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Sommet Afrique-UE : vers un nouveau partenariat entre les deux continents ?

Les 29 et 30 novembre, le cinquième sommet UE-Afrique se tient à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Bien que les sommets précédents ne soient pas parvenus à mettre en place une étroite coopération entre les deux continents, la situation migratoire tendue en Europe et la volonté de la France de relancer le partenariat avec l’Afrique suggèrent un changement d’attitude de l’UE à l’égard de ce continent. Dix ans après l’adoption de la stratégie commune Afrique-UE, le sommet d’Abidjan sera-t-il le point de départ d’une nouvelle politique euro-africaine ?

Logo du sommet Afrique-UE
Logo du sommet Afrique-UE - Crédits : Service pour l’action extérieure de l’Union européenne

L’investissement dans la jeunesse : élément clé face à la crise migratoire ?

“Investir dans la jeunesse pour un avenir durable” . Le slogan du sommet d’Abidjan l’indique : l’enjeu démographique est majeur en Afrique, où 60% de la population a moins de 25 ans. Le continent est encore loin d’avoir atteint sa transition démographique. Et d’après l’étude biannuelle de l’Institut national d’études démographiques (INED), la population de l’Afrique devrait doubler d’ici 2050, passant de 1,2 milliard d’habitants en 2017 à 2,5 milliards en 2050. L’étude avertit en outre que la population africaine “pourrait quadrupler pour atteindre 4,4 milliards en 2100″ .

Face à une économie encore précaire, et une situation politique souvent instable, le sommet UE-Afrique aura vocation à trouver les outils pour gérer l’explosion démographique africaine et à donner de meilleures opportunités aux jeunes Africains dans leurs pays d’origine. Lors de la préparation du sommet, les leaders européens et africains ont à cet égard fait appel à de nombreux jeunes des deux continents. Un avant-sommet Afrique-Europe de la jeunesse a ainsi réuni 120 jeunes leaders européens et africains du 9 au 11 octobre à Abidjan. Tandis que la “Youth Plug-in Initiative” a rassemblé 36 jeunes africains et européens à Addis-Abeba (Ethiopie) le 26 octobre.

Le continent africain comprend 55 pays indépendants, représentant environ 16% de la population mondiale en 2016. D’ici 2050, d’après l’étude biennale de l’INED, cette population est appelée à doubler.

L’Afrique est un continent qui se distingue par une grande hétérogénéité. Selon le Freedom House Index, qui classifie les pays selon leur degré d’avancement démocratique, seulement sept pays sont “libres” , tandis que les autres pays sont des démocraties en faillite ou des autocraties. Les religions dominantes sont l’islam et le christianisme. Le PIB en 2014 s’élevait à environ 2 500 milliards de dollars (19 700 milliards de dollars en Europe).

Tous les pays du continent sont membres de l’Union africaine, l’organisation continentale créée en 2001. Ses objectifs principaux sont la promotion de l’intégration régionale, de la paix et la sécurité, ainsi que de la démocratie et les droits de l’Homme.

Mais au-delà de ce thème central de la jeunesse, c’est la question des migrations qui apparaît comme la priorité des leaders européens. En témoigne le mini-sommet UE-Afrique organisé le 28 août à l’Elysée, où toute l’attention a été dédiée à la gestion de la crise migratoire. Le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, le président du Conseil italien Paolo Gentiloni et les dirigeants du Tchad, du Niger et de la Libye ont signé à cette occasion une déclaration conjointe de 9 pages pour “une approche globale de la migration et de l’asile” . Un autre sommet consacré à la crise migratoire devait en outre se tenir à Madrid fin octobre ou début novembre, avant d’être annulé du fait de la crise catalane. Tandis que le Conseil européen du 19 octobre a également largement abordé la question de la gestion de la crise migratoire. La coopération avec l’Afrique se trouvant même au cœur des conclusions, notamment la route de la Méditerranée centrale.

L’UE “s’engage à assurer un financement suffisant et ciblé, y compris au titre du volet Afrique du Nord du fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique, afin de soutenir les actions nécessaires liées aux migrations en Afrique du Nord et de financer tous les projets pertinents en 2017″ , peut-on lire. Le Conseil européen rappelle également que “son approche à long terme de la question des migrations consiste notamment à s’attaquer aux causes profondes des migrations et à offrir des perspectives économiques et sociales dans les pays de transit et d’origine” .

Réunion à Paris le 28 août 2017 entre les dirigeants allemand, espagnol, français et italien et leurs homologues libyen, nigérien et tchadien - Crédits : Gouvernement espagnol

La stratégie pour l’Afrique, cœur de la politique migratoire européenne

Ce n’est donc pas un hasard si l’Union européenne vise à favoriser un “avenir durable” , notamment pour les jeunes Africains. Face aux importants flux migratoires en provenance d’Afrique, l’Union a compris que son action ne peut se limiter à la seule aide au développement.

Faute d’une solution commune sur le continent européen, l’Union a en effet choisi une nouvelle approche en essayant de mener la gestion des questions migratoires directement sur place, en luttant directement contre les causes des migrations. Après avoir conclu des accords de réadmission et de soutien financier importants avec sept pays nord-africains pour qu’ils bloquent les routes empruntées par les migrants, le sommet pourrait permettre à l’Union européenne de poursuivre cette stratégie à l’échelle panafricaine. En investissant des sommes considérables dans les l’amélioration des conditions de travail ou encore en faveur du développement durable, l’Union espère de rendre les pays africains plus attractifs pour la jeunesse - et, par conséquent, de réduire de manière efficace les motifs pouvant conduire à braver les pires périls pour immigrer en Europe.

La gestion des flux migratoires par la méthode du “out-sourcing” a beau être au cœur du développement d’une politique africaine de l’Union européenne, il serait réducteur de limiter la présentation de cette stratégie à cet axe. Et ce même si la question migratoire est étroitement liée aux autres sujets de cet agenda européen pour l’Afrique, comme la paix et la sécurité (en luttant contre les milices et les groupes terroristes), la bonne gouvernance, les investissements et le commerce et la création d’emplois. Autant de chantiers cruciaux pour la stabilisation du continent à long terme, et donc pour la gestion des flux migratoires.

Dès lors, une question se pose : dans quelle mesure les priorités parfois très divergentes entre l’Europe et l’Afrique pourront-elles être conciliées ? Pendant que l’Union européenne se focalise implicitement sur la gestion des flux migratoires, les priorités du partenaire africain se concentrent plutôt sur la coopération économique, l’intégration africaine et la coopération à long terme. Un partenariat allant au-delà du simple plus petit dénominateur commun pourra-t-il être trouvé ?

A cet égard, l’Union européenne est susceptible de mobiliser une aide financière et technique accrue pour que l’Union africaine soit à même de mieux maîtriser ses frontières extérieures. Quitte à ce que cela signifie de passer des accords avec un État fragile comme la Libye dont le bilan humanitaire est catastrophique. Pour François Gemenne, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions migratoires, les centres de détention des migrants en Libye s’apparentent même à des “camps de concentration” , illustrant le fait que les pays membres de l’UE sont incapables “de déployer une réponse à la hauteur” de leur “projet politique” .

Appel pour un partenariat renforcé avec l’Afrique

Dans ce contexte, nombreuses sont les voix qui, depuis Bruxelles, demandent la création d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. C’est le cas notamment du président du Parlement européen Antonio Tajani. Ce dernier a notamment initié une conférence à Bruxelles sur la gestion de la crise migratoire le 21 juin 2017 ; un choix clairement stratégique, étant donné que le lendemain s’est tenu un Conseil européen sur le même sujet. Partant du constat que “les choses ne peuvent rester en l’état” , Antonio Tajani a ainsi invité les États de l’Union à “dépasser leurs égoïsmes nationaux” et négocier une politique migratoire commune qui soit équitable et respectée par tous les États membres.

La coopération officielle entre l’UE et l’Afrique repose sur la stratégie commune Afrique-UE adoptée lors du 2e sommet UE-Afrique en 2007. Ses objectifs sont de renforcer les relations politiques ainsi que de lancer ou approfondir la coopération pour faire face à des défis communs comme le changement climatique, la protection de l’environnement, la paix et la sécurité.

Afin de réaliser ces objectifs, les sommets entre les dirigeants africains et européens se tiennent tous les trois ans en alternance en Afrique et en Europe. Chaque sommet définit une feuille de route pour les trois prochaines années avec les domaines les plus importants de la coopération entre les deux continents. Le dernier sommet a eu lieu à Bruxelles en 2014, sous les axes de paix et sécurité, prospérité et populations.

Par ailleurs, lors de sa visite les 30 et 31 octobre en Tunisie, le président du Parlement européen a défendu un “plan Marshall” pour l’Afrique. “L’Europe doit choisir la voie d’un véritable plan Marshall pour l’Afrique, c’est-à-dire qu’elle doit investir au moins 40 milliards d’euros et créer un effet de levier pour créer 400 milliards d’euros pour le développement de l’Afrique” , a-t-il déclaré. Selon lui, seule la stabilité en Afrique permettra la stabilité en Europe : comprendre pourquoi les migrants quittent leurs pays d’origine permettra de mieux contrôler les flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe. “Il faut essayer de comprendre pourquoi des milliers et bientôt des millions de personnes quittent leur pays pour arriver dans le vôtre ou dans les nôtres : le changement climatique, le désert qui dévore l’agriculture, la famine, la sècheresse, la guerre, la pauvreté et l’accroissement démographique” .

De la même manière, Federica Mogherini, haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, défend également un partenariat renforcé avec l’Afrique. Le 12 avril, elle a ainsi soutenu un nouveau programme de 90 millions d’euros pour la protection des migrants en Libye. Il faut “investir dans des partenariats politiques et économiques” avec l’Afrique, ainsi que dans des “programmes spécifiques pour les femmes et les enfants” , a-t-elle également fait valoir lors de la conférence au Parlement européen, le 21 juin.

Cependant, il n’est pas évident que ces appels mènent à un véritable nouveau partenariat UE-Afrique dans la mesure où l’action des institutions européennes reste soumise aux décisions des États membres. Des appels au secours de pays comme l’Italie ou la Grèce aux politiques d’accueil de l’Allemagne ou la Suède, en passant par les procédures d’infraction contre la Pologne, la Hongrie et la République tchèque : les clivages entre États sur la politique migratoire sont toujours évidents.

De nouvelles relations franco-africaines ?

Antonio Tajani et Federica Mogherini pourraient toutefois compter sur Emmanuel Macron, également désireux de bâtir une nouvelle dynamique euro-africaine. En effet, à la suite de la diffusion d’un reportage de la chaîne américaine CNN, le 22 novembre, le président de la République a dénoncé la vente de migrants en Libye comme “crimes contre l’humanité” . “Je souhaite que nous puissions aller beaucoup plus loin dans la lutte contre les trafiquants qui commettent de tels crimes et coopérer avec tous les pays de la région pour démanteler ces réseaux” , a-t-il déclaré, demandant une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU.

Plus généralement, depuis son élection en mai dernier, Emmanuel Macron prône un engagement plus fort de la France et de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique. “La stratégie que je veux mettre en œuvre consiste à créer un axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe” : a-t-il ainsi énoncé depuis la Sorbonne le 26 septembre. Lors de ce discours, le président a annoncé la création d’un poste d’ambassadeur “chargé de coordonner l’ensemble des négociations liées aux migrations” ainsi que la création d’un groupe opérationnel sous la supervision du ministère des Affaires étrangères. Autre projet de M. Macron : la constitution d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique composé de personnalités engagées issues de la société civile.

Emmanuel Macron à la Sorbonne le 26 septembre 2017 - Crédits : Présidence de la République, S. de la Moissonnière

De fait, la France maintient encore aujourd’hui une présence exceptionnelle sur le continent africain. Eckart Woertz, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et professeur à Sciences Po, explique que “la France reste l’État de l’Union avec la plus grande capacité d’action dans le continent africain” . En effet, d’autres pays européens avec un passé colonial en Afrique, comme l’Espagne ou l’Allemagne ont peu d’intérêts stratégiques dans le continent et donc consacrent peu de ressources - outre l’aide au développement. La plupart des États de l’Union semblent plutôt attendre le leadership de la France, dont la présence sur le continent est beaucoup plus forte.

L’Afrique n’est pas seulement le continent des migrations et des crises, c’est un continent d’avenir” , a également martelé M. Macron. Avant de se rendre à Abidjan les 29 et 30 novembre, le président se sera rendu à Ouagadougou, au Burkina Faso, puis au Ghana pour transmettre ce message. L’implication d’Emmanuel Macron pourrait donc être de nature à relancer partenariat Afrique-Europe dans la mesure où l’engagement de la France renforce la crédibilité et le potentiel de la coopération européenne avec l’Afrique. Au risque que le partenariat soit davantage franco-africain que euro-africain ?

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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