas à apostropher et provoquer ses collègues habitués à l’atmosphère feutrée, pour ne pas dire austère, du Palais du Luxembourg.

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Et c’est sans circonvolutions que la néo-sénatrice a pris les questions de sociétés à bras-le-corps dès son entrée en fonction. Quelques jours avant Christiane Taubira, elle dépose une proposition de loi sur le mariage pour tous. En 2012 toujours, elle s’attaque à l’abrogation du délit de racolage public. L’année suivante, c’est sur l’instauration d’un droit de recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, ainsi que sur la protection de l’identité de genre, qu’elle interpelle le Sénat. Et, plus récemment - et la liste n’est pas exhaustive - Esther Benbassa a plaidé en faveur d’un usage contrôlé du cannabis : “une initiative [qui] n’est pas sortie de la tête embrumée - ou enfumée - d’une écologiste présumée amatrice de joints, comme le voudraient certains clichés” , a-t-elle précisé durant l’examen du projet de loi en février dernier.

Les combats d’Esther Benbassa sont hétéroclites, mais ont en commun de défendre les libertés individuelles et de souvent obtenir une fin de non-recevoir. Pas vraiment en phase avec la politique politicienne, son mandat de sénatrice est un moyen, temporaire, pour elle de prolonger son engagement. Elle présente la Chambre haute française comme “une bonne maison” , où “la violence est courtoise” . “On se fait poignarder avec le sourire” , ajoute-t-elle à moitié amusée. Mais à l’écouter, le jeu en vaut néanmoins la chandelle, car Esther Benbassa ne minimise pas son opportunité de servir ses électeurs. “Faire le bonheur des gens, c’est un bien grand mot, mais oui, d’une certaine façon, être à leur écoute, en empathie, c’est déjà pas mal” , explique-t-elle entre deux sessions.

Evidemment, Mme Benbassa ne s’est pas fait que des amis depuis 2011. Certains sont évidents et elle pourrait presque s’en enorgueillir tant il s’agit des ennemis traditionnels des Verts et des intellectuels de gauche en général. Il s’agit évidemment du Front national et notamment du sénateur David Rachline, élu du Var, vent debout contre ses propositions de lois, et à qui elle a refusé de serrer la main. “C’est un parti qui déteste ce que je suis, c’est un parti qui est contre le vivre ensemble (…). C’est un parti qui a ses racines dans les ligues antisémites du XIXe siècle et on ne va pas me dire qu’au nom de la démocratie je dois lui serrer la main” , déclarera-t-elle à propos de l’incident à BFM TV.
En revanche, d’autres inimitiés sont plus surprenantes, comme celle de Malika Sorel-Sutter par exemple. Dans les colonnes de Marianne, l’essayiste et ancienne membre du Haut conseil à l’intégration - dissous en 2012 par François Hollande - a en effet vivement vilipendé, fin 2014, le rapport qu’elle a élaboré avec Jean-René Lecerf, sénateur UMP, intitulé La lutte contre les discriminations : de l’incantation à l’action. Un rapport qualifié par Malika Sorel-Sutter de “naïf” et “dangereux pour la paix” : “en creux, un réquisitoire contre la France et sa république” .

Dangereuse pour la paix, Esther Benbassa ne l’est certainement pas. Son parcours personnel, professionnel et universitaire indique plutôt le contraire. Née à Istanbul il y a 65 ans, elle a immigré en Israël en 1965, puis en France en 1972, où elle fut rapidement naturalisée, faisant d’elle une trinationale. Polyglotte, citoyenne du monde - même si elle semble préférer le terme “cosmopolite” - Esther Benbassa a étudié et enseigné à Paris et Jérusalem, et a été professeur invitée à Potsdam, Genève, Lausanne, Budapest ou encore New York.

Sa trajectoire ne la laisse naturellement pas insensible aux questions internationales. Même si au Sénat son engagement est davantage centré sur les enjeux de société, elle fait partie des groupes d’amitié France-Israël, France-Palestine et France-Turquie, et participe à la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. En mai 2014, à la veille des élections européennes, dans le Huffington Post, la sénatrice avait adressé un vibrant appel “à une désintoxication morale de l’Europe” .

Dans son billet, Esther Benbassa invoquait Stefan Zweig, un écrivain qui voyait l’Europe comme une communauté qui, une fois créée, serait “celle d’une nouvelle génération éduquée dès son jeune âge, sans haine, dans le respect des réalisations européennes communes” . C’était en 1932. Quelque 80 ans plus tard, si la communauté a bien été bâtie, l’Union européenne “n’a pas encore réussi à éradiquer la haine” , s’inquiète-t-elle.


Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE


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