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Les relations entre l’Union européenne et la Tunisie : une coopération poussée mais fragilisée

La relation euro-tunisienne est largement ancrée dans une mémoire commune, constituée d’échanges économiques et culturels très forts. Dès lors, les derniers évènements de Tunisie vont certainement faire bouger les lignes de cette coopération ancienne. L’occasion pour Toute l’Europe de faire un retour sur les différentes étapes de cette liaison entre les deux rives de la Méditerranée.

Europe-Tunisie : Un environnement relationnel qui s’est tissé depuis l’antiquité

Les relations entre l’Europe et la Tunisie ne datent pas d’hier. Avec sa ville antique Carthage, la Tunisie a toujours fait partie du monde méditerranéen, qui a été l’une des matrices culturelles de l’Europe d’aujourd’hui. Au 3e et 2e siècle avant Jésus Christ, la puissance commerciale carthaginoise rentre en conflit avec la puissance montante romaine, au terme de trois guerres puniques meurtrières. Carthage se relèvera de ses cendres et deviendra une ville opulente, célèbre pour son agriculture performante. Elle sera le lieu d’une civilisation brillante pendant six siècles, ou s’épanouit l’art de la mosaïque. Plus tard, la Tunisie devient un des centres de la christianisation de l’Empire romain, grâce au célèbre penseur chrétien Auguste d’Hippone, dit Saint Augustin.

Après l’intermède des barbares, responsables de la chute de Rome, la Tunisie est reprise par l’Empire byzantin, et devient un carrefour entre les différents mondes méditerranéens. Lors de la dynastie des Omeyades et des Abbassides, la Tunisie connut des moments de grande prospérité, et demeura un grand centre de la vie artistique et culturelle. Le Pays a notamment été le siège des mutazilites, ces théologiens qui intégrèrent la philosophie rationaliste héritée du logos grecque dans la culture islamique. C’est notamment cette pensée qui donna lieu plus tard au célèbre penseur Averroès, cet intellectuel arabo-andalou qui contribua à faire passer la pensée grecque dans l’Occident chrétien.

Assez peu touchée par la domination ottomane, c’est la culture italienne qui pénètre peu à peu dans la province autonome tunisienne. Au dix-neuvième siècle, le pays vit de profondes réformes, comme l’abolition de l’esclavage et l’adoption en 1861 d’une Constitution. Les difficultés financières tunisiennse, et les rivalités européennes poussent Jules ferry à envahir la Tunisie, qui devient un protectorat français. Cette période de colonisation va durer jusqu’en 1956, date de l’indépendance tunisienne.

Début et développement de la coopération Europeano-tunisienne

En mémoire de cette interdépendance économique entre le nord et le sud de la Méditerranée copnstruite au fil des siècles, l’Europe signe son premier accord de coopération le 25 avril 1976 avec la Tunisie dans le cadre de “l’approche globale méditerranéenne” . Celle-ci se présente comme une entente globale de coopération au développement, s’ouvrant pratiquement à tous les domaines à savoir les échanges commerciaux, une coopération économique et financière, et un volet social lié au problème de l’immigration Cet accord a été conçu pour que les gouvernants tunisiens puissent mettent en place leur politique de développement sous différentes modes d’action : formation professionnelle, appui à l’investissement, promotion commercial. En 1986, afin de garantir les exportations tunisiennes vers l’Europe (suite à l’entrée de la Grèce en 1980 et l’Espagne et le Portugal 1986), un protocole additionnel de l’accord global de coopération prévoit la suppression progressive des droits de douane au cours des mêmes périodes et au même rythme que ceux prévus pour les deux pays ibériques.

Mais c’est l’Accord d’Association (AA) signé en 1995 qui fonde véritablement les relations politiques et économiques entre l’UE et la Tunisie. Le plus petit pays du Maghreb devient dès lors le premier pays du sud de la Méditerranée à signer un Accord d’Association avec l’Europe. Cet Accord, entré en vigueur le 1er mars 1998, constitue la base juridique et le cadre légal de la coopération bilatérale et prend par conséquent toute sa place dans le cadre du processus de partenariat régional euro-méditerranéen de Barcelone, auquel la Tunisie participe à part entière depuis 1995, puis dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée (UpM), crée en 2008.

Le Partenariat Euro Med

Le partenariat Euromed a été créé en 1995 à Barcelone, à l’initiative de l’Union européenne (UE) et de dix autres États riverains de la mer Méditerranée dont la Tunisie. Il repose sur les principes de l’appropriation commune, du dialogue et de la coopération, afin de construire un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée, dans lesquels sont prévus des actions dans les domaines politique économique, financier, culturel et social. Il a été largement restructuré à la suite de la création de l’Union pour la Méditerranée afin de mieux équilibrer les rapports de force entre le Nord et le Sud, et établir une meilleure coopération économique et politique

Concrètement, l’Accord d’Association a donné lieu à une zone de libre-échange (ZLE) entre les deux parties. Outre la libre circulation des marchandises, il contenait des dispositions en matière de paiements, capitaux, concurrence et autres dispositions économiques et a mis en place une coopération dans les domaines politique, économique, social, scientifique et culturel. Il a par ailleurs élaboré les contours de la coopération financière afin de supporter les dispositions de l’accord et le processus de réformes du pays. Cet accord d’association a également permis de mettre en œuvre le dialogue politique, celui-ci étant chargé de couvrir tant les questions politiques (internationales, internes, droits de l’homme et démocratie) que les questions de migration et autres sujets d’intérêt commun. Le dispositif euromed jouait alors à plein et ce dialogue politique comprenait également un partenariat économique et le développement des échanges dans les domaines social et culturel dans tout l’ensemble de l’espace euro-méditerranéen.

Vers un quasi intégration économique de la Tunisie dans l’économie européenne

Dans la perspective de l’élargissement des 10 nouveaux Etats membres en 2004, et dans le cadre de sa politique européenne de voisinage (PEV, mise en place en 2005), un Plan d’Action UE-Tunisie a été élaboré en 2005 contenant des objectifs stratégiques pour la coopération en matière politique, économique et dans les différents secteurs couverts par l’Accord d’Association.

La Politique européenne de voisinage

La Politique européenne de voisinage a pour objectif de renforcer la coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle entre l’Union européenne et ses nouveaux voisins immédiats ou proches. Elle s’est donc d’abord adressée aux nouveaux voisins de l’Est, puis étendue, à la demande de la France, aux pays du sud de la Méditerranée. Elle repose sur un ensemble d’accords conclus entre l’Union européenne et ses Etats membres et complète le processus de Barcelone, lancé en 1995 afin de stabiliser la Méditerranée par le renforcement des relations entre les pays de son pourtour.


Pour encore plus intégrer les relations entre l’UE et la Tunisie, le plan d’action présente un volet plus politique, avec l’élaboration d’une feuille de route contenant des objectifs stratégiques pour la coopération bilatérale entre l’UE et la Tunisie. Ce document s’avère calqué sur les besoins et les nécessités de la Tunisie pour déterminer ses besoins à court et moyens terme. Il aborde plusieurs thématiques : dialogue politique/réforme, réformes économiques et sociales, marché intérieur, justice, liberté, sécurité et technologie. Les mesures décidées par la feuille de route étaient appliquées sur la base de l’accord d’association et dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV). Ce plan d’action a fait l’objet d’examen régulier sous forme de rapport de suivi interne qui donnait lieu à un rapport annuel public de la même manière que ce qui se fait dans le cadre de la PEV.

Suite au dernier élargissement de l’UE (l’entrée de la Bulgarie et la Roumanie en 2007), la Tunisie était sur la route pour obtenir le statut privilégié de “partenaire avancé” en décembre 2008. Pour rappel, ce statut implique que l’UE et la Tunisie peuvent entretenir des relations de coopération politique et économique très approfondies, c’est-à-dire que le stade de la quasi convergence communautaire est presque atteint. Il semblait donc logique que l’obtention de ce statut passe par un rapprochement institutionnel et économique. Si l’ensemble des avantages dus à ce statut n’a pas été accordé à la Tunisie (essentiellement pour cause de dérive autoritaire du régime) cela a donné lieu malgré tout à l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange UE-Tunisie en 2008 pour les produits industriels.

Après une intégration maximale, une relation à reconstruire

Il est vrai que le degré d’intégration via l’accord d’association, la politique européenne de voisinage, et le partenariat euro Med, ainsi que l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange, donnaient l’impression que les relations très étroites entre les deux parties allaient conclure sur une sorte d’intégration économique totale dans l’espace économique européen.

L’obtention du statut privilégié de partenaire avancé était donc considéré comme le paroxysme de cette coopération. Peu de temps avant le début des troubles à la fin de l’année 2010, il était donc question de finaliser une nouvelle fois le statut de la Tunisie jusqu’au au stade “avancé” d’ici 2012, ce qui aurait fait de la Tunisie un quasi Etat membre “au plan économique” d’après l’expression d’un observateur européen.

Rappelons qu’un accord avait été trouvé en mars 2010 sur la formation d’un groupe de travail pour l’octroi à la Tunisie de ce statut avancé. Les autorités tunisiennes avaient déjà, exprimé son désir d’obtenir ce “statut avancé” en 2008, sous présidence française de l’UE, probablement pour obtenir les mêmes avantages que le Maroc qui était et reste le seul Etat du sud à avoir ce statut. Les autorités tunisiennes désiraient effectivement approfondir ses relations avec son premier partenaire commercial, l’Union européenne. Cependant, plusieurs parlementaires européens avaient dénoncé les atteintes régulières à la liberté d’expression et la répression des opposants politiques en Tunisie. Ces voix parlementaires avaient jusque- là freiné l’entrée en vigueur de ce nouveau statut pour la Tunisie, malgré les pressions exercées par les autorités tunisiennes sur les responsables européens.

De nombreuses incertitudes planent aujourd’hui sur la relation UE-Tunisie. L’implosion du système Ben Ali pourrait éventuellement remettre en cause toute la coopération construite depuis 1976 entre les deux parties. En effet, Didier Billon a affirmé que si la prochaine équipe gouvernementale change radicalement, elle pourrait mettre de la distance avec l’UE et recentrer ses relations économiques avec le monde arabe et sub-saharien. Cependant il lui parait peu probable qu’une rupture brutale ait lieu entre les deux rives de la Méditerranée. Il ajoute qu’il va falloir que le versement des aides soit conditionné au respect des valeurs démocratiques, sans pour autant s’ingérer dans les affaires intérieures du pays. C’est cette conditionnalité qui, selon lui, a fait gravement défaut dans les relations poussées entre l’Union européenne et la Tunisie.

Sources :

Site de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie

Entretien avec Didier Billon - Euractiv.fr

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