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Ukraine 2014 : année zéro

Depuis novembre dernier, l’Ukraine est en proie à une grave crise politique, économique et sociétale. Le choix d’un rapprochement avec la Russie, aux dépens de l’Union européenne, a provoqué un mouvement contestataire ainsi que la chute du président Ianoukovitch. Après des semaines de chaos et l’annexion de la Crimée par la Russie, l’oligarque Petro Porochenko a été élu président. Fort de l’accord d’association signé avec l’UE, il aura l’immense mission de rétablir la stabilité du pays, d’assurer l’intégrité du territoire et de relancer une économie au bord du gouffre. Aucune de ces tâches n’étant possible sans une normalisation des relations avec Moscou.

L'Ukraine face à la contestation de sa population pro-russe

Un pays asphyxié entre deux modèles antagonistes

La crise ukrainienne, qui a éclaté en novembre dernier à la suite de la décision de Viktor Ianoukovitch, alors président, de ne pas ratifier l’accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne, a des origines anciennes. Depuis la chute de l’Union soviétique et la proclamation de son indépendance, le pays est tiraillé entre l’Europe et la Russie. Politiquement, le pays est divisé entre les partisans d’un rapprochement avec l’UE et la frange, majoritairement russophone, favorable à une coopération étroite avec la Russie. Economiquement, l’Ukraine connait des difficultés depuis plusieurs années, notamment en raison de l’ampleur de sa consommation énergétique et de son économie parallèle, évaluée entre 25 et 55 % du PIB selon les différentes sources.

Viktor Ianoukovitch

Viktor Ianoukovitch, président ukrainien de 2010 à 2014. Contesté pour son rapprochement avec la Russie et son exercice autoritaire du pouvoir, il est destitué le 22 février 2014.

Depuis 2010 et l’arrivée de Viktor Ianoukovitch au pouvoir, les problèmes politiques et économiques de l’Ukraine se sont intensifiés. Passée dans l’opposition après avoir été Premier ministre du précédent gouvernement issu de la révolution orange, Ioulia Timochenko a été reconnue coupable d’abus de pouvoir et condamnée à 7 années de prison. Un jugement considéré par une partie de la population et la communauté internationale comme politique et non fondé. L’affaire renforce de surcroit la fracture territoriale de l’Ukraine : l’est étant favorable à M. Ianoukovitch et l’ouest à Mme Timochenko. A cela s’ajoute que le pays est en proie à une situation économique catastrophique. Un prêt de 15 milliards de dollars du FMI, en contrepartie de réformes structurelles et d’une hausse du prix intérieur de l’énergie, est contracté puis gelé : le gouvernement ukrainien refusant de tenir ses engagements.

En 2013, l’Ukraine, au bord du gouffre sur le plan économique se trouve dans une position intenable. Dette et déficit atteignent des sommets : la consommation est atone, la facture énergétique est colossale, alors que les dépenses sociales, visant à calmer la colère du peuple, sont trop importantes. Viktor Ianoukovitch n’a d’autres choix que de signer un accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne ou de se rapprocher de la Russie et adhérer à son Union douanière. La première option est bénéfique sur le plan commercial, mais contraignante juridiquement : les valeurs et règles européennes s’imposeraient à l’Ukraine, alors que le gouvernement mène une politique autoritaire et clientéliste. La seconde permettrait au président d’obtenir un prêt de 15 milliards de dollars ainsi qu’un rabais conséquent sur ses importations de gaz en provenance de la Russie, sans autre contrepartie que de se mettre dans le giron de Moscou.

L’Ukraine, pièce maîtresse de la stratégie régionale de Vladimir Poutine

En effet, sous l’égide de Vladimir Poutine, au pouvoir en tant que président ou Premier ministre depuis 2000, la Russie cherche à rétablir son influence sur les territoires autrefois détenus par l’URSS. L’ambition du dirigeant russe est de contrer l’ambition européenne de créer un vaste accord de partenariat avec ces nouveaux Etats, à savoir la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, voire le Kazakhstan. Les trois pays baltes eux, sont intégrés à part entière à l’Union européenne dès 2004. Dès lors, la question de l’Ukraine, considérée comme le berceau de la civilisation russe, est cruciale. Pour Vladimir Poutine, le pays doit intégrer l’Union douanière mise sur place et à laquelle la Biélorussie, tenue d’une main de fer par Alexandre Loukachenko, et le Kazakhstan ont déjà adhéré. Le but étant également de constituer un mur stratégique face à l’occident et ses normes politiques, économiques et juridiques.

Ioulia Timochenko

Ioulia Timochenko, Premier ministre ukrainienne de janvier à septembre 2005, puis de décembre 2007 à mars 2010. Condamnée à 7 ans de prison pour abus de pouvoir, elle est libérée à la suite de la destitution du président Ianoukovitch en février 2014. En avril, elle est blanchie de son accusation.

En novembre, à quelques heures de la signature de l’accord d’association et de libre-échange avec Bruxelles, Viktor Ianoukovitch fait ainsi machine arrière. L’UE, qui a multiplié les exigences, notamment vis-à-vis de Ioulia Timochenko, a mal perçu la situation ukrainienne et sous-estimé le pouvoir d’influence de Vladimir Poutine sur Viktor Ianoukovitch, dirigeant naturellement plus tourné vers Moscou que l’Europe. La décision du gouvernement ukrainien va néanmoins être terriblement mal reçue par une partie importante de l’opinion, désireuse d’opérer ce tournant vers l’ouest. Les insurgés vont occuper la place de l’Indépendance de Kiev et faire l’objet d’une dure répression de la part du pouvoir. Suffisant pour attiser leur détermination et, in fine, renverser le régime. Le 22 février 2014, Viktor Ianoukovitch prend la fuite pour la Russie.

Profitant du chaos institutionnel qui en découle, la Russie favorise le soulèvement de la Crimée face au gouvernement provisoire ukrainien pro-européen. Le 16 mars, un référendum ne respectant pas les règles internationales en la matière est organisé, décidant à une écrasante majorité la sécession de la région et son rattachement à la Russie. Une véritable annexion naturellement dénoncée par Kiev ainsi que les pays occidentaux, Union européenne et Etats-Unis en tête, mais sans effet sur le gouvernement russe en dépit de la multiplication des sanctions économiques. Pour limiter le pouvoir de rétorsion occidental, le Kremlin peut notamment s’appuyer sur les divisions des 28 Etats membres de l’UE, certains ayant d’importants liens énergétiques avec la Russie.

La diplomatie européenne n’a plus le droit à l’erreur

Le 25 mai 2014, en parallèle des élections européennes, l’Ukraine procède à l’élection d’un nouveau chef de l’Etat. Le vainqueur du scrutin est Petro Porochenko, oligarque pro-européen à la tête de Roshen, grande entreprise de confiserie, qui a connu, au cours de l’année 2013, des mesures douanières restrictives de la part de la Russie. Si l’élection d’un nouveau président ne règle évidemment par les problèmes ukrainiens, il n’en reste pas moins que le gouvernement peut désormais s’appuyer sur une légitimité démocratique dans l’optique d’un apaisement des troubles entre les deux parties du pays. L’accord d’association et de libre-échange avec l’Union européenne est finalement signé le 27 juin, conférant à Petro Porochenko une dimension supplémentaire.

Petro Porochenko

Petro Porochenko, président de l’Ukraine depuis le 25 mai 2014. Dirigeant de l’entreprise de confiserie Roshen, il est partisan d’un rapprochement avec l’Union européenne. Sa fortune est estimée à 1,6 milliard de dollars.

Plusieurs accords de cessez-le-feu sont alors signés entre l’UE, la Russie, le gouvernement ukrainien et les dissidents paramilitaires de l’est du pays souhaitant la sécession du pays. Néanmoins, mis sous pression par son opinion en attente de résultats probants et devant des tractations infructueuses, notamment en raison du manque d’implication de la Russie, Petro Porochenko passe à l’action dans l’est du pays. La ville de Slaviansk, d’environ 100 000 habitants a d’ores et déjà été reprise par l’armée officielle. En ligne de mire figure la récupération de Donetsk, centre économique de l’Ukraine orientale peuplé de près d’un million d’habitants. Une opération nécessairement périlleuse, pouvant se conclure par d’importantes pertes humaines. Depuis novembre dernier, ces dernières se comptent en centaines.

A court terme, outre la réconciliation des deux Ukraine et la protection de l’intégrité territoriale du pays, Petro Porochenko va également avoir l’immense tâche d’assainir l’économie. Au total, l’Ukraine a reçu 27 milliards de dollars d’aide extérieure, la majeure partie venant du FMI. Naturellement, ces prêts ont été consentis en échange de réformes structurelles profondes. Tout l’enjeu sera de réduire l’ampleur de l’économie souterraine, qui paralyse l’économie réelle et prive l’Etat d’importantes ressources, ainsi que d’assurer l’avenir énergétique du pays. Pour ce faire, Kiev ne pourra faire l’économie d’une normalisation de ses relations avec la Russie, son principal fournisseur de gaz et partenaire commercial incontournable. Une obligation ardue pour le nouveau gouvernement aujourd’hui résolument tourné vers l’Europe et en conflit ouvert avec sa population russophone.

Après l’échec diplomatique de novembre dernier, l’Union européenne aura une grande responsabilité dans l’avenir de l’Ukraine. Son influence sera bien sûr non négligeable pour éviter un bain de sang et écarter le risque de guerre civile. Tout comme il s’avèrera certainement nécessaire de ne pas presser l’Ukraine de mettre ses politiques d’austérité à exécution. Si ces dernières sont incontournables, il faudra qu’elles soient échelonnées dans le temps pour ne pas accabler encore davantage une population meurtrie. Une chute du PIB de l’ordre de 5 % est à attendre et une nouvelle grogne sociale, notamment dans les parties pro-russes du pays, aurait des conséquences aussi imprévisibles que potentiellement dramatiques.

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