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Qu’est-ce que l’autonomie stratégique européenne ?

Ambition de l’Union européenne, l’autonomie stratégique consiste pour les Européens à être en mesure d’agir et de se défendre eux-mêmes pour assurer leur sécurité. Si l’expression est originellement associée à la défense, elle recouvre maintenant d’autres domaines liés à l’économie et aux nouvelles technologies.

La multiplication des formes de menaces, telles que les cybermenaces, est un des arguments avancés pour plaider en faveur de l'autonomie stratégique - Crédits : gorodenkoff / iStock
La multiplication des formes de menaces, telles que les cybermenaces, est l’un des arguments avancés pour plaider en faveur de l’autonomie stratégique - Crédits : gorodenkoff / iStock

Qui peut assurer la défense de ses intérêts mieux que soi-même ? L’autonomie stratégique est une réponse européenne à cette question. Bien que le concept ne fasse pas l’unanimité en Europe, la Commission européenne et plusieurs pays, au premier rang desquels la France, considèrent désormais que le Vieux Continent doit être l’acteur principal de la prévention des périls qui le guettent.

Une conviction forgée par un monde multipolaire, bien loin de la fin de la Guerre froide, où les menaces sont en constante mutation et sont devenues hybrides (cyberattaques, désinformation, terrorisme…), pouvant être exercées par des acteurs étatiques ou non, avec des moyens militaires ou non. Un monde dans lequel les alliances traditionnelles, en particulier avec les Etats-Unis en matière de défense, protègent avec moins de certitudes qu’auparavant.

De quand date le concept ?

C’est en 2013 que l’expression “autonomie stratégique” apparaît pour la première fois officiellement au niveau européen. Le concept figure notamment dans la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement à l’issue du Conseil européen des 19 et 20 décembre. “L’Europe doit disposer d’une base industrielle et technologique de défense (BITDE) plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive pour pouvoir assurer le développement et le soutien de ses capacités de défense, ce qui pourra aussi lui permettre d’accroître son autonomie stratégique et sa capacité à agir avec des partenaires”, écrivent-ils alors. Renforcer l’autonomie de l’Europe est ainsi vu comme un moyen d’aboutir à des alliances plus efficaces, pas de s’en priver.

En juin 2016, la stratégie globale de l’Union européenne, document de référence sur les orientations européennes en termes de sécurité et de défense, affirme explicitement nourrir “l’ambition de doter l’Union européenne d’une autonomie stratégique”. Là encore, le but n’est pas de tourner le dos aux partenaires des Européens. “Nous savons toutefois qu’il est plus facile de faire avancer ces priorités si l’on n’est pas seul”, est-il ensuite déclaré.

En outre, lors du Conseil européen d’octobre 2020, les Vingt-Sept s’accordent pour affirmer que dans les domaines du marché unique, de la politique industrielle et du numérique, “parvenir à une autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte est un objectif clé de l’Union”.

Pourquoi l’autonomie stratégique est-elle importante pour l’UE ?

Dans une tribune publiée sur le site de l’Institut français des relations internationales en décembre 2020, Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit trois raisons principales à l’importance que revêt aujourd’hui l’autonomie stratégique. La première tient au recul du poids de l’UE dans le monde. Alors que les Européens comptaient pour le quart de la richesse mondiale il y a trente ans, “dans vingt ans, tout porte à croire que nous ne représenterons pas plus de 11 % du produit national brut (PNB) mondial, loin derrière la Chine, qui en représentera le double, derrière les Etats-Unis et leurs 14 %, et à égalité avec l’Inde”.

La deuxième raison soulevée par le chef de la diplomatie de l’UE est liée à un niveau d’interdépendance économique mondiale au plus haut, “source de vives tensions politiques”. Enfin, la réorientation des Etats-Unis, principal allié militaire de l’Europe, vers le continent asiatique à partir des années 2010 tend à relativiser la protection américaine. “De surcroît”, ajoute Josep Borrell, “l’Europe doit aujourd’hui faire face, à sa périphérie, à un certain nombre de conflits ou de tensions, tant au Sahel qu’en Libye ou encore en Méditerranée orientale. Dans ces trois exemples, l’Europe doit agir davantage encore, et seule, car ces problèmes ne concernent pas les Etats-Unis au premier chef”.

Si ce changement d’approche des Américains a été décidé par Barack Obama, la posture isolationniste de Donald Trump a fait état d’électrochoc pour les Européens, davantage conscients du rôle à jouer dans leur propre protection. La crise du Covid-19, qui a mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine dans son approvisionnement en masques, puis qui a vu se jouer une diplomatie vaccinale où chaque puissance défendait farouchement ses intérêts, a aussi accentué cette prise de conscience. 

Quels domaines recouvre-t-elle ?

Si l’autonomie stratégique est en premier lieu liée aux questions de défense, elle les dépasse dans la mesure où l’Europe cherche à réduire sa dépendance dans d’autres secteurs. C’est notamment le cas du numérique, dont les géants sont aujourd’hui avant tout américains et chinois. Dans ce domaine, les technologies actuellement en développement, telles que l’intelligence artificielle ou les ordinateurs quantiques, sont ainsi d’une importance cruciale pour une Union européenne qui se veut maîtresse de son destin. Un constat s’appliquant également à l’industrie de l’espace. Le numérique est aussi la source de nouveaux risques : les cybermenaces peuvent être mises à exécution par une multitude d’acteurs et témoignent de l’intérêt stratégique du secteur.

En raison de l’interdépendance entre les économies mondiales, le commerce, la santé ou encore l’énergie sont également concernés. La hausse des prix de l’énergie, où l’un des principaux exportateurs de gaz vers l’Europe qu’est la Russie joue de la situation, en est un exemple notable. Plus généralement encore, l’ensemble des secteurs dont les chaînes d’approvisionnement vont au-delà des frontières européennes, et qui impliquent donc une vulnérabilité lorsqu’elles sont perturbées, ont un lien avec l’autonomie stratégique. Des matières premières ou des composants critiques pour le fonctionnement des industries du Vieux Continent proviennent en effet totalement ou en grande partie de pays situés hors de l’Union européenne. C’est, par exemple, le cas du lithium, un métal essentiel à la fabrication de batteries. Ou encore du magnésium, dont la production primaire n’est plus du tout assurée par l’Europe. Les semi-conducteurs, des puces électroniques cruciales à une multitude de domaines d’activité (automobile, électronique grand public, énergie…), sont majoritairement fabriqués en Asie de l’Est, et constituent eux aussi un enjeu stratégique pour l’UE. 

Quelles sont les divergences entre Etats membres ?

Parler d’autonomie stratégique fait craindre à certains pays de l’UE un éloignement dangereux des Etats-Unis et de l’Otan, qui assurent aujourd’hui l’essentiel de la défense européenne. Une perspective notamment redoutée à l’est de l’Europe par des pays fortement atlantistes, à l’instar de la Pologne et des pays baltes, qui veulent s’assurer du soutien américain face à leur voisin russe. Au nord de l’UE également, le concept suscite certaines réserves.

Principale défenseure de l’autonomie stratégique au sein des Vingt-Sept, la France est en revanche “perçue comme une initiatrice du concept”, écrit André Dumoulin, politologue belge spécialiste des questions européennes de défense. Lors de son discours prononcé à la Sorbonne en septembre 2017, Emmanuel Macron affirmait dès le début de son mandat la nécessité de développer une “culture stratégique partagée”.

Un débat que les pays de l’UE sont amenés à poursuivre après la présentation de la “boussole stratégique” par Josep Borrell aux ministres des Affaires étrangères et de la Défense en novembre 2021. Ce document, qui doit renouveler les orientations en matière de défense et de sécurité des Européens pour les prochaines années, est discuté par les Etats membres avant une adoption par les chefs d’Etat et de gouvernement. Celle-ci est prévue lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2022 à Bruxelles.

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2 commentaires

  • Avatar privé
    Aurélien Frétard

    Bonjour.
    Merci pour cet article. Une information importante à mon sens : quelle est (sur les 232 G€ dépenses pour la défense Européenne) la part de valeur ajoutée créée en Europe (vs. des achats extérieurs à l’UE)? Merci

  • Avatar privé
    Diamant

    Excellent article. J’adhère totalement à l’autonomie stratégique européenne.
    Et je l’aligne sur l’Agenda 2030 de l’ONU pour atteindre les 17 ODDE le plus vite possible (l’idéal étant de les atteindre en 2022).
    L’OCDE doit aussi aligner ses recommandations dans ce sens et ne pas rester prisonnière de critères de stabilité et de convergence qui ne sont plus à la hauteur des enjeux internationaux pour sauver l’humanité et la terre.