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Vaccins contre le Covid-19 : quelle est la position de l’UE sur la levée des brevets ?

Comment accélérer la vaccination à l’échelle planétaire ? La question, qui divise les institutions européennes, est actuellement au cœur des débats. Levée des brevets, licences étatiques, partenariats avec les laboratoires ou encore dons des pays développés aux moins avancés, les options sont nombreuses. Elles seront évoquées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au cours du mois de juillet.

L'Union européenne, représentée à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), devra trouver un compromis avec les autres pays membres sur la propriété intellectuelle entourant les vaccins contre le Covid-29 - Crédits : diegograndi / Istock
L’Union européenne, représentée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), devra trouver un compromis avec les pays membres sur la propriété intellectuelle entourant les vaccins contre le Covid-19 - Crédits : diegograndi / iStock

Au 16 juin, plus de 2,3 milliards de doses de vaccin contre le Covid-19 ont été injectées dans le monde. Un chiffre encore éloigné des 11 milliards de doses jugées nécessaires pour immuniser deux tiers de la population de la planète d’ici à la fin de l’année 2022, comme s’y sont engagées les grandes puissances mondiales lors du G7 quelques jours plus tôt.

Pour y parvenir au plus vite, la meilleure solution consiste à la fois à accélérer la production de doses, mais aussi à mieux les répartir. Et pour cause, à l’heure actuelle, seuls 0,3 % des vaccins administrés l’ont été dans des pays à faible revenus. Face à ce constat, l’Inde et l’Afrique du Sud ont soulevé dès octobre 2020 une question devenue centrale dans la gestion planétaire de la pandémie : celle de la levée temporaire des brevets.

Qu’est-ce qu’un brevet ?

Selon l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, les brevets sont des normes juridiques de droit international défendant la propriété intellectuelle. Dans le cadre des vaccins contre le Covid-19, il s’agit de celle des laboratoires qui les ont conçus ainsi que les technologies nécessaires à leur élaboration. D’une durée de 20 ans, ils réservent le droit aux sociétés pharmaceutiques d’autoriser ou non d’autres acteurs à utiliser leur invention et leur savoir-faire, voire à exiger une rémunération en retour.

Destinés à rétribuer la recherche et l’innovation, les brevets peuvent être déposés sur tout type de technologie : ils peuvent porter sur la molécule elle-même (invention de produit), sur le procédé de fabrication (invention de procédé), sur l’indication du médicament (brevet d’application) et même sur les combinaisons de médicaments. Pour les vaccins à ARN messager développés par Pfizer/BioNTech et Moderna, on estime qu’il existe 80 à 100 brevets.

Qui a proposé de lever les brevets liés aux vaccins contre le Covid-19, et pourquoi ?

En octobre 2020, l’Afrique du Sud et l’Inde ont tout simplement proposé de supprimer temporairement les brevets déposés au sujet des vaccins contre le Covid-19, le temps que la pandémie prenne fin. Une proposition formulée dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), compétente en la matière. L’idée sous-jacente étant qu’en levant ces brevets et en poussant les laboratoires à divulguer leurs “secrets de fabrication”, les Etats, mais aussi les acteurs publics intéressés, seront à même de produire eux-mêmes les doses nécessaires pour une meilleure répartition entre pays et atteindre rapidement l’immunité collective. Cette possibilité est prévue par les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC en cas “d’urgence nationale” ou “d’autres circonstances d’extrême urgence”.

Le Kenya et l’Eswatini ont rapidement apporté leur soutien à la proposition des deux pays. Avant que les Etats-Unis ne les rejoignent le 5 mai dernier. Ce jour-là, la représentante pour le commerce de Washington Katherine Tai a ainsi affirmé : “Au service de la fin de cette pandémie, l’administration américaine soutient la renonciation à ces protections pour les vaccins Covid-19″. Une déclaration qui a fait l’effet d’une bombe, les Etats-Unis étant jusqu’ici très attachés à la défense de la propriété intellectuelle. Et ce tout particulièrement au sujet des vaccins contre le Covid-19, en partie élaborés par des laboratoires américains.

Quelle position la Commission européenne défend-elle sur le sujet ?

Le revirement opéré par la première puissance mondiale a entraîné de nombreuses réactions internationales. Si le gouvernement français s’est déclaré favorable à une levée des brevets après avoir été longtemps réservé sur le sujet, la Commission européenne s’est quant à elle montrée plus mesurée. Dans une proposition formulée le 4 juin, l’exécutif européen n’inclut pas la levée complète des brevets mais penche pour des solutions plus “pragmatiques et efficaces”, a résumé Ursula von der Leyen.

Bruxelles évoque ainsi la piste des licences, qui peuvent être “volontaires” (dans le cas où le laboratoire donne son accord) ou “obligatoires” (dans le cas où un Etat la décrète unilatéralement). Dans les deux cas, ce dispositif juridique de droit international permet à tout acteur de fabriquer, distribuer, importer et exporter le produit inventé par le titulaire du brevet. En échange de quoi le détenteur du brevet touche néanmoins une redevance.

Par exemple, si un laboratoire commercialise un vaccin à 5 euros la dose et se retrouve sous le coup d’une licence obligatoire française, la France est susceptible de le produire librement. Néanmoins, si elle écoule un million de doses, Paris devra reverser un pourcentage (négocié au préalable) du prix initial pour chaque dose distribuée. Il ne s’agit donc pas d’une levée des brevets au sens strict puisque le droit de la propriété intellectuelle sur le vaccin se monnaie. Ce système, inspiré d’une disposition du droit français prise en 1953, existe aujourd’hui dans 156 pays.

Et pourquoi s’oppose-t-elle à la levée des brevets ?

Pour la Commission européenne, la vraie question n’est pas de s’affranchir des règles de propriété intellectuelle, mais bien d’augmenter les capacités de production et de livraison. C’est la raison pour laquelle elle encourage notamment le recours aux licences volontaires, qui consistent pour un laboratoire à céder ses droits intellectuels sur une invention à un Etat contre rémunération. Soit exactement ce qu’AstraZeneca a déjà fait avec l’Inde. Les autres laboratoires s’y sont en revanche refusés jusqu’ici.

L’exécutif européen s’oppose à la levée des brevets en assurant que la solution, séduisante sur le papier, se heurterait à de nombreux obstacles. Tout d’abord, la levée des brevets doit être totale pour être efficace. Il serait, par exemple, inutile d’y parvenir sur la “formule” du vaccin à ARN messager tout en continuant à protéger ses techniques de production. Surtout, quand bien même la totalité du processus de production serait exemptée de droits, se poserait la question de l’accès aux matières premières rares nécessaires à la fabrication du produit. Si le monde entier venait à en commander, l’offre serait insuffisante pour satisfaire la demande. Il pourrait se produire une course aux matières premières, notamment sur les excipients lipidiques, les substances qui protègent l’ARN messager et lui permettent de rentrer dans nos cellules, ce qui impacterait très négativement la production globale.

Ces considérations n’ont pas empêché le Parlement européen de voter (malgré l’opposition de la droite) une résolution défendant la “levée temporaire des droits de propriétés intellectuelles sur les vaccins contre le Covid-19″. Un soutien explicite à une levée des brevets, qui vient donc en contradiction avec la position défendue par la Commission européenne, tout en rappelant que les licences obligatoires constituent un outil “essentiel” et intéressant.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Malgré les divergences observées entre le Parlement européen et la Commission sur le sujet, les Etats membres se sont tous rangés à la position de l’exécutif, comme en témoigne la décision du Conseil prise le 18 juin qui souligne le rôle majeur joué par la propriété intellectuelle. L’Union parlera donc d’une seule voix à l’OMC. Néanmoins, c’est donc au niveau mondial qu’il faut désormais trouver un compromis. L’Organisation mondiale du commerce a par ailleurs annoncé qu’elle fournirait un premier rapport sur l’avancée des discussions le 21 juillet prochain. Entretemps, ses membres se sont engagés à favoriser un accès mondial équitable aux technologies de lutte contre la pandémie.

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