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Quel avenir pour les relations entre l’UE et la Russie ?

C’est à l’instigation de la Friedrich Ebert Stiftung qu’une vingtaine d’experts, venant de 12 pays, dont la Russie, l’Ukraine ou encore la Géorgie, a réfléchi à l’avenir des relations entre l’Europe et ses voisins orientaux à l’horizon 2030, sous la forme de quatre scénarios, plus ou moins optimistes. Un travail aussi inhabituel qu’intéressant destiné à donner des pistes de réflexion aux décideurs, mais qui surestime peut-être la capacité et la volonté de Bruxelles et Moscou à créer une sortie de crise satisfaisante. En atteste le point de vue pour le moins tranché de Dmitry Suslov, l’un des auteurs des scénarios, lors de leur présentation le 8 juin à Paris.

Vladimir Poutine

La “maison partagée” ? La “maison commune” ? La “maison brisée” ? La “maison divisée” ? Tels sont les différents scénarios élaborés par la Friedrich Ebert Stiftung (FES), fondation et cercle de réflexion allemand proche du Parti social-démocrate et ses membres du groupe de planification. Ces derniers viennent principalement des pays d’Europe orientale, non membres de l’Union européenne, mais aussi d’Allemagne, de France ou encore du Royaume-Uni.

Réconciliation et pragmatisme : deux scénarios de sortie de crise par le haut

Le scénario le plus optimiste, et certainement le plus improbable, est naturellement celui de la “maison commune” . Ici, le régime russe fait les frais de la crise économique, due notamment aux sanctions occidentales, et doit conduire des réformes économiques et démocratiques ouvrant la voie à un rapprochement avec l’Union européenne. Réconciliées, les deux entités “joignent leurs forces non seulement pour résoudre les conflits en Europe, mais aussi pour faire face aux menaces communes” , peut-on lire dans la version finale du rapport. En guise de préambule, Felix Hett, du département de l’Europe centrale et orientale de la FES, avait bien précisé que leur travail ne prévoyait en rien l’avenir et qu’il ne faudrait le juger qu’à l’aune de sa plausibilité.

Dates clés :

- 21 novembre 2013 : Viktor Ianoukovitch, président ukrainien, renonce à signer l’accord d’association avec l’Union européenne et début du mouvement Euromaïdan

- 22 février 2014 : destitution du président Ianoukovitch et fin du mouvement Euromaïdan

Deuxième scénario dans l’ordre de l’optimisme : celui de la “maison partagée” . Selon cette version, il n’est pas question d’un tableau idyllique, mais plutôt de pragmatisme. Union européenne et Russie sont dans un premier temps incapables de permettre une sortie de crise et, après “une décennie perdue” , les deux parties “se concentrent sur leurs intérêts communs” . Un accord de libre-échange est élaboré, intégrant les pays du partenariat oriental qui ne sont dès lors plus contraints de choisir entre Bruxelles et Moscou. Au fond, comme l’a expliqué Florence Mardirossian, fondatrice de Geopole Europe, professeur à l’université de Lyon et membre du groupe d’experts, l’apaisement des relations correspondrait peu ou prou avec le départ de Vladimir Poutine du pouvoir, qui devrait arriver en 2024. En effet, à cette date, le président russe devrait achever son quatrième mandat, le deuxième consécutif et donc non renouvelable, depuis son retour au pouvoir en 2012 à la suite de l’intermède Medvedev.

Statu quo et zone-tampon : deux scénarios d’enracinement de la confrontation

Crescendo dans le non-souhaitable, le scénario de la “maison divisée” , soit le statu quo. En substance, les quinze années qui viennent ne changeront pas la donne entre l’Europe et la Russie, dont les relations sont gelées dans une “paix froide” . Comme le disent les experts : “l’interdépendance économique empêche que la situation ne se détériore davantage” , mais la méfiance réciproque ne tend pas à s’apaiser. Au centre du jeu : les pays membre du Partenariat oriental, toujours autant tiraillés entre Bruxelles et Moscou, et dont le développement est mis durablement en suspens. L’Union européenne et la Russie pâtiraient eux-aussi d’une situation figée, naturellement peu propice au redressement économique.

Dates clés :

- 16 mars 2014 : référendum d’autodétermination (non reconnu par la communauté internationale) de la Crimée à la suite de son annexion par la Russie

- 17 mars 2014 : début des sanctions européennes contre la Russie

Enfin, dernière option avancée, de loin la moins réjouissante : celle du scénario de “la maison brisée” , synonyme de véritable retour de la guerre froide et de tumulte larvé. Union européenne et Russie, en faisant bande à part, parviennent à surmonter leurs problèmes internes et à ne plus souffrir de leurs relations gelées. La transition énergétique devient une réalité en Europe, annulant au passage la dépendance vis-à-vis du gaz russe. Tandis que la Russie de Vladimir Poutine met sur pied “une modernisation relativement autoritaire […] donnant aux deux parties la possibilité d’agir indépendamment l’une de l’autre” . Et, comme dans le scénario précédent, les pays de leur voisinage immédiat font office de glacis, les maintenant dans une “zone d’instabilité” et de rivalité.

Une longue période de stagnation inévitable ?

Naturellement, pour les besoins de l’exercice, ces quatre scénarios tendent à réfléchir “toutes choses égales par ailleurs” et à minimiser l’influence d’autres puissances comme les Etats-Unis ou la Chine dans l’évolution des relations entre l’UE et la Russie. La Friedrich Ebert Stiftung et son panel d’experts le reconnaissent volontiers. L’un de ses membres, Dmitry Suslov, de nationalité russe et directeur-adjoint du Centre d’études générales européennes et internationales de Moscou, fut d’ailleurs chargé d’ajouter ces perspectives lors de la présentation des scénarios à Paris le 8 juin.

Dates clés :

- 5 septembre 2014 : 1er Protocole de Minsk pour le cessez-le-feu en Ukraine orientale

- 12 février 2015 : 2e Protocole de Minsk, signé par François Hollande, Angela Merkel, Vladimir Poutine et Petro Porochenko

Selon lui, les Etats-Unis, surtout après 2016 et le départ de Barack Obama de la Maison blanche, vont contribuer à renforcer l’atlantisme européen et à enraciner la confrontation avec la Russie, rendant improbable une sortie de crise. Quant au gouvernement russe, ce dernier sera donc tenté de se rapprocher de la Chine et de l’Inde et de conforter un partenariat eurasiatique, destiné à lui éviter l’isolement sur la scène internationale. Se faisant l’avocat des intérêts russes et n’hésitant pas à provoquer l’assistance et les autres membres du groupe d’experts présents à Paris, Dmitry Suslov recommande par conséquent d’éviter toute escalade des tensions car, d’un point de vue militaire, la Russie “n’a pas peur” , et de stopper les sanctions financières, qu’il juge “contreproductives” , dans la mesure où “elles poussent la Russie vers l’Est et non vers la capitulation” .

Le discours est offensif, enjolive largement la situation, notamment financière, dans laquelle se trouve la Russie, mais s’avère très probablement révélateur de la nature des réunions entre les officiels européens et leurs homologues russes. La possibilité d’un scénario optimiste de sortie de crise est dès lors battue en brèche. Car à écouter Dmitry Suslov, on comprend que le Kremlin ne craint en rien les rapports de force, se tient prêt pour un affrontement très long et pratique le bluff avec une maîtrise confondante. En bref, un fossé béant sépare Bruxelles et Moscou en termes de valeurs et de principes. L’Europe a évidemment sa part de responsabilité dans la situation actuelle, ne serait-ce qu’en raison de l’amateurisme de sa diplomatie, et elle se trouve aujourd’hui face à un défi tout à fait décisif pour son propre avenir.

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