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Jean-Michel Severino : “L’UE est un géant de l’aide publique au développement : elle fournit plus de la moitié de l’aide comptabilisée par l’OCDE”

Jean-Michel Severino, directeur général de l’Agence Française de Développement (AFD) depuis avril 2001, ancien directeur pour l’Europe centrale de la Banque mondiale, présente les différentes actions menées par l’AFD dans le cadre de la politique européenne d’aide au développement.

L’Agence française de développement (AFD) est au cœur du dispositif français de l’Aide publique en faveur des pays pauvres. Pouvez-vous nous définir plus précisément ses missions ?

L’Agence Française de Développement (AFD) est un établissement public français au service d’une mission d’intérêt général : le financement du développement.

Elle finance, dans les cinq continents et dans les collectivités françaises d’Outre-mer, des projets portés par les pouvoirs publics locaux, les entreprises publiques et les secteurs privé et associatif. Ces projets concernent le développement urbain et les infrastructures, le développement rural, l’industrie, les systèmes financiers, l’éducation et la santé. La lutte contre la pauvreté et les inégalités, et le soutien à la croissance des pays pauvres sont donc au cœur du mandat de l’Agence.

Poursuivant la réforme de la coopération française, les tutelles de l’AFD lui ont confiée en 2006 une troisième mission : promouvoir les biens communs aux pays du Sud et du Nord, en luttant contre le réchauffement climatique, les maladies émergentes et en protégeant la biodiversité.

Cette intégration des biens publics mondiaux dans la stratégie française contribue à faire de la politique d’aide publique au développement un véritable instrument de régulation de la mondialisation.

L’AFD développe aussi des partenariats financiers et intellectuels avec d’autres acteurs du développement (ONG, bailleurs multilatéraux, autres agences de coopération européennes, fondations, etc.), afin de répondre au mieux aux différents besoins des pays aidés. L’Agence s’attache également à défendre la perspective française dans la sphère du développement, en encourageant la production intellectuelle sur les politiques de développement.

Si l’Union européenne est le plus grand donateur de l’aide publique au développement (48 milliards d’euros en 2006), de nombreux obstacles restent à surmonter. Comment concilier coopération entre acteurs communautaires et nationaux ? Faut-il créer un système européen d’aide intégrant les coopérations nationales et communautaires ?

L’Union européenne est un géant de l’aide publique au développement : elle fournit plus de la moitié de l’aide comptabilisée par l’OCDE. Or elle ne recueille aujourd’hui ni l’influence à laquelle son effort financier lui permettrait de prétendre dans les débats internationaux sur le développement, ni des résultats suffisamment probants en termes de développement de l’Afrique.

Le manque de cohérence entre l’action des bailleurs de fonds européens est souvent pointé du doigt, et il est vrai que beaucoup reste à faire pour améliorer les synergies entre les différents acteurs européens de l’aide.

La multiplication du nombre de bailleurs étrangers dans les pays en développement (une trentaine en moyenne par pays aidé !) pose en effet un vrai problème de cohérence des politiques d’aide, et engendre des difficultés de gestion dans les pays bénéficiaires.

Mais si l’émergence progressive d’un système européen de coopération s’impose, il est important de ne pas céder à la tentation du centralisme bureaucratique. La complexification du paysage de l’aide et les nouveaux défis auxquels les pays pauvres sont confrontés demandent une grande flexibilité de la part des bailleurs, dont une structure trop lourde ne pourrait pas suffisamment faire preuve.

La mise en œuvre d’une politique commune de développement au niveau européen devrait ainsi être confiée à un système innovant de coopération, organisé autour d’un réseau d’agences et d’opérateurs de développement (agences nationales et européennes d’aide, collectivités, établissements publics de recherche, etc.). Cette formule concilierait la nécessité de cohérence globale d’une part, et celle de tirer partie de la diversité des contributions de chaque Etat membre d’autre part, faisant du pluralisme des acteurs un moteur d’innovation et non une entrave à l’efficacité.

Mais ce qui importe avant tout, c’est que les acteurs européens de l’aide apprennent progressivement à travailler ensemble sur le terrain, sur des projets concrets. Les synergies se construisent en multipliant les échanges et en s’engageant dans des projets communs. L’AFD est d’ores et déjà engagée dans de tels partenariats européens, et s’est donnée pour objectifs d’augmenter significativement la part de ses projets co-financés dans les années qui viennent.

L’Afrique est la principale zone d’intervention, et reçoit plus des deux-tiers des subventions. Qu’en est-il des autres pays ? Comment l’AFD sélectionne-t-elle les projets qu’elle soutient ?

L’Afrique sub-saharienne a toujours constitué une priorité pour l’AFD, et cela restera le cas à l’avenir. Depuis 2001, ses financements ont triplé sur le continent, pour atteindre 1,2 milliard d’euros. Mais l’action de l’Agence s’étend en effet au-delà de ce continent : Afrique du Nord, Moyen-Orient, Asie, Outre-mer…

L’intégration des biens publics mondiaux dans la stratégie française d’aide au développement en 2006 conduit l’AFD à agir hors de ses géographies traditionnelles d’intervention - là où se jouent les enjeux de la planète, aujourd’hui et demain. En effet, dans la bataille contre le réchauffement climatique ou pour la préservation de la biodiversité, il est important de pouvoir agir dans certains pays émergents. Le Gouvernement a ainsi autorisé l’Agence à intervenir sur ce mandat en Inde, au Brésil, en Indonésie et au Pakistan avec des instruments non concessionnels ou faiblement concessionnels.

L’AFD met en œuvre un important travail de programmation sectorielle et géographique en amont du choix des projets : les “cadres d’intervention sectorielle ” et les ” cadres d’intervention pays “contribuent à déterminer quels sont les chantiers prioritaires par zone et par secteur. Ce travail est mené en partenariat avec les clients de l’Agence, dans une logique d’alignement de ses programmes sur les priorités des pays aidés. Ce dialogue, qui s’incarne dans la signature d’un “documents cadre de partenariat” par la France et le pays partenaire, permet une meilleure appropriation de l’aide par le pays bénéficiaire.

L’AFD inscrit ses actions dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement, définis le 8 septembre 2000. Quel bilan dressez-vous sur ces objectifs ?

La France a souscrit aux objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de l’Organisation des Nations unies. Ils constituent un cadre important de l’action de sa politique de coopération, notamment vis-à-vis de l’Afrique. En effet, plus de la moitié des engagements de l’Agence sur ce continent sont liés à la réalisation des OMD.

Les OMD se sont révélés être un outil puissant de mobilisation de l’opinion publique internationale en faveur de la réduction des inégalités dans le monde. Ils ont également poussé les différents pays donateurs à s’engager non plus seulement sur des dépenses d’aide au développement, mais aussi sur des objectifs de résultats, ce qui marque un changement d’approche important. En s’entendant sur une liste précise ” d’objectifs ” et de ” cibles ” communs, les différentes parties prenantes ont aussi fait d’importants progrès d’harmonisation de leurs pratiques. Les OMD représentent donc un avancement significatif pour la communauté du développement.

Néanmoins, les dernières estimations montrent que l’on est encore très loin des cibles fixées en 2000, et qu’au rythme actuel il est probable que peu d’entre eux soient atteints d’ici 2015. En effet, un décalage persiste entre ces objectifs ambitieux et les moyens disponibles. Les estimations font état d’un besoin annuel d’aide au développement de l’ordre de 150 à 190 milliards de dollars pour atteindre les objectifs, alors que le chiffre de l’aide publique au développement s’établit à 104 milliards de dollars en 2006 - dont un volume important d’allègement de dettes. Il est donc crucial que chaque pays donateur respecte ses engagements en matière d’aide au développement.

La course aux objectifs quantitatifs ne doit pas pour autant nous faire oublier les exigences qualitatives de l’aide au développement : en matière de santé, d’éducation ou d’égalité des sexes, l’atteinte des objectifs formels ne doit pas se faire au détriment des exigences de qualité et d’appropriation par la population locale. C’est aussi cela, le développement durable.

Propos recueillis le 05/05/07

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