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Thomas Gomart : “Pour Moscou, l’Europe a plusieurs visages”

A la veille de la victoire du candidat “pro-russe” Viktor Ianoukovitch en Urkaine, Touteleurope.fr a rencontré Thomas Gomart, directeur du centre Russie/NEI de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et de la collection numérique trilingue Russie.Nei.Visions @ifri.org. Le chercheur revient sur les relations “de plus en plus substantielles” entre l’Union européenne et la Russie.

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Etat des lieux des relations russo-européennes

Intervention militaire en Géorgie, coupure du gaz à destination de l’Europe via l’Ukraine, blocage de l’élargissement à l’est de l’OTAN… Moscou entend bien garder sa zone d’influence en Europe, et ce parfois au détriment de ses relations avec l’Union européenne. Si subsistent entre les deux “continents” des désaccords persistants, l’automne 2009 n’a pas connu de crise aussi retentissante que les années précédentes.

Cependant, fait remarquer Thomas Gomart, “l’un des problèmes est cette fréquence des bulles médiatiques qui éclatent très rapidement en fonction des évènements, alors que la relation UE-Russie est de plus en plus substantielle” .

L’accord de partenariat et de coopération (APC), qui régit les échanges entre l’UE et la Russie dans de nombreux domaines (économiques, politiques, de sécurité…), est entré en vigueur en 1997. Parvenu à échéance en 2007, il doit être remplacé par un nouvel accord cadre dont la signature est reportée d’année en année.
Pour autant, elle reste “paradoxale” : à la fois “très intensifiée sur le plan commercial et humain ces dernières années, et “crispée politiquement” , ce qui complique notamment le processus pour aboutir à un nouvel accord de partenariat entre l’Union et la Russie.

“La question des approvisionnements énergétiques pose évidemment problème, notamment parce que les deux parties conçoivent la sécurité énergétique différemment. La question plus technique des droits intellectuels est également importante” explique Thomas Gomart.

Ensuite, continue le chercheur, “il est également difficile pour l’UE de trouver un comportement adapté à une puissance ‘classique’, au sens réaliste du terme, comme la Russie” .

L’Union ne sait pas très bien comment se positionner par rapport à Moscou, dont elle prévoyait la conversion politique à la suite des nouveaux membres de l’Union. Or “la Russie suit son propre cours, et cherche à être le moins possible influencée de l’extérieur. On en arrive souvent à des situations de désaccord, car les deux acteurs sont de nature très différente” .

La construction européenne : menace pour la Russie ?

Comme le fait remarquer Thomas Gomart, “l’UE représente le premier partenaire commercial de la Russie, avec près de 60% de son commerce extérieur, alors que la Russie est le 3e partenaire commercial de l’UE, après les Etats-Unis et la Chine” . Cependant, “vu de Moscou, il y a une juxtaposition très forte entre l’UE et l’OTAN : dès qu’il s’agit des questions ‘dures’, c’est l’OTAN qui parle à travers l’UE.


La menace de l’Union européenne n’est donc pas ressentie comme telle, mais celle de voir l’OTAN s’élargir est importante. Pour Moscou, l’Europe a plusieurs visages” .

“La perspective d’un élargissement de l’Union à la Géorgie ou à l’Ukraine, ne représente pas non plus une menace en tant que telle, même si elle traduit de fait une volonté d’éloignement de ces pays vis-à-vis de Moscou. La vraie question est la perspective d’adhésion à l’OTAN de ces deux pays, comme après le sommet de Bucarest au printemps 2008. L’une des interprétations de la guerre de Géorgie est le coup d’arrêt porté par Moscou à cette adhésion, ce qu’on voit également très clairement en Ukraine” .

L’Union européenne, “acteur diplomatique” en Géorgie

A l’initiative de la Suède et de la Pologne, le partenariat oriental a vocation à renforcer la présence européenne dans six pays : Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan.

En savoir plus
Suite à l’intervention militaire russe en Géorgie en Août 2008, l’UE a opéré, sous présidence française, une médiation entre belligérants.

Elle est parvenue à obtenir un cessez le feu et à enclencher un processus de négociation sous les auspices de l’UE, des Nations Unies et de l’OSCE, qui se poursuit toujours à Genève.

La Géorgie permet dès lors, selon Thomas Gomart, à l’Union européenne d’exister comme acteur diplomatique. “Mais elle était déjà très présente avant la guerre, à travers un important soutien économique. L’UE cherche de nouvelles modalités de présence en Géorgie, et plus généralement dans les pays du Caucase et de l’Europe orientale à travers le partenariat oriental.

Mais, à nouveau sur ce point, il ne faut pas comparer l’UE à l’OTAN : l’UE peine à être prise au sérieux dans le domaine de la sécurité, et pas seulement par Moscou. Sa présence diplomatique ne s’appuie pas sur une réalité militaire forte” .

L’Ukraine, carrefour entre l’Europe et la Russie

Interrogé à la veille des élections ukrainiennes (la victoire du candidat pro-russe Viktor Ianoukovitch semblait prévisible), Thomas Gomart juge qu’indépendamment du camp vainqueur, la politique étrangère de l’Ukraine restera “équilibrée” , dans le prolongement de l’ère Koutchma (président de l’Ukraine de 1994 à 2004).

“La problématique qui se pose actuellement à l’Ukraine est beaucoup plus économique que diplomatique” , souligne le chercheur. “C’est un pays très frappé par la crise, qui a beaucoup de mal à se refinancer et a obtenu des crédits de la part du Fonds monétaire international (FMI). Le sujet n° 1 est le redressement économique de l’Ukraine, beaucoup plus que l’orientation politique du pays. De plus, on observe que l’Ukraine a profité de la croissance russe mais aussi de la proximité avec les nouveaux membres de l’UE et avec la Turquie. Au fond, l’Ukraine est dans une position de carrefour qui lui permet de profiter de différentes dynamiques” .

Cependant, l’Ukraine ressent d’un côté une certaine “fatigue européenne de l’élargissement” et, de l’autre, elle ne peut pas concevoir ses relations au détriment de Moscou, du fait de sa situation géographique, des liens historiques et de la nature des réactions possibles de la Russie.

L’énergie, levier diplomatique de Moscou

Si les questions énergétiques sont l’un des noyaux durs des relations russo-européennes, elles ne doivent pas pour Thomas Gomart, se résumer à ça. “Il faut toujours rappeler aussi à quel point la Russie a besoin du marché européen pour exporter son pétrole et son gaz” .

Afin de faire face à l’augmentation de la demande de gaz dans les années à venir, l’Europe cherche à diversifier les sources et les routes d’approvisionnement.

Or le projet de gazoduc Nabucco (parallèlement à d’autres projets comme le North Stream et le South Stream) “est aujourd’hui en difficulté en raison des capacités d’investissement limités et d’un facteur d’incertitude sur le volume de gaz qui sera disponible” .

“Après, le débat est beaucoup plus politique, entre des pays qui souhaitent délibérément éviter la Russie et d’autres, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, qui considèrent que c’est impossible, en rappelant que la Russie dispose de 25 à 30% des réserves mondiales de gaz et peut, de par sa position territoriale, connecter ou déconnecter les 3 marchés régionaux du gaz : nord-américain, européen et de l’Asie du Sud-Est” .

Le soft-power européen, un concept unijambiste

La collection numérique trilingue Russie.Nei.Visions que dirige Thomas Gomart est disponible sur sur site pearltrees.
Interrogé sur l’influence normative de l’Union européenne sur son voisinage et sa capacité à transformer les systèmes politico-juridiques des pays voisins (en termes de droits de l’homme notamment), Thomas Gomart souligne que ce “soft power” fonctionne surtout “dans des pays qui ont une aspiration rejoindre l’Union européenne, mais beaucoup moins là ou prédomine la logique de puissance classique, comme en Turquie ou en Russie, dans lesquelles les relations civilo-militaires ont un caractère structurant” .

“Ainsi ce ‘soft power’, dont l’Union européenne s’est faite le champion, est tel qu’elle le conçoit un concept ‘unijambiste’. La diplomatie européenne est alors sujette à un fort déséquilibre lorsqu’il s’agit de négocier avec ces puissances. De plus, la fascination pour le modèle que pouvait représenter l’UE est, dans le cas de la Russie, dépassée” .

En savoir plus :

Thomas Gomart - Institut français des relations internationales (IFRI)

Russie.Nei.Visions - pearltrees

Le partenariat oriental : quelles perspectives ? - Diploweb/Touteleurope.fr

Politique européenne de voisinage - Touteleurope.fr

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