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“Trump, nouvelle ligne de faille politique en Europe”

L’investiture de Donald Trump en janvier 2017 a-t-elle bouleversé les relations transatlantiques ? Pour la directrice du German Marshall Fund Alexandra de Hoop Scheffer, le nouveau président américain, tout en suivant parfois la ligne de ses prédécesseurs, a incontestablement incité les Européens à adapter leur politique étrangère.

Angela Merkel, Donald Trump et Theresa May le 7 juillet 2017 lors du sommet du G20
Angela Merkel, Donald Trump et Theresa May le 7 juillet 2017 lors du sommet du G20 - Crédits : The White House

L’accession de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, le 20 janvier 2017, semble avoir marqué une rupture avec la politique européenne de son prédécesseur. Quels ont été les plus grands bouleversements pour l’Europe ?

Je ne parlerais pas de “rupture” avec la politique européenne de Barack Obama ; l’erreur des dirigeants européens avait été de croire (ou d’espérer) qu’Obama serait un président européen, en phase avec leur vision du monde et leurs priorités. Or, le président Obama a été en réalité le premier président américain “post-européen” . Il annonce au début de son second mandat que les Etats-Unis se recentrent sur leurs intérêts dans la région Asie-Pacifique et invite les Européens à prendre plus de responsabilités pour la sécurité de leurs voisinages est et sud. Le “leading from behind” en Libye en 2011, puis la “ligne rouge” non tenue en Syrie en 2013, ont profondément marqué l’Europe, et la France en particulier. Face à l’imprévisibilité du leadership américain, la France pouvait-elle encore compter sur les Etats-Unis en cas de crise internationale ? Les incertitudes quant à la fiabilité de ce leadership américain en Europe et ailleurs se sont donc amplifiées avec l’élection de Trump. Et les divergences de priorités avec Washington ont incité les Européens à accélérer leurs efforts de coopération en matière de défense.

Le président Trump est devenu une nouvelle ligne de faille politique en Europe, en apportant son soutien au Brexit et en s’alignant au côté de dirigeants “populistes” , en Pologne et en Hongrie par exemple. La posture à adopter vis-à-vis de Washington (atlantiste ou post-atlantiste) est devenue un sujet de débat dans les élections en Allemagne et continue de diviser la classe politique. La perception des Etats-Unis en Europe a aussi profondément changé par rapport aux années Obama : Trump est beaucoup moins populaire, surtout en Allemagne et au Royaume-Uni. En France, c’est le pragmatisme qui triomphe, en réponse au transactionnalisme de Trump.

Enfin, Trump redessine la carte des alliances avec l’Europe : si Obama entretenait une “relation spéciale” avec Angela Merkel, sur toutes les questions afférentes à l’UE, aujourd’hui celle-ci se trouve remplacée (temporairement ?) par une relation spéciale avec le président français Emmanuel Macron, qui se structure autour de l’excellente coopération bilatérale en matière de défense et de lutte contre le terrorisme.

Donald Trump, qui lors de sa campagne a jugé que l’OTAN était “obsolète” , a changé de positon au sujet de l’alliance atlantique, comment expliquer ce revirement ?

Ce n’est pas un débat nouveau : de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par le Kosovo, l’engagement de l’Alliance hors zone a posé la question de l’obsolescence potentielle de l’OTAN (“out of area or out of business”). En Afghanistan, la marginalisation initiale de l’OTAN par l’administration Bush a laissé redouter une sorte “d’obsolescence programmée” et un vide sécuritaire en Europe. Le “pivot vers l’Asie” d’Obama avait amplifié cette perception en Europe. Au lendemain de l’opération de 2011 en Libye et en réaction aux limites des capacités militaires européennes, le secrétaire à la défense Robert Gates avertissait que “les prochains leaders politiques américains - ceux pour qui la Guerre froide ne constitue pas une expérience formatrice, -comme cela a été le cas pour moi - pourraient considérer que le retour sur l’investissement dans l’OTAN ne vaut pas la peine” .

Quelques années plus tard, le candidat Trump relance le débat sur l’obsolescence de l’OTAN, demandant à ses membres européens d’accélérer l’augmentation de leurs budgets de défense et d’ajuster le rôle de l’Alliance pour qu’elle fasse plus en matière de contre-terrorisme. Faire de l’OTAN un membre à part entière de la coalition internationale anti-Daesh lui permet notamment d’augmenter la pression sur ses alliés pour qu’ils contribuent financièrement à l’opération.

En un an, le président Trump a effectivement modéré sa position vis-à-vis de l’OTAN, sous la pression de ses conseillers et en particulier les généraux qui l’entourent. L’establishment à Washington est plutôt uni sur la question de l’utilité de l’Alliance et sur la menace que représente la Russie. A défaut d’une vraie vision de politique étrangère, Trump la délègue en grande partie à ses généraux et à son vice-président, Mike Pence, qui ont passé beaucoup de temps à faire de la diplomatie de réassurance en Europe depuis l’inauguration de Trump.

Quant à la question des dépenses militaires, les pays européens membres de l’OTAN les ont augmentées à partir de 2014, en réaction à la crise ukrainienne, après des années de réductions budgétaires. L’objectif des 2% n’est pas une invention de Trump, mais il s’agit d’une décision adoptée par tous les membres de l’OTAN au sommet de Newport en 2014, signalant une prise de conscience par les Alliés d’un nouveau contexte sécuritaire et une volonté d’endiguer le désarmement structurel des dépenses européennes depuis la fin de la guerre froide. En réponse à la pression de Trump, l’OTAN tient aujourd’hui une position d’équilibre difficile, entre partage du “fardeau” et intérêt des Européens à mieux contribuer à leur propre défense.

Sous la présidence Obama, les Occidentaux formaient un bloc plus ou moins homogène dans les relations internationales. Avec Donald Trump sur les questions de politique internationale l’Occident semble divisé, notamment au sujet de la Corée du Nord, de l’Iran ou du climat ; est-ce la fin du “bloc occidental” ?

Je partage l’avis de Charles Kupchan, qui suite à la décision de Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord climat de Paris avait dit qu’on assistait à l’avènement “non pas d’un monde sans l’Occident, mais d’un Occident sans les Etats-Unis” . Trump accélère l’émergence d’un désordre international où différentes puissances cherchent à affirmer leurs priorités et à leurs sphères d’influence : la Russie aux frontières de l’Europe et de l’OTAN mais aussi au Moyen-Orient ; la Chine dans sa région immédiate mais aussi en Afrique par exemple. Comme une prophétie autoréalisatrice, les Etats-Unis sont devenus le chef d’orchestre de “l’arène” hobbesienne décrite par le conseiller pour la sécurité nationale, le général McMaster, et le directeur du Conseil national pour l’économie Gary Cohn.

Les membres de l’administration Trump rappellent souvent que “l’Occident est dans une nouvelle phase d’introspection” , en prise à des divisions internes et à la montée du nationalisme et du protectionnisme. Avec l’élection de Trump, les priorités de la politique américaine sont moins en phase avec les préoccupations européennes : sur le climat, l’Iran, la Russie, avec le parti républicain qui soutient la plupart de ces décisions.

Toutefois, ces désaccords ne doivent pas empêcher la coopération au cas par cas avec Washington : les Etats-Unis et l’Europe se sont accordés sur le maintien des sanctions contre la Russie ; sur l’Iran, l’ultimatum de Trump devrait inciter les Européens, conviés par la France à compléter l’accord sur le nucléaire iranien par un encadrement du programme balistique de Téhéran et de son influence dans la région, à trouver un compromis avec Washington.

Les Etats-Unis et l’Europe ont développé de nombreuses collaborations à l’échelle locale ou au niveau de la société civile. La politique étrangère de Donald Trump a-t-elle influé sur ces relations ?

Oui, dans le sens où Trump a contribué à renforcer ces relations et les canaux informels de coopération entre les deux côtés de l’Atlantique. Le German Marshall Fund of the United States que je dirige à Paris est un parfait exemple : depuis l’élection de Trump, nous avons été encore plus sollicités des deux côtés de l’Atlantique, dans notre rôle de plateforme de dialogue et de propositions sur les relations transatlantiques. Les think tanks à Washington tirent les leçons de l’élection de Trump et redéfinissent leur approche des questions de politique étrangère, en “exportant” leurs travaux et leurs débats en dehors de Washington, pour aller toucher les électeurs de Trump.

Sur le climat, la décision de Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris a inspiré le renforcement d’une diplomatie française et européenne sous-nationale et entre villes. La décision de Trump a en effet été contournée par un certain nombre de villes et d’Etats américains qui ont multiplié les alliances et les initiatives, y compris en matière de financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Le gouverneur de Californie Jerry Brown est par exemple devenu le leader de la résistance écologique, en adoptant notamment en septembre dernier une politique environnementale “vision 2030” , proche des initiatives européennes. La démarche du président Macron consistant à montrer que Trump est isolé sur le climat, par rapport à l’opinion américaine qui a évolué sur le sujet et aux grandes entreprises américaines qui investissent dans l’énergie renouvelable, est la bonne approche. Ces liens de coopération au niveau infranational permettent d’encercler Trump, et éventuellement de le contraindre à ajuster sa position.

Sur l’OTAN, les dirigeants européens peuvent trouver, au sein du Congrès américain, un réel appui qui s’est manifesté en juin dernier au travers de l’adoption par le Sénat d’une résolution bipartisane en appui à l’article 5 du traité de l’OTAN, que Trump avait vertement critiqué pendant la campagne et ignoré lors de sa première visite à Bruxelles en mai.

Enfin, les contre-pouvoirs se manifestent à l’intérieur même de l’administration Trump : les généraux qui entourent le président, Mattis, Secrétaire à la défense, Kelly, chef de cabinet de la Maison blanche, et McMaster, conseiller à la sécurité nationale auprès du président ou le secrétaire d’Etat Rex Tillerson (sur l’Iran et la Corée du Nord), jouent à leur manière un rôle de “modérateurs” des déclarations de Trump, notamment en ce qui concerne les relations avec les alliés traditionnels des Etats-Unis. Et ce sont avec eux que les gouvernements européens ont considérablement développé leurs relations durant cette première année de présidence Trump.

Tandis que les négociations pour le TTIP sont au point mort, comment ont évolué les relations économiques entre Américains et Européens depuis un an ?

Sur le TTIP, Trump n’a pas été aussi expéditif que sur le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) ou critique que sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Il concède l’intérêt de négocier un accord avec l’UE, d’autant plus que la chancelière allemande Angela Merkel lui a expliqué qu’il s’agissait d’un accord bilatéral entre les Etats-Unis et l’UE, et non d’une négociation multilatérale pour laquelle il a la plus grande aversion.

Contrairement à Obama, Trump ne voit pas dans le TTIP sa valeur stratégique, à savoir l’instauration d’une forme de convergence réglementaire euro-américaine, pour peser sur la Chine. Trump veut imposer à Pékin un nouveau rapport de force non sur la base non du multilatéralisme mais sur celle de la stricte réciprocité bilatérale.

Le point de tension dans les relations économiques entre les Etats-Unis et l’Europe se situe en Allemagne, avec laquelle les Etats-Unis ont un déficit commercial de 65 milliards de dollars. Le secteur de l’automobile est particulièrement visé par les potentielles mesures protectionnistes américaines en cours de discussion.

Un des plus grands risques pour la relation transatlantique est celui de potentielle “guerre commerciale” entre les Etats-Unis et les Européens. “America First” pourrait amener les Etats-Unis à prendre des mesures protectionnistes qui pourraient affecter les entreprises et les marchés européens. Face à ce risque et après les amendes américaines sur Alstom, Technip, Total, BNP Paribas et Crédit Agricole, la France a raison d’appeler à une réciprocité des règles dans le commerce mondial et à la création d’un “dispositif de riposte” européen à l’extraterritorialité des lois américaines.

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