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Tuerie d'Oslo : l'extrême-droite pointée du doigt

Alors que la Norvège tente de se remettre du choc et de l’émotion provoqués par les évènements funestes qui ont eu lieu vendredi 22 juillet, la responsabilité de l’extrême-droite en Europe dans la radicalisation de la société et la montée de l’islamophobie semble être peu à peu mise en cause. Le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, a ainsi appelé à une “réponse politique” de l’Union européenne face à la montée de l’extrême-droite, même si la Norvège ne fait pas partie de l’Union Européenne. La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a quant à elle déploré que “trop peu de dirigeants [se dressaient] pour défendre la diversité et l’importance de sociétés tolérantes et démocratiques où tout le monde est le bienvenu”.Après la tuerie commise en Norvège par Anders Breivik, les discours des partis européens d’extrême droite sont donc montrés du doigt. Dans une interview exclusive à Touteleurope, trois spécialistes des pays scandinaves ou de l’extrême droite apportent leur éclairage.

Un homme isolé mais non sans liens avec l’extrême-droite

Mais peut-on réellement rattacher Anders Behring Breivik, l’auteur présumé de l’attentat d’Oslo et du carnage d’Utoya, au mouvement du terrorisme d’extrême-droite alors qu’il aurait agi seul et qu’il n’appartiendrait à aucun réseau ou parti ? Ne s’agit-il pas juste d’un homme isolé et marginal aux positions radicales ?

Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’IRIS

“Au plan électoral et de l’influence politique, la famille des droites populistes xénophobes est extrêmement représentée en Scandinavie” .


Pour Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), les deux ne sont pas incompatibles.

Il met ainsi en avant deux théories qui ont émergé dans les années 1980 aux Etats-Unis et qui s’appliquent parfaitement aux transformations opérées par la mouvance d’ultra-droite afin d’éviter que les mouvements traditionnels (tel que le mouvement néo-nazi) ne soient infiltrés facilement par la police comme c’était le cas à ce moment-là.

Ces deux théories sont celle du “loup solitaire” (un homme qui agit seul du début de la conception de son acte jusqu’à sa réalisation) et celle de la “résistance sans chef” (une petite cellule composée d’un ou deux hommes qui ne se connaissent pas, sans organisation pyramidale traditionnelle).

Si Anders Breivik semble être l’un de ces loups solitaires, cela ne veut pas dire avec certitude qu’il n’a jamais été en contact avec d’autres personnes ou organisations. Ainsi Jean-Yves Camus explique que certains experts “considèrent que finalement c’est un concept un petit peu tronqué et qu’il n’existe pas de loups solitaires à 100%” .

“En Grande-Bretagne, tous les spécialistes qui ont étudié les affaires de terrorisme d’ultra droite des dernières années ont constaté qu’à un moment donné toutes les personnes impliquées avaient un lien personnel et pas seulement virtuel, avec une organisation, aussi petite soit-elle d’ultra-droite” .

Cyril Coulet, spécialiste des pays scandinaves

“Il y a dans ces sociétés une impatience croissante à l’égard d’un processus d’intégration qui pour certains habitants tarde à porter ses fruits” .

Cyril Coulet, spécialiste des pays scandinaves, montre quant à lui qu’idéologiquement parlant, l’homme d’Oslo se rattache à une certaine forme d’extrême droite, lié à son attitude négative envers les étrangers.

Tout en précisant bien que “les actions qu’il a commises se singularisent car les cibles traditionnelles des groupes d’extrême-droite ne sont pas des ressortissants nationaux” .

Anders Breivik a été adhérent au Parti du progrès de 1999 à 2006, un parti de droite à tendance xénophobe. Pour autant, il faut rappeler qu’il n’était plus membre du parti au moment des faits et que ce dernier n’est pas un parti d’extrême-droite stricto sensu.

Cyril Coulet affirme en effet que le Parti du progrès est avant tout un parti populiste, le rejet de la population étrangère n’ayant pas été son premier thème de campagne lorsqu’il a tenu ses premiers succès électoraux dans les années 1970. Jean-Yves Camus précise que le Parti du progrès appartient aux droites populistes xénophobes en rupture avec l’extrême droite traditionnelle, n’ayant pas de racines néofascistes ou néonazis, agissant dans un cadre démocratique et ayant pour optique de participer au gouvernement.

Le poids de l’ultra-droite à tendance xénophobe en Scandinavie

Bien que certains partis d’extrême-droite européens comme le Vlaams Belang (Belgique) appellent à ne pas faire “l’amalgame” , il est difficile de ne pas mettre en parallèle cet évènement avec la montée de l’extrême-droite en Scandinavie (Danemark,Finlande, Norvège, Suède) ces dernières années. Des partis d’ultra-droite qui ont clairement assuré leurs succès électoraux grâce à la dénonciation de la présence d’immigrés ou de l’islamisation de la société.

Jean-Yves Camus fait le point sur la situation. “Au plan strictement électoral et au plan de l’influence politique, ces partis sont des partis majeurs en Scandinavie depuis un certain temps” , explique-t-il.

Le fait est que ces formations politiques à tendance xénophobe sont désormais représentées au sein du Parlement sur l’ensemble de la péninsule scandinave. Les scores électoraux sont éloquents : 13% des voix pour le Parti du peuple danois (2007), 22,9% pour le Parti du progrès norvégien (2009) et 19.1% pour les Vrais Finlandais (2011). De même les Démocrates suédois ont tenu une représentation au Parlement après les élections de septembre 2010, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.

Tensions en Europe autour des communautés étrangères et de l’islam

Dans tous les cas, cet acte fait prendre conscience qu’il existe de profondes tensions au sein de la société norvégienne, et de façon plus générale en Europe, autour de ses communautés étrangères.

Comme l’explique Cyril Coulet, “il y a dans ces sociétés une impatience croissante à l’égard d’un processus d’intégration qui pour certains habitants tarde à porter ses fruits” . Et d’ajouter : “de ce point de vue là j’aurais tendance à croire que les pays scandinaves ne sont pas très différents de la société française” .

De même, Jean-Yves Camus met en avant la modification profonde des sociétés scandinaves, qui étaient encore assez homogènes culturellement et religieusement il y a 25 ans, et qui “comme toutes les sociétés européennes, sont des sociétés désormais globalisées” . Il en résulte une cristallisation des frustrations d’une partie de la population qui a le sentiment que le multiculturalisme ou l’intégration ne peut pas fonctionner. Des crispations sur lesquelles les partis d’extrême-droite s’appuient largement pour gagner du terrain.

Tout aussi surprenant, les partis d’ultra-droite scandinaves dénoncent l’Islam au nom même des valeurs de tolérance et d’égalité qui sont propres aux sociétés nordiques. En effet, selon Jean-Yves Camus, ils désignent l’Islam comme l’ennemi de la civilisation occidentale, un nouveau totalitarisme qui renierait les libertés des minorités, la liberté de pensée ou même le statut des femmes.


Une fracture de la cohésion sociale norvégienne ?

Mais cet évènement ne risque-t-il pas d’entacher l’égalitarisme social-démocrate, si cher à la Norvège ? N’est-il pas révélateur d’un début de fracture d’une cohésion sociale qui a été pendant longtemps une caractéristique fondamentale du pays ?

Pour André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po au Centre d’Etudes de Recherches Internationales (CERI), le consensus social et le conformisme dans ces pays nordiques sont si forts qu’ils se révèlent parfois trop étouffants.

Si étouffants qu’il est parfois difficile de faire entendre ses opinions, tant la pression des pairs, des voisins ou des collègues est importante. C’est ce que l’on comprend lorsque l’on apprend qu’Anders Breivik a rédigé un manifeste de près de 1500 pages, qu’il a gardé si longtemps secret.

André Grjebine, directeur de recherche au CERI

“La cohésion sociale en Norvège est parfois trop étouffante” .


De ce fait, des explosions sociales apparaissent et servent finalement d’exutoire. “Dans des moments où la société évolue de manière relativement lente, ce consensus ne pose pas de problème” , explique M. Grjebine, “mais dans une période de très forts changements ou de malaise social, les sociétés apparaissent de plus en plus agressives à force de fuir le débat” .

A cela s’ajoute le fait que la Norvège a fondé sa cohésion sociale sur l’homogénéité de sa population. En effet, l’immigration non occidentale date seulement du début des années 1970 et a augmenté de manière très rapide. Ainsi en 2009, les citoyens norvégiens d’origine immigrée, c’est-à-dire dont l’un des deux parents est immigré, représentaient 14.7% de la population norvégienne. La moitié de ces immigrés est non occidentale. A Oslo, c’est 21,7% de la population qui est non occidentale, dont 35,7% de jeunes âgés de moins de 17 ans.

“Avant la crise, le consensus portait sur des politiques. A présent, le consensus est moins sur des faits que sur le fait qu’il y ait un consensus” , ajoute le directeur de recherche. Celui-ci devient une fin en soi, et il n’est alors pas politiquement correct de le remettre en cause. Mais derrière l’enthousiasme affiché, se trouvent des frustrations qui éclatent tôt ou tard.

Ce qui est sûr, c’est que les conséquences pour la Norvège et les autres pays de la péninsule scandinave, où le sens de la communauté entre pays nordiques est très fort, risquent d’être importantes. Au-delà du choc et de l’émotion, il semble d’ores et déjà clair qu’une action seulement rhétorique, consistant à déplorer ce qui s’est passé, ne suffira pas.

“Etant donnée l’ampleur du drame, ce sera difficile de ne pas avoir une action politique” affirme Cyril Coulet. Ces mesures risquent de porter par exemple sur la vente des armes à feu (la Finlande a annoncé revoir sa législation dans ce domaine) mais cela pourrait aussi amener à s’interroger sur le rôle de l’extrême-droite en Europe. C’est en tout cas la voie que semblent prendre de nombreux responsables politiques aujourd’hui.

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