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Tunisie : l’UE en soutien de la transition démocratique

Sept ans après la “révolution de jasmin” de 2011, expression tunisienne du Printemps arabe, la transition démocratique semble en bonne voie en Tunisie. Même si, malgré un processus transitoire remarquable, le pays, partenaire important de l’UE en Afrique du Nord, fait face à de grands défis et des problèmes persistants.

Drapeaux de la Tunisie et de l'Union européenne

Quand Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu en décembre 2010 dans la ville de Sidi Bouzid en Tunisie, ce vendeur de légumes n’exprimait pas seulement sa propre frustration, mais bien celle d’une génération entière dans la région.

Au début des années 2010, tous les Etats d’Afrique du Nord sont gouvernés par des régimes autocratiques. Les situations économiques sont difficiles et sources de grandes insatisfactions pour les peuples et notamment la jeunesse, affectée par des taux de chômage proches des 50%.

Ce que Mohamed Bouazizi n’avait sûrement par prévu, c’est que son immolation serait diffusée à travers le monde sur les réseaux sociaux et que cet événement deviendrait le point de départ de véritables révolutions, qui prendront plus tard le nom de “Printemps arabe” .

Ces révolutions ont déclenché des situations très hétérogènes dans les pays concernés : régime militaire consolidé en Egypte, guerre civile en Syrie, ou encore faillite étatique en Libye, provoquée par la guerre menée par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Et la Tunisie est le seul pays où le processus de démocratisation s’est révélé solide. Selon l’indice Freedom House qui évalue la qualité démocratique des pays en fonction des libertés civiles et des droits politiques, la Tunisie est considérée comme un pays libre et démocratique depuis 2015. Pour Marc Pierini également, chercheur pour le think tank Carnegie Europe, spécialistes des questions de politique étrangère, l’architecture démocratique de la Tunisie peut être considérée comme “presque complète” .

Une transition remarquable

Les facteurs expliquant le succès de la transition démocratique tunisienne sont nombreux. Tout d’abord, les acteurs politiques ont activement contribué à conduire le pays vers un régime démocratique. En effet, lorsque les manifestations ont abouti à la démission du président Zine el-Abidine Ben Ali, toutes les forces politiques se sont engagées à mettre en place un gouvernement de transition et à organiser des élections démocratiques le plus vite possible.

Plus généralement, la recherche du consensus a caractérisé le processus démocratique tunisien. Ainsi, pour remédier au blocage politique consécutif aux élections de 2011, la Tunisie a créé un processus de dialogue national permettant d’inclure des acteurs publics et la société civile. Ce dernier a finalement abouti à une feuille de route pour l’adoption de la constitution démocratique en 2014.

Enfin, le pays a probablement aussi tiré profit de certaines de ses caractéristiques sociales et politiques. La société tunisienne est de fait relativement homogène et l’arrivée au pouvoir du parti conservateur Ennahdha, qui prône un islam démocratique, n’a guère créé de clivages au sein de la société. En outre, les pouvoirs militaire et religieux n’étaient pas en position de peser significativement sur les orientations politiques du pays.

Plus remarquable encore est certainement l’adhésion de la population tunisienne aux valeurs démocratiques et européennes, et ce dès le début de la révolution. L’Eurobaromètre de l’année 2012 montrait que quatre Tunisiens sur cinq souhaitaient des liens plus forts entre la Tunisie et l’Union européenne. Encore aujourd’hui, seuls 16% des Tunisiens déclarent avoir une image négative de l’Union européenne.

Un pays toujours orienté vers l’Europe

Même si les liens entre l’Union européenne et la Tunisie existaient déjà avant la révolution, dans le cadre de la politique européenne de voisinage, les relations se sont sans aucun doute intensifiées à la suite des bouleversements de l’année 2011. L’UE a très activement cherché à soutenir le processus de transition en Tunisie, tout en soutenant le pays avec des moyens financiers accrus alloués à la fois dans le cadre de projets économiques et en lançant des programmes destinés à l’accompagner dans la mise en œuvre des standards démocratiques. Par exemple, 155 millions euros ont été octroyés par les autorités européennes à la Tunisie dans le cadre du programme SPRING mis en place pour la promotion de la démocratie dans le voisinage du Sud. Et en 2012, l’Union européenne a entamé un partenariat privilégié avec la Tunisie afin de passer “à un niveau supérieur et plus stratégique d’approfondissement de leurs relations et d’intégration” , ce qui englobe une coopération politique approfondie, une intégration économique élargie et le rapprochement des sociétés civiles.

Le commerce bilatéral ayant plus que doublé depuis la signature de l’accord d’association UE-Tunisie en 1995, les relations économiques, fondées depuis 2008 sur une zone de libre-échange, sont également entrées dans une nouvelle phase avec l’ouverture des négociations d’un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) en 2015. Cet accord vise à approfondir les relations commerciales entre l’Union européenne et la Tunisie afin de mieux intégrer la Tunisie dans l’espace économique européen. Concrètement, ceci comprend l’ouverture des relations commerciales dans onze domaines qui en étaient exclus jusqu’à aujourd’hui, par exemple l’agriculture et la pêche, les investissements ou les échanges de services.

L’UE et la Tunisie cherchent de surcroît à approfondir encore davantage leurs relations commerciales. Des négociations sont actuellement en cours et le gouvernement tunisien a confirmé vouloir trouver un accord d’ici 2019, ce qui n’est pas encore acquis étant donné que cette perspective ne fait pas l’unanimité en Tunisie. Le projet bénéficie d’un fort soutien au sein du gouvernement et de la sphère économique, mais de nombreuses ONG doutent que les résultats soient avantageux pour la Tunisie. Selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une ouverture du marché tunisien aux entreprises européennes ne mènerait en effet pas forcement à l’embauche de Tunisiens. De plus, le secteur agricole pourrait avoir à souffrir d’une concurrence européenne accrue.

En guise de gage au gouvernement tunisien, l’Union européenne a pris la décision, en janvier, de retirer le pays de sa liste des paradis fiscaux. Le choix de l’y inscrire, en décembre en 2017, avait en effet été à l’origine de critiques acerbes du côté tunisien. Une colère réactivée en février dernier, alors que le Parlement européen a fait le choix de ne pas retirer la Tunisie de la liste noire des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Cette classification ne contribue en effet pas à un environnement favorable au libre-échange.

Et au-delà du commerce, il ne fait guère de doute que la Tunisie revêt pour l’Europe une importance stratégique pour la gestion des migrations. Depuis 2014, un “Partenariat pour la mobilité” facilite le renvoi des migrants en situation irrégulière de l’Union européenne vers la Tunisie, ce que l’organisation Migreurope qualifie d’ “externalisation de la crise” . A cet égard, ce partenariat explique en grande partie pourquoi la Tunisie ne pas partie des principaux lieux de passage pour les migrants : en 2016 en effet, seuls 0,5% des réfugiés arrivés en Europe irrégulièrement avaient traversé la Tunisie.

En revanche, le nombre de réfugiés arrivés en Italie en provenance de la Tunisie a augmenté fortement à la suite de l’accord passé entre l’Union européenne et la Libye en 2017. Même si, comme l’indique le Conseil européen des relations internationales (think tank), la plupart des personnes concernées sont des Tunisiens - plus de 8 000 personnes ont essayé de quitter le pays en 2017, un nombre inédit et considérable pour un pays d’environ 11 millions d’habitants.

Un nouveau contexte, des défis anciens

Bien que la Tunisie ait connu une transition remarquable, la situation dans le pays continue donc de faire face à une multitude des défis. La situation économique particulièrement, apparaît fragile. Elle était au centre des revendications formulées dans le cadre des manifestations de 2011 et ne s’est guère améliorée depuis. Depuis sept ans, les Tunisiens sont confrontés à une hausse des prix considérable (+8% en 2017), qui affaiblit le pouvoir d’achat, ainsi qu’à un taux de chômage des jeunes de 35%.

Les manifestations du début de l’année 2018 attestent de cette insatisfaction persistante de la population, qui tend même à s’accroître. La relance économique devrait donc être au cœur des préoccupations européennes et tunisiennes si Bruxelles souhaite que Tunis demeure un point de stabilité en Afrique du Nord.

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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